21 avril 2020 (Comment l’esprit vient aux femmes)

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Moi : « Voilà ! C’est scandaleux ! On va peut-être tous choper la maladie, l’effondrement économique guette, l’apocalypse sanitaire est à nos portes, les Jeux Olympiques sont flingués et Céline Dion ne viendra pas en France cette année, mais qu’est-ce je lis sur Internet !!!???

Elle : - Qu’est-ce que tu lis ? Bonjour, au fait…

Moi (saisissant mon smartphone) : - "Pourquoi certaines crèmes "boulochent", et comment l’éviter."

L’autre : - Grands Dieux ! Ça sent le sujet d’importance.

Moi : - Vous l’avez dit, Madame von Grille-pain, on frôle l’existentiel. Certains sites sur Internet ou blogs ont manifestement pour vocation de réveiller la poufiasse qui sommeille en chacune d’entre nous.

L’autre : - Parlez pour vous !

Moi : - Je me réfère aux femmes, bien sûr, pas aux amas de tôles qui traînent dans le coin. Vous n’allez pas le croire, mais il s’agit d’une publication qui date d’aujourd’hui même. Écoutez ça : "Certaines crèmes comme les bases de teint forment des espèces de petits grumeaux à l’application. D’où viennent-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Et surtout comment les éviter ?" D’abord, on se contrefout des grumeaux – si votre crème fait des grumeaux, changez de marque, ou alors utilisez-la comme exfoliant pour les fesses – mais en plus, qu’est-ce que c’est que ces "réseaux" ? Les grumeaux ont des réseaux, maintenant ? Ça sent l’article mal écrit avec du copier-coller venant d’on ne sait où.

Elle : - On a déjà du mal à se représenter ce qu’est une crème quand on est une voiture…

L’autre : - Je suis d’avis que ce doit être l’équivalent de la cire pour autos…

Moi (poursuivant ma lecture) : - "Or, une fois qu’une crème ou une base a commencé de "boulocher", difficile de revenir en arrière : chaque produit appliqué par-dessus ne fera qu’empirer la situation, et le résultat sera très peu homogène."

L’autre : - J’en déduis que c’est un vrai drame, non ?

Moi : - Presque. J’aime bien le côté inéluctable de la chose : "impossible de revenir en arrière." Comme la fonte des glaciers ou la ménopause.

Elle : - Mais d’où tu sors ce bla-bla ?

Moi : - De la presse féminine.

Elle : - Mmm, un texte écrit. Je te rappelle qu’on sait pas lire…

L’autre : - À part les grosses lettres. On ne sait lire que les panneaux de circulation.

Moi : - Oui, vous causez, mais vous ne savez pas tout lire. Je conçois que vous ayez du mal à imaginer ce qu’est la presse féminine. Hum, comment dire… C’est le média qui érige la lutte contre les cheveux gras au même rang que celle contre les violences conjugales.

Elle : - C’est quoi, les violences conjugales ?

Moi : - Heu, c’est un peu comme lorsque tu te disputes avec Ursula, mais en plus brutal.

Elle : - C’est comme la Première Guerre mondiale, alors ?

Moi : - Pas tout à fait, mais il y a des points communs, comme les tirs à vue et la guerre de tranchées. Bref, la presse féminine se distingue souvent par ses raccourcis pour le moins saisissants, quand elle ne nage pas en plein dans les clichés. Par exemple, cette propension à laisser croire que tous les hommes sont les mêmes (c’est-à-dire, lâches, vils, menteurs, pour la faire courte). Ce qui revient à dire que quand on en a vu un, on les a tous vus.

Elle : - Et ce n’est pas le cas ?

L’autre : - Tais-toi, Marie-Apolline. Mon propriétaire est un homme, et je dirais qu’il me paraît assez différent des autres.

Moi : - Si on en juge par sa coupe de cheveux, sans doute… Mais bon, pour une certaine presse, la nature masculine existe, et elle ne peut être qu’une et universelle.

Elle : - Ça me passe un petit peu au-dessus du capot, là.

L’autre : - T’inquiète, ce sont des problèmes d’humains, de toute façon.

Moi : - Je crois que tu ne perds rien à ne pas fréquenter la presse féminine, Marie- ’Polline. Figure-toi que le but principal de ces magazines est d’apprendre aux femmes à être féminines.

Elle : - Uuuuh. Puissant, le concept.

Moi : - Oui mais attention les enfants, la féminité, c’est tout, sauf pas rien ! La féminité, c’est plus qu’une simple attitude, c’est – osons le mot – un véritable art de vivre.

Elle : - Attends, c’est toi qui penses ça, ou ça vient des magazines ?

Moi : - Je répète ce que j’ai lu ici ou là. Le principal problème des journaux féminins en ce moment, c’est comment préserver sa beauté en temps de pénurie. Ça consiste à se rincer les cheveux au vinaigre, à se démaquiller avec de l’huile, et à se faire des compresses avec des rondelles de pomme de terre.

Elle : - Et puis après t’invites tes amies à manger.

Moi (poursuivant) : C’est aussi anticiper la première épilation du mois de mai qui sera – forcément – douloureuse après deux mois. Parce que, voyez-vous, l’essentiel n’est pas de se protéger de la maladie ou de protéger les autres, non… mais de sortir du confinement belle comme un camion.

Elle : - Quoi ??? Belle comme un gros cul ?

L’autre : - Allons, les Scania ne sont pas si moches…

Moi : - La féminité, c’est traverser une rue en flottant gracieusement, portée par une légèreté naturelle qui fait se retourner la plèbe sur son chemin.

L’autre : - Voilà qui me rappelle la suspension hydraulique de la DS Citroën…

Moi : - Là où quelqu’un d’autre sourit platement, la fille féminine a le visage qui s’éclaire lorsqu’elle retrousse ses lèvres pulpeuses et découvre des dents éclatantes dans une moue mutine qui fait chavirer tous les cœurs.

Elle : - Pas de chance, c’est pas toi !

Moi (sèchement) : - Peut-être, mais au moins je ne passe pas pour une pétasse.

Elle : - Pourquoi, c’est nul d’être une fille féminine ?

Moi : - Disons que c’est tangent. Les filles féminines sont souvent dépeintes comme étant "légères". Et léger, ça veut fréquemment dire bébête.

Elle : - Ouh, c’est vachement ambigu, tout ça !

Moi : - Moi, je dis que lorsqu’on est plus angoissée par sa prochaine épilation que par la sortie de la crise économique, c’est qu’il y a quelque chose de pourri dans la civilisation. Remarquez, on finit par être toutes plus ou moins victimes de ce genre de presse. Par exemple, je me suis rendu compte ce matin que je continuais à me laver les cheveux avec un shampooing spécial balayages. Franchement, est-ce que ça a un sens à l’heure où mes reflets dorés font partie des espèces en danger faute de coiffeur et en plus quand je ne vois strictement personne de la journée ? C’est dire le degré d’intoxication.

L’autre : - On n’imagine pas les problèmes des humains…

Moi : - Les titres habituels des magazines des mois de juillet et d’août vont gagner en saveur cette année. Imaginez : "Les rendez-vous Tinder à l’heure du coronavirus : 15 situations à vos risques et périls", "Comment être super hot sous le masque", ou "Comment le confinement a repulpé mon corps"…

Elle : - Ça veut dire quoi, ça ?

Moi : - Qu’on a pris des hanches pendant le confinement. Mais tout n’est pas perdu pour les combattantes des kilos en bataille : il y en a qui trouvent ça sexy. »

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