11 avril 2020 (Retour vers le futur)

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Moi : « Je me suis un peu énervée tout à l’heure en dialoguant avec une copine en ligne, qui pense que la fin du confinement est proche et qu’on fera tous la fête. Je crois que ce sera ni l’un ni l’autre.

Elle : - Et tu crois quoi ?

Moi : - Moi ? Rien du tout, ou plutôt, je m’attends à tout depuis le retour de la semaine des quatre jeudis. Sauf à ce qui est prévisible. En tout cas, la grande question qui agite les esprits cette semaine, c’est "comment va être le monde d’après" ?

L’autre : - Je crains que cela ne trahisse un ennui profond. D’habitude les humains ne voient pas aussi loin. Je crois au contraire que le grand fantasme des jours à venir sera le monde d’avant.

Elle : - Mouah, j’ai l’impression qu’il va y avoir plein de bébés à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine, et quand les gosses seront en âge de comprendre, il faudra qu’on leur avoue qu’ils ont été conçus dans un grand moment de désœuvrement.

L’autre : - Ils feront la fortune des psys…

Moi : - Ce qui est amusant, c’est de se rappeler comment les films de science-fiction nous présentaient les années 2000 et de voir à quel point ils se sont plantés. C’est pour ça que selon moi, toute tentative de prospective est vouée à l’échec.

Elle : - Comme on n’a pas l’occasion d’aller au cinéma – ce serait sympa de tester un drive-in, une fois –, il faut que tu nous racontes un peu.

Moi : - Ben, le film de science-fiction le plus célèbre et dont l’action est censée se passer quasiment en 2020 (en fait, en 2019), c’est "Blade Runner." Film génial, "Blade Runner", mais enfin ils s’étaient légèrement trompés sur la météo : même à Brest, ils n’ont pas un temps aussi pourri que dans le film. Et puis c’est quand même bizarre ce film avec plein de droïdes, comme si c’était possible que les gens se mettent un jour à faire la conversation à des machines !

Elle : - Tu l’as dit, c’est zéro crédibilité, ça.

Moi : - On retrouvait un peu la même idée dans "2001, l’odyssée de l’espace", quand les membres d’un vaisseau spatial causent à leur super-ordinateur embarqué.

Elle : - Ah, mais la technologie embarquée à laquelle tu peux parler, ça existe déjà : c’est un GPS à reconnaissance vocale.

L’autre : - Marie-Apolline, tu es parfois confondante de naïveté. Tu crois vraiment que des mecs vont s’embarquer pour des voyages intergalactiques AVEC un GPS ? Du style : "Attention, dans deux kilomètres, vous prendrez le rond-point après Alpha du Centaure" ?

Elle : - Prrrrt, Ursula, t’es vraiment rabat-joie quand tu t’y mets.

Moi : - Sinon, je pense aussi à "Terminator", qui s’ouvre sur un décor complètement calciné, comme après une soirée brochettes qui aurait vraiment très mal tourné, et c’est là qu’on apprend coup sur coup que ça se passe dans les années 2020 et qu’une guerre nucléaire a eu lieu.

L’autre : - Quel prétexte sont-ils allés chercher là pour justifier l’état du décor, alors qu’il suffisait de dire que l’action se déroulait dans le bush australien ?

Moi : - Il y a encore le chef-d’œuvre de Fritz Lang, "Metropolis", supposé se passer en 2026. Le film décrit une mégapole divisée en une ville haute, où vivent les familles intellectuelles dirigeantes, dans l’oisiveté, le luxe et le divertissement, et une ville basse, où les travailleurs triment et sont opprimés par la classe dirigeante.

L’autre : - On y est presque, j’ai l’impression…

Moi : - Ce qui me frappe, c’est que les cinéastes et les écrivains ont toujours envisagé le futur plus excessif qu’il n’est vraiment. Ce n’est pas demain la veille qu’on va se déplacer en voiture volante : en 2020, on fait surtout du V’lille avec un masque bec de canard. Personne n’envisageait le futur comme un long dimanche enfermés dans un salon Ikea.

L’autre : - Il faut avouer que la réalité est beaucoup moins trépidante que prévu.

Moi : - On aurait pu se retrouver dans un film de Ridley Scott ou même de Luc Besson, et tout à coup on nage dans la science-fiction soviétique. On est en plein dans ″Solaris″ de Tarkovski : des heures de scènes belles et lentes, avec un récit qui ne semble jamais se terminer.

Elle : - L’ataraxie totale…

Moi : - Ce qu’il y a de vraiment futuriste en ce moment, ce sont mes cours d’anglais pour la fac. Un des étudiants a proposé qu’on se se serve de Discord.

L’autre : - Discord, pour la continuité pédagogique ? C’est osé, comme nom…

Moi : - J’ignorais tout de ce machin il y a encore un mois. On m’a dit que c’est un logiciel surtout conçu pour les joueurs de jeux vidéo.

L’autre : - Et cela a influé sur vos cours ?

Moi : - Un peu. Tout d’abord, on peut mettre des gens en mode silencieux, et ça, c’est génial. C’est le rêve de tout prof que de faire taire les étudiants pénibles.

L’autre : - Cela dit, rendre les étudiants silencieux, ce n’est pas vraiment l’objectif d’un cours de langue…

Moi : - C’est vrai. Histoire d’animer un peu le cours, j’ai pensé à me servir de phrases qu’on voit ou entend dans les jeux vidéo, du style ″Salut, on s’est pas déjà rencontrés ?″, ″C’est tout ce que t’as dans le ventre ? J’attendais mieux…″, ″Rends-toi maintenant ! Je t’avais dit que ça se terminerait mal !″

Elle : - Tu sais parler aux jeunes, toi !

Moi :- Et pour donner une touche encore plus techno à mes cours en ligne, j’ai investi dans une webcam équipée de deux micros bidirectionnels. Ça veut dire que mes chats-chats peuvent m’entendre en stéréo.

Elle : - Et alors, ils apprécient la qualité sonore, les étudiants ?

Moi : - Beaucoup m’ont dit qu’ils suivaient le cours sur leur smartphone, alors la stéréo, ce n’est pas vraiment leur préoccupation… Quant à savoir s’ils apprennent un minimum, là, c’est carrément la quatrième dimension ! »

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