27 mars 2020 (Lili Marleen)

4 minutes de lecture

Elle : « On n’a pas vu le facteur depuis dix jours, c’est à cause du confinement ?

Moi : - Non, ce n’est pas ça.

Elle : - Il est mort, alors ?

Moi : - Tu vas tout de suite arrêter avec ça. Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelqu’un pendant quelques jours que cette personne est décédée. Avec moi, ça va, on se connaît, tu peux tout me dire, mais faut éviter de tenir ce genre de propos en ce moment. Tu vas faire flipper les gens.

Elle : - Il est pas mort, alors ?

Moi : - Probablement non. Il y a eu un cas de COVID-19 à la poste centrale de Marcq, et donc la distribution du courrier a été suspendue.

Elle : - Ah zut, déjà que le temps est long, mais en plus si certains n’ont pas leur courrier… Comment tu t’occupes, toi, par exemple ?

Moi : - D’abord, il y a les cours, avec leur lot de bizarreries…

Elle : - Ah bon ? Comme quoi ?

Moi : - Par exemple, l’une des entreprises où se trouvent cinq de mes stagiaires impose des visioconférences sans images à ses employés.

Elle : - Intéressant, comme concept. Et ils ont pensé à faire du téléphone sans audio, dans cette boîte ?

Moi : - Je leur soumettrai l’idée à l’occasion.

Elle : - Sinon, qu’est-ce tu fais en dehors de tes cours ? Tu mates des films ?

Moi : - Ben figure-toi que je n’ai pas encore eu le temps d’en regarder depuis le début du confinement.

Elle : - Mais qu’est-ce que tu fabriques ??? T’as plein de temps libre, là.

Moi : - Pas tant que ça. Pour commencer, j’écris plusieurs pages tous les jours. Je rapporte nos conversations sur Facebook.

Elle : - Oh ?! Je vais devenir une star des réseaux sociaux ?! Wunderbar !

Moi : - Du calme, Cocotte, je n’ai pas beaucoup de contacts sur Facebook. C’est pas demain qu’on va prendre des selfies avec toi.

Elle : - Et voilà, un espoir aussitôt déçu… Ah au fait, ne m’appelle plus p’tite Maguette ou Cocotte. Je veux pas avoir l’air con auprès d’Ursula. À partir de maintenant, ce sera Marie-Apolline.

Moi : - Je vois. Mâdâââme a des goûts snobs !

Elle : - Ben, je trouve ça joli…

Moi : - Mmm, je trouve que ça fait un peu "Manif pour tous"… Sinon, pour en revenir à la question des films, ceux que j’ai enregistrés au cours des dernières semaines ne m’inspirent pas pour le moment. Il y a par exemple "Cris et chuchotements" de Bergman, que j’ai enregistré il y a environ un mois…

Elle : - Ça raconte quoi ?

Moi (tapotant sur mon smartphone) : - "À la fin du XIXe siècle, Agnès se meurt d’un cancer de l’utérus dans le manoir familial entouré d’un immense parc au bord d’un lac. Ses deux sœurs sont venues l’assister dans ses derniers jours, mais seule la chambrière Anna – qui des années avant a perdu sa petite fille – parvient à l’aider et à l’aimer. Karin, l’aînée, froide, impatiente et phobique, est mariée à un homme rigide qu’elle n’aime pas. Elle va même jusqu’à se mutiler pour éviter tout rapport sexuel…"

Elle : - En effet, c’est moyennement youpi, ton truc.

Moi : - Et en plus, je l’ai déjà vu. C’est en effet aussi drôle qu’un percepteur des impôts sous Lexomil.

Elle : - Pourquoi te l’infliger une seconde fois ?

Moi : - Parce que la première fois, c’était il y a longtemps et que je n’avais pas bien suivi.

Elle : - M’est avis que c’est le genre de film qui tendrait à prouver que la vie en société n’est pas si simple que ça. Donc tu n’as pas de regrets à avoir si à l’heure actuelle tu es toute seule chez toi.

Moi : - Ou comment soupirer d’aise en regardant du Bergman... Tu vas quasiment faire passer "Cris et chuchotements" pour un feel good movie à ce train-là.

Elle : - Mais tu n’as rien d’autre en réserve ?

Moi : - Si. "Les SS frappent la nuit." (Lisant sur mon smartphone) "Grand succès lors de sa sortie en 1957, ce film de Robert Siodmak dépeint le jusqu’au-boutisme criminel d’un régime nazi au bord de l’effondrement."

Elle : - Gaieté et bonne humeur à tous les étages.

Moi : - J’ai aussi en réserve "The intruder", un film en noir et blanc sur la question raciale dans une petite ville américaine, dans les années 60.

Elle : - La franche poilade. Sur quelle chaîne tu enregistres tout ça ?

Moi : - Arte. C’est une chaîne culturelle franco-allemande.

Elle : - Ach so, ich habe verstanden. Après, on va s’étonner que les Allemands boivent des litres de bière. Il faut bien ça pour leur donner un peu de joie.

Moi : - Chut, malheureuse ! Tu ne crois pas que ça va gêner… ?

Elle : - Das Auto à côté ? Pfff, non. D’abord, elle capte pas un mot de français. Ensuite, elle comprend pas l’humour non plus. Sont bas de plafond, les Allemands.

Moi : - T’as peut-être raison. Je me souviens d’un assistant allemand quand j’étais moi-même assistante de langues aux États-Unis. Un véritable éteignoir, celui-là. Et avec ça ils ne sont même pas capables de faire du bon pain !

Elle : - Bref, on n’a pas fini d’être les meilleurs !

L’autre : - Peut-être, mais j’ai une architecture transaxale, moi. Tout le monde ne peut pas en dire autant.

Elle et moi : - QUI A PARLE ???

L’autre : - Vous ne pensez tout de même pas qu’après quelque trente-cinq ans en France, je n’ai pas eu le temps d’apprendre le français ? »

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