21 mars 2020 (Le mépris)

4 minutes de lecture

Elle : « Et alors, ces cours par visio ?

Moi : - C’est parfois un peu étrange. Quand j’ai beaucoup d’interlocuteurs, je ne vois rien sinon une mosaïque d’initiales sur fond noir en face de moi ; j’ai l’impression de parler à un mur ou dans le vide.

Elle : - Ça ne doit pas beaucoup changer d’un cours classique, en somme.

Moi : - Je constate que l’esprit sarcastique est de retour, ça a l’air d’aller beaucoup mieux qu’hier… En fait, le plus désagréable, c’est l’image de contrôle de la caméra. Comme la webcam est petite, son objectif déforme un peu les images, si bien que, prise sous un certain angle, je me retrouve avec un buste énorme et une toute petite tête.

Elle : - Sans vouloir te froisser, tu es vraiment bâtie comme ça.

Moi : - Fais gaffe à ce que tu dis, parce que question physique…

Elle : - Ben, justement, j’ai l’impression que tu m’as jamais aimée.

Moi : - Mais non, allons, je n’irais pas jusque-là.

Elle : - Dénégation trop molle, j’te crois pas.

Moi : - C’est conduire que je n’aime pas, ça n’a rien à voir avec toi.

Elle : - Ouais, on dit ça… Et puis un beau matin, on dit qu’on va acheter des cigarettes et on ne revient plus.

Moi : - Un, je ne fume pas, et deux, vu ce que tu m’as coûtée (prix d’achat, assurance, diverses réparations), ce serait imbécile de t’abandonner. À dire vrai, j’ai toujours eu des relations sado-maso avec les bagnoles.

Elle : - C’est quoi, sado-maso ?

Moi : - C’est un type de relation entre personnes qui demande beaucoup d’accessoires.

Elle : - Ah, les accessoires, je sais ce que c’est : allume-cigare, pare-soleil, GPS…

Moi : - Mmm, c’est ça. Encore que je ne vois pas trop ce qu’il y a de sexy dans un pare-soleil. Mais pour être honnête avec toi, je préférais le premier modèle de Twingo que j’ai eue.

Elle : - Chuis pas la première alors ?

Moi : - Non. D’ailleurs je ne te l’ai jamais caché.

Elle : - On n’en a jamais parlé non plus… Et alors, qu’est-ce qu’elle avait de plus que moi ?

Moi : - D’abord, elle était muette.

Elle : - …

Moi : - Ensuite, j’aimais beaucoup ses phares ronds et sa bouille ronde.

Elle : - Elle avait de plus beaux accessoires que moi ?

Moi : - Mais non… Elle avait juste l’air un peu plus sympathique, c’est tout.

Elle : - C’est mes pare-chocs ? Tu n’aimes pas mes pare-chocs ?

Moi : - Mais si.

Elle : - Et mon tableau de bord ? Tu l’aimes ?

Moi : - Oui.

Elle : - Et mon volant avec ses surpiqûres façon sellier ?

Moi : - Aussi.

Elle : - Et mes jantes ? Tu les aimes, mes jantes ?

Moi : - Arrête, j’ai l’impression de voir un mauvais remake d’un film de Godard…

Elle : - Tu me dis jamais quelque chose de gentil…

Moi : - Bon alors… Est-ce qu’un jour je m’imaginais faire une déclaration d’amour à une voiture ? (Prenant mon inspiration) Aujourd’hui, p’tite Maguette, tu as trois ans et demi. Je ne sais pas ce que ça fait en années humaines – tu es peut-être comme les chiens, peut-être faut-il multiplier par sept. Tu as vécu pas mal de choses au long de ta courte vie : on t’a foncé dedans à deux ou trois reprises – sans doute des automobilistes qui confondent le bleu Majorelle avec le bleu de la gendarmerie –, tu as connu la dépanneuse en septembre dernier, tu as connu la grêle à Cysoing, les gelées blanches à Verlinghem, la canicule à Seclin et tous les types de temps dans le Saillant d’Ypres… Et, malgré tout, tu restes forte, petite guerrière. Tu as vu aussi des instants de bonheur et de partage – enfin rien qui ne me revienne là à l’instant mais en cherchant bien on doit pouvoir trouver –, tu as gravi des montagnes (ou presque, le mont Cassel culminant à 176 mètres au-dessus du niveau de la mer), tu as été le berceau de moments d’amour…

Elle : - C’est vrai, ça ?

Moi : - Non, mais ne brise pas mon élan… Tu as vu des centaines et des centaines de paysages magnifiques autour de Lille (au moins toutes les zones industrielles de la région), tu m’as vue pleurer parfois mais tu m’as surtout beaucoup entendue chanter !

Elle : - Ah ça oui, alors !!! D’ailleurs, j’aurais peut-être quelque chose à dire là-dessus…

Moi : - Ne casse pas mon élan, je te dis. Tu as l’extérieur aussi beau que l’intérieur, et vice-versa. Il ne te manque que des sièges chauffants pour ravir mes fesses, mais ça, c’est sûrement parce que je me fais vieille. (Après un silence) Alors ?

Elle : - OH OUI ! OH OUI ! PUTAIN C’EST BON ! Ça me fait autant d’effet que l’argumentaire d’un concessionnaire auto, dis donc.

Moi : - Alors, heureuse ?

Elle : - Ouais, pas mal pour un début.

Moi : - Et ça : t’as d’beaux pneus, tu sais.

Elle : - Stop ! Je vais finir par te croire !

Moi : - T’as raison. Et puis ce n’est pas tout ça, mais…

Elle : - Oh, on peut pas continuer un peu ?

Moi : - Non, Cocotte. Il est temps de te souhaite une bonne soirée. J’ai vu quelqu’un ce matin depuis mon balcon, j’ai envie de vérifier si l’événement se répète deux fois dans la même journée.

Elle : - Eh bien ! C’est tout ce que tu as de mieux à faire ?

Moi : - Parce que tes activités sur le parking sont trépidantes ? »

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