L'année suivante, en première année de primaire, j'ai colorié en vert un fantôme au lieu de le faire en blanc cassé. La maîtresse, quand elle a vu mon dessin, a froncé les sourcils. Elle m'a demandé ce que c'était, pourquoi ce fantôme était vert. Je lui ai dit que c'était comme ça, parce que je trouvais que c'était joli, mais elle n'était pas d'accord. Un fantôme, c'est blanc. Elle m'a dit qu'il ne pouvait pas être vert, que ce n'était pas normal. Normal. Ce mot, je le connaissais sans le connaître. Je l'entendais, souvent, si souvent que je me couchais, le soir, ce mot dans les oreilles. Qu'est-ce qui est normal, qu'est-ce qui ne l'est pas ? Si j'avais colorié ce fantôme en bleu, en orange, en marron, aurait-il été normal ? Ou faut-il absolument qu'il soit blanc ? Si on avait décidé que les fantômes seraient verts, et que je l'avais colorié en blanc, là, il serait différent aussi, étrange, pas normal ? Tout doit être défini, uni, banal, ordinaire, normal. Et si justement, c'était cette banalité qui était anormale. La maîtresse m'a dit que ce que j'avais fait, c'était mal. Tiens, normal, mal, ça rime.
Pourquoi ? Ce jour-là, on m'a pointé du doigt. Comme bien d'autres d'ailleurs. Je n'étais pas comme tout le monde, ne faisais pas comme tout le monde. J'étais singulière. Mais ça veut dire unique, rare. Alors, au lieu de changer, pour être normale, pour que mon fantôme soit normal, j'ai continué. Cultivé cette singularité qui ne pouvait pas, à mon sens, être mauvaise. Et j'ai chuchoté à mon petit fantôme vert : " Tu es unique, rare, sois en fière." On s'est battu, ensemble, chaque jour, chaque remarque. Demain, peut-être, je serais ou ferais de nouveau quelque chose pas normal. Mais je continuerai à être différente, à être moi, avec mon petit fantôme vert et unique.