Chapitre 2-1

2 minutes de lecture

Il avait tout prévu.

Même l’éventuelle rencontre avec les miliciens. Il l’avait en fait indirectement provoquée. Et il savait que Hans Mader était de service ce soir. Les idiots, les vrais, sont pratiques pour éviter les mauvaises surprises dans une opération soigneusement planifiée.

Il aurait bien sûr préféré éviter les coups de cravache, mais on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Et le poireau séché n’était pas non plus l’arme la plus contondante, mais les gardes verts aimaient les symboles. Dans le pays, tout était devenu tellement symbolique que plus rien ne fonctionnait.

Et son crâne était solide. Hans Mader ne s’était même pas rendu compte que Karl s’était fichu une perruque sur la tête, renforcée par une armature de toile, qui absorba une partie des chocs.

Par expérience, il savait qu’il valait mieux avoir commis un délit flagrant, provocateur, mais accompagné d’arguments qu’aucun garde vert n’osera contester, plutôt que de se prétendre innocent, de balbutier des « Je n’ai rien fait de mal », agneau égaré qui excite l’instinct du loup milicien, prompt à s’imaginer les pires crimes. Le carnivore végétarien va alors s’acharner sur son suspect, qui panique comme du menu fretin pris dans une nasse, jusqu’à lui faire avouer tout et n’importe quoi.

La bonne vieille méthode de l’inquisition remise au goût du jour.

Karl Ludwig, qui avait la chance de posséder de nombreux anciens livres d’histoire, héritage familial soigneusement dissimulé pour échapper aux rafles des brigades culturelles vertes, avait souvent fait le rapprochement entre les méthodes et surtout l’esprit des dominicains de la papauté à l’œuvre en pays cathare et le régime qui sévissait depuis soixante ans sur le territoire allemand.

Les mots que la grande prophétesse répétait depuis quatre vingtaines d’années, « Je veux que vous ayez peur ! », les miliciens les mettaient quotidiennement en pratique.

En parlant d’elle, et soit dit en passant, la longévité de Gurka prouvait, selon la propagande officielle, le bien fondé du véganisme. Karl Ludwig pensait plutôt qu’elle ne s’était surtout jamais fatiguée au travail, sa seule activité, depuis bientôt un siècle, était de répéter ses souhaits de terreur. Et puis son éternel bonnet lui tenait bien chaud à la tête.

Il y avait néanmoins une différence fondamentale entre l’inquisition et les verts. Autant Karl Ludwig pouvait comprendre, au moins s’imaginer, qu’un chrétien laid, disgracieux, impuissant ou frustré, puisse devenir un inquisiteur papal féroce et sanguinaire, ivre de tortures et de bûchers d’hérétiques, autant la haine qui habitait et la violence qu’exerçaient ces gardes verts, nourris au brocoli et au tofu, restaient pour lui un mystère.

Bien que, en y réfléchissant bien, des années au régime brocoli ne pouvait que produire des individus frustrés et mentalement déréglés.

Karl Ludwig détestait le brocoli. C’était plus fort que lui. Depuis tout petit, il ne supportait pas cette variété de chou-fleur devenu l’emblème de la nouvelle république et qui flottait sur les drapeaux officiels aux quatre coins du pays. Il pouvait manger de n’importe quel légume, mais le brocoli lui donnait des boutons, rien que d’y penser.

Les résistants des zones où le gouvernement avait perdu le contrôle, en avait fait aussi un symbole, celui de l’ennemi, et ravageaient, lors de raids sauvages, les plantations et les magasins de ce pauvre légume qui n’avait en fait rien demandé à personne.

Même pour un légume, il est pénible d’être aimé par des cons.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Xavier Escagasse ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0