Les Candidats-Marathoniens

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Jour 1 - Vendôme - 6h50.


Les Candidats-Marathoniens

D'abord, ça commence mal. Alors que je connaissais ce concours où il n'y a rien à gagner, ceux que je préfère, j'ai oublié de m'inscrire en temps et en heure. Normal, me direz-vous. C'est vrai que cela ne me surprend qu'à moitié. Je suis toujours à la bourre pour tout, dès que ça me concerne. Même quand ça ne me concerne pas, d'ailleurs. En tout cas, me voilà fort marri puisque je ne peux plus concourir pour un challenge dont j'adore la philosophie : écrire pour le plaisir de le faire avec un but quasi-inaccessible pour un néophyte.

50000 mots.

Bagatelle ! Et à écrire en un mois, jour pour jour. Et pas un de plus.
Ça fait quelque chose comme 1667 mots par jour. Sachant qu'il me faut environ une heure pour écrire 500 et quelques mots pas trop entâchés de fautes de saisie ou d'accord, il me faudrait donc dégager quelque chose comme 3 heures par jour pour tenir la distance. Qui dispose d'autant de temps pour faire ça ? A part les étudiants et les retraités, je ne vois pas.

Une telle quantité de mots exige une imagination sans limite et une intelligence rare.. (bon, là...j'abuse ! mais faut que j'écrive 50000 mots, merde !) Faute de ça, la somme des mots ne constituera qu'une suite imbécile et décousue de lettres. Une histoire sans cul ni tête, avec un début, un gigantesque milieu et une fin sans intérêt. C'est vrai que c'est un logiciel qui lira le contenu des textes à couronner de succès. Il suffira que les-dits textes dénombrent le nombre de mots requis...

Et ce n'est pas tout... il faut encore que cette inénarrable histoire soit électronique, impalpable, virtuelle. Pas écrite, en fait. Simplement saisie. Pas comme un beefsteak dans une poêle chaude, mais pas loin.
Et il est obligatoire de se torturer les mains, les doigts sur un clavier d'ordinateur, seul moyen disponible pour compter les mots sans se prendre la tête, sans prendre le risque d'en oublier ou, pire, d'en rajouter...
NanoWrimo impose donc, dès le départ, une belle quantité de préalables, de ces choses incontournables qu'il faut consentir, sauf à prendre le risque de se planter.

Ceci exige une organisation, et pas n'importe laquelle.
D'abord, il faut se préparer à l'effort.

3 heures par jour, pendant 30 jours, ça représente 90 heures de boulot d'écriture. Rien que ça. Mine de rien, c'est pas loin de 3 semaines de taf, sur une base comparative de 35 heures hebdomadaires, par exemple.
Ce qui impose donc de travailler deux fois plus que d'habitude, pour ceux qui, bien heureux, travaillent selon ce rythme Ceux-là disposent encore de pas mal de temps libre. On pourrait même s'amuser à dire qu'ils passent plus de temps à dormit qu'à travailler... Mais bon, je ne voudrais pas en vexer de plus tatillons que d'autres !
D'abord, parce que ça ne changerait rien à mon problème d'emploi du temps, ensuite parce qu'ils ont le bol que je n'ai pas. Voilà, c'est dit.
Ensuite, il faut suivre l'évolution, l'avancement du travail. Il faut compter les mots. Tous les jours. Chez Nano, ils sont sympas, ou cruellement cyniques, parce qu'ils proposent un fichier pré-organisé, une sorte de tableau de bord. J'imagine que tout le monde le sait. S'il devait y en avoir encore à ne pas avoir téléchargé ce fichier Excel, qu'ils se jettent dessus !

Il suffit, en gros, et après un long moment de travail le nez sur le clavier, de perdre encore quelques minutes pour inscrive la quantité de mots accumulés. De la sorte, il est possible pour le candidat de mesurer la distance qu'il faut encore parcourir avant de toucher au but.
Les premières centaines de mots sont faciles à écrire. En effet, l'adrénaline, l'enthousiasme du départ poussent celui-ci à s'exprimer. Volubile, volontiers disert, voire carrément prolifique, le Candidat-Marathonien s'élance avec joie et sans se poser de question superflue. Et puis, l'objectif est encore très lointain. Il relève presque de la chimère. Il est inconcevable lors des premières foulées. Ce but évanescent est l'anti-thèse de la Mort, telle qu'un adolescent (pardon pour eux) ou qu'un jeune adulte pourrait la concevoir. Ou comme la retraite, le mariage, les mômes, la maison. Le jack-pot se gagne à l'arrache, avec ténacité, ruse, intelligence... Une carrière d'écrivain, en somme.

Mais c'est avant tout un Marathon. Il n'est pas seulement question de courir pendant 42 kilomètres. C'est bien pire : il faut écrire 50000 fichus mots à la suite. Un petit livre.
Pourtant, à l'instant du départ, à cet instant où le prétendant à la victoire personnelle s'aligne en même temps que des milliers d'autres inconnus, perdus comme lui dans une armée d'autres expérimentateurs, il ne songe qu'à une seule chose : en être ! Participer, s'élancer, oser ! Oui, il faut de l'audace, de l'inconscience, peut-être. Mais les monts furent-ils jamais conquis par des pusillanimes ?
Combien sont morts d'avoir tenté le Diable, d'avoir pris des risques ? Plein !
Mais qui retient-on ? Ceux qui ont franchi l'obstacle !
Moins dévastateur, Nano invite à faire partie d'une communauté, phénomène très à la mode aujourd'hui, comme pour rétablir des liens humains entre des esprits qui ne sont plus que virtualité, lancés à toute allure dans les câbles et les fibres optiques d'une société qui communique à la vitesse de la lumière (pour les plus heureux !) pour ne rien dire de vrai, de profond.

Alors, par instinct, la plupart se grouillent, s'y mettent sans autre vrai projet que celui de dire ensuite, comme les Grognards de Napoléon (Nano - Napo : même combat ?) : j'en étais !
Vibrer à l'unisson, dans l'effort et la douleur d'un travail personnel inconnu. S'activer au sein d'une équipe dépenaillée d'amis souvent inconnus, qui le resteront pour la plupart. Une équipe bien souvent concrétisée par quelques contacts, quelques échanges électroniques et dont la plupart disparaîtront avant la fin d'un concours où il n'y a rien d'autre à gagner qu'un peu plus de confiance en soi.

Alors, plongeons avec bonheur dans cet inconnu, courons à perdre haleine, heureux de se découvrir des capacités que d'aucun pensait possible ! Et soyons heureux de le faire, oublieux des jours qui passeront toujours trop vite en dépit de nos acharnements et de nos ambitions épuisées par la rigueur de l'effort ! Écrivons !

Ainsi, au terme de ses premiers pas, le candidat inscrira son score du premier jour sur son fichier Excel, déjà déçu, surpris ou émerveillé de sa performance. Et il restera de longues minutes dans l'obscurité de sa chambre, de son bureau, de son salon, le visage froidement illuminé par les rayonnements bleutés de l'écran de son ordinateur.
Moi-même, je tombe dans le piège... Aux mots que j'écris précisément à cet instant de votre lecture, mon texte dénombre seulement 95 lignes, chacune comptant environ 8 mots en moyenne sur mon cahier au papier roux. Voici un premier résultat intermédiaire qui annonce un total de 95x8 ... 760 mots.

760 ridicules petits mots, jetés à la hâte ! Et écrits en... Il est 7h40 du matin. J'ai débuté à 6h50, ce qui me donne une durée de 50 minutes... Ce qui ne fait qu'une moyenne de 15 mots à la minute, soit un quart de mot à la seconde...
Ce jeu est maléfique !

Ce premier pas, écrit sur papier, alors que je suis dans la cabine de mon camion, perdu en Province, devra encore être saisi au clavier... J'espère que le Ciel m'accordera quelques heures supplémentaires tous les jours. 24 heures ne seront pas suffisantes pour faire tout ce que j'ai à faire, pour écrire tout ce que ce fichu concours m'impose pour les trente prochains jours !
Encore six minutes et j'aurais écrit ma première heure de texte. Une heure, concentré sur ce cahier. J'ai mal à la main. L'effort se fait sentir, douloureux et qui ralentit déjà mon allure. Le Marathon commence, je commence à comprendre...

***

Je disais plus haut que Nano impose de s'organiser. Voilà, plus haut, pour ce qui concerne l'effort temporel et physique. Mais ça ne s'arrête pas là. Dommage d'ailleurs, parce qu'avec un peu d'entraînement, la douleur s'estomperait.
Maintenant que me voilà lancé, la foulée encore légère et le souffle régulier, que vais-je faire (la première heure vient de s'écouler...) pendant tout le parcours ? Écouter ma respiration, compter mes pas, me concentrer sur le rythme du bruit de mes chaussures sur le chemin forcément tortueux, regarder le ciel bleu de Novembre ?
Tiens, au travers de la vitre de mon camion, j'aperçois une femme qui trottine avec son petit chien. Elle ne recule pas devant la froidure du petit matin. Les fous de la course à pied sont donc partout autour de moi ? Court-elle pour son plaisir, pour sa santé, celle de son chien ? J'avoue que je ne serais pas surpris si d'aventure elle m'avouait que c'est pour sa silhouette. Encore faudrait-il que je me paie le culot de lui demander. Petit sourire ironique...
Petit sourire content, aussi. Je sais ce que je vais faire pour me donner une chance d'arriver à bon port. Grâce en soit rendue à cette femme et son clébard.
Je vais vous observer, vous, les Candidats-Nano, les Candidats-Marathoniens. Pour faire bonne mesure, peut-être aussi pour combler les inévitables vides à venir, je m'observerai aussi. Puis je déposerai ici, dans la mesure de mes disponibilités, mes réflexions intérieures du moment, du jour ou de la veille.

Il est un peu plus de huit heures du matin. Dehors, les pelouses sont blanches, il fait tout juste 3 degrés. J'ai froid par anticipation. Je resterais bien à l'abri dans la chaleur contrôlée de ma cabine mais le taf m'appelle déjà. Ne me reste que le temps d'inscrire une idée pour la suite : 50000 mots, des Candidats, une organisation. Il faut avoir de la suite dans les idées. Et relire ce qu'on a déjà écrit pour s'inspirer et aller encore un peu plus loin.
Me vient la question infernale : faire paraître ou pas ? Prendre le temps de relire, de corriger, de supprimer, d'embellir, de romancer, de dissimuler, de mentir ?

Pas le temps, j'en ai bien peur. L'axe choisi est celui d'une sorte de journal au quotidien, comme au temps béni de l'innocence et de l'inexpérience...

Alors, candidat Leblog...oseras-tu ? me demande un Général moustachu et bedonnant, le poitrail de sa vareuse gris perle couvert de lourdes médailles dorées. Auras-tu un peu de cette audace que tu évoquais un peu plus haut ? Sauras-tu faire preuve d'humilité et accepter que tous ces inconnus rentrent d'un pas dans ton univers secret ? Es-tu prêt à recevoir les moqueries, les quolibets, les méchantes remarques, comme autant d'aiguillons qui te pousseront à dépasser tes limites ? Sauras-tu lever les yeux assez haut pour défier le soleil, ou plus modestement cette montagne de mots qui se moquent de toi ?

  • Candidat Leblog ! En serez-vous ?
  • Ma réponse : Mon Général, je vous emmerde ! Et je fourbis mes armes ! Vae Victis !

Je suis un marathonien, coincé dans la foule de milliers d'autres et nous courons tous à notre foulée vers un seul et même but : franchir la ligne.
La Dernière ligne !




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