Le verre cassé

4 minutes de lecture

En sortant de l'école, je ne rentre pas tout de suite à la maison. Je traine toujours le plus tard possible en espérant que lorsque je rentrerai, mon père sera endormi.

Je me dirige donc vers l'usine abandonnée située dans l'ancienne zone industrielle de la ville. Il n'y a là que des vieux bâtiments dont la plupart tombent en ruine et ça ne sent pas très bon, mais au moins on y est tranquilles. Je monte par l'escalier de secours qui se trouve à l'arrière de l'usine jusqu'à l'étage le plus élevé. Je rentre par la fenêtre que j'ai forcée, puis me dirige sur la pointe des pieds vers la porte qui permet d'accéder aux combles. C'est vraiment petit et étroit, ici, mais c'est aussi l'endroit le plus tranquille que je connaisse. Une petite lucarne, que je garde toujours ouverte pour aérer la pièce, éclaire les lieux. Je m'assieds juste en-dessous et sors de mon cartable mon cahier de dessins. Je tourne les pages jusqu'à arriver à une feuille vierge. Dans ce carnet, je dessine absolument toutes mes pensées, mes convictions et mes ressentis depuis plusieurs années maintenant. D'ailleurs, il sera bientôt plein. Il faudrait que le dernier dessin de ce cahier soit spécial pour marquer le coup. Et il faudrait aussi que je m'en achète un autre, par mes propres moyens, car je sais que mon père n'acceptera jamais de dépenser ne serait-ce qu'un centime pour "ces bêtises" comme il les appelle. Je fronce les sourcils, puis sors mon crayon de ma trousse pour gratter le papier.

D'en-bas me proviennent les bruits de voix étouffés de la bande qui squatte ici depuis des mois. Ce sont des jeunes un peu plus âgés que moi qui se réunissent ici pour discuter, boire et fumer entre eux. Et ils ne consomment pas que du tabac . . . D'après les odeurs et les discussions qui me sont parvenues au fil du temps, j'ai compris qu'ils étaient mêlés à un trafic de drogue. J'espère juste que la police ne leur tombera pas dessus quand je serai là, sinon je risque des ennuis . . .

Je reste ici à dessiner jusqu'à ce que l'obscurité de la nuit m'empêche de voir ce que je fais. Alors je range mes affaires à l'aveuglette et quitte les combles, puis l'usine. Il fait nuit dehors et la lune est cachée par les nuages. De plus, il n'y a pas une seule étoile dans le ciel pour m'éclairer, mais je m'en fiche. Je connais le chemin par coeur. Je quitte donc l'ancienne zone industrielle dans l'obscurité totale et me dirige vers l'appartement.

Une fois arrivé, je glisse ma clé dans la serrure et ouvre la porte. En entrant, je constate que seul le salon est éclairé. Je retire mes baskets dans le hall d'entrée et m'apprête à me rendre directement dans ma chambre, lorsque la voix grave et sévère de mon père retentit :

- Viens là, Alex !

Je me fige un instant, pousse un soupir d'agacement et entre dans le salon. J'y vois mon vieux debout, au milieu de la pièce, l'air furax. Il me demande en criant :

- Qu'est-ce que t'as encore fait à l'école ? !

- Quoi ?

- Te fiche pas de moi, sale gamin ! J'ai reçu une facture de la part de ton école pendant ton absence ! Ils me demandent un dollar pour rembourser le fichu verre que t'as cassé à la cantine ! C'est quoi ces histoires ? ! Tu trouves que je dépense pas assez pour toi avec ta bouffe, tes vêtements et le loyer ? ! Il faut aussi que je perde de l'argent pour tes bêtises ? ! hurle-t-il en empoignant violemment le col de mon sweat.

En sentant l'haleine qui parvient jusqu'à mes narines, je comprends qu'il a encore bu. S'il ne se calme pas vite, je vais recevoir une bonne raclée !

- C'est bon, lui dis-je pour calmer le jeu, je vais rembourser ce verre moi-même.

- T'as interêt, morveux ! Et maintenant, file dans ta chambre ! Je veux plus te revoir pour le reste de la soirée !

En disant ces mots, il me jette violemment contre le mur. Je me rattrape de justesse et pars en courant vers ma chambre, dans laquelle je m'enferme. Il s'en est fallu de peu . . . Je peux m'estimer chanceux qu'il ne m'ait pas battu jusqu'à l'épuisement. C'est déjà arrivé, une fois. J'ai fini couvert de bleus et en sang. Depuis, j'ai retenu la leçon et je m'arrange pour toujours l'éviter. Et dans les cas où je n'y parviens pas, comme cette fois, je fais de mon mieux pour calmer sa colère et adoucir la puniton.

Je me laisse tomber sur mon lit. Il va falloir que je trouve un moyen de rembourser ce verre par moi-même. Un dollar, ce n'est pas cher, mais je n'ai pas un sous sur moi. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, il faudrait que je fasse un autre petit boulot pour me remplir les poches. En attendant, j'irai voir cette Lisa pour qu'elle me donne ce qu'elle me doit. Après tout, c'est de sa faute si j'ai cassé ce sale verre !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Ystorienne Histoire ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0