La dernière marche

4 minutes de lecture

La célébration était à présent terminée. Les amis et la famille avaient quitté les lieux. La famille. Henry ne savait pas s’il les reverrait un jour. Non qu’il ne les aimait pas, mais il semblait si éloigné d’eux maintenant. La plupart ne se rencontraient guère en dehors des noces et des enterrements. Et les années passant, les mariages se faisaient de plus en plus rares, contrairement aux cérémonies mortuaires. Il se sentait si seul. Il n’avait reçu aucun soutien de leur part, quelques brèves condoléances, mais pas plus. Personne n’avait demandé s’il avait besoin d’aide pour remplir les nombreux papiers, pour organiser les funérailles, ou juste pour un peu de réconfort. Ils ne se trouvaient là que pour prendre des nouvelles des derniers vivants, et accessoirement pour profiter du buffet qui suivrait la dépose du cercueil dans la crypte familiale.

« C’est tellement difficile sans toi ». Une larme coula le long de sa joue. Il attrapa son mouchoir en tissu au fond de la poche de son veston, et s’essuya les yeux. « Que vais-je bien pouvoir faire dans cette maison vide ? ». Son regard se brouilla à nouveau.

« Henry, viens par ici ». Etait-ce le fruit de son imagination ? Le vent dans les branches ? Ou quelqu’un s’amusait-il à le tourmenter ?

« Henry entre, ils sont partis ». Le son de la voix se confondait avec un bruissement de feuilles. Il observa à droite, à gauche. Personne. En se retournant, il vit un groupe s’éloigner en discutant, certains jetant de brefs coups d’œil par-dessus leur épaule dans sa direction. Était-il le seul à entendre cette voix ? Impossible.

« Vient Henry, entre, nous devons parler »

---
La petite porte grinça. Il entra, puis tira à nouveau la grille derrière lui. Il voulait être seul. Cela lui faisait du bien de se trouver dans le caveau à côté de sa princesse. Il observait les cercueils de ses aïeux, certains reposaient ici depuis plus de cent ans.

« Viens, n’ai pas peur. Pousse donc les fleurs du tabouret, et assieds-toi près de moi ». Pas de doute, cette voix appartenait à sa Liz bien aimée.

« Pourquoi te sens-tu si triste ? ». Cette douceur le réconfortait. Elle lui rappelait tant de bons souvenirs.

« Réjouis-toi pour moi plutôt. Avec la maladie, je n’en pouvais plus de ne pouvoir me lever. Six mois que je ne sortais plus de cette pièce. Et je souffrais tant de te voir rester là, auprès de moi. Je te regardais tourner en rond, sans rien faire, à attendre mon prochain repas, ou ma toilette ». Elle n’avait pas tort. Il ne se rappelait plus depuis quand elle ne pouvait plus quitter le lit. Il commençait à reprendre ses esprits.

— Mais que vais-je faire ?

— Tu vas pouvoir enfin entreprendre les grands voyages dont tu as longtemps rêvé. Depuis le temps que tu me rabâches l’immensité de l’Himalaya, maintenant il est temps. Profite !

— Mais si j’y vais, qui s’occupera de la maison ?

— Je ne sais pas moi, si tu ne souhaites pas la vendre loue là. Mais je t’en prie, tu as toujours voulu découvrir les mystères de l’Inde et du Népal. Nous n’y sommes jamais rendus avec ma santé fragile. Tu ne t’es jamais plaint, mais il est temps pour toi d’en profiter.

— Mais je me retrouverais si loin de toi, j’aurais l’impression de t’abandonner.

— Pas du tout. Maintenant que je suis partie, je ne suis nulle part et partout à la fois. Je me trouverais toujours avec toi, tant que tu penseras à moi. Tu te rappelles de ce dessin animé où un petit garçon retournait au royaume des morts ? Pour que son défunt père ne disparaisse pas définitivement, il suffisait que quelqu’un de vivant songe encore à lui.

— Oui, je me souviens de ce film. Coco, je crois.

— C’est ça. Et bien là, c’est la même chose. Tu ne dois pas m’oublier. Mais je ne veux pas non plus être égoïste. Voyage. Pars. Emporte ma mémoire avec toi. Et le soir, tu trouveras toujours un endroit où tu pourras allumer une bougie pour moi.

— Mais, que vont dire les gens de me voir quitter les lieux ainsi, et de profiter de la vie ?

— Depuis quand te soucies-tu du regard des autres ? Et à ma connaissance, personne ne t’a aidé dans cette épreuve.

Elle disait vrai. Il ne répondit pas, mais la vision des sommets et leurs neiges éternelles, des temples colorés prenait de plus en plus de place dans son esprit.

Liz avait raison ; plutôt que de se morfondre dans sa maison froide, il allait partir. Et emmener son souvenir avec lui. Pour ne pas l’oublier. Et vivre.

---

Depuis deux ans, Henry voyageait à pied aux travers des vallées de l’Hymalaya. Il avait débuter son périple par Katmandou, puis il avait emprunté des sentiers qui l’avaient mené au pied de l’Everest. Il poursuivi ensuite vers l’ouest du Népal, vers la région des Annapurnas. Fidèle à sa promesse, il allumait tous les soirs une bougie dans un temple. Ou encore il accrochait des drapeaux de prières aux passages de cols. Il n’oubliait pas Elisabteh. Elle se tenait auprès de lui. Sa santé déclinait. Il savait qu’il arrivait au bout de son voyage. Mais il était heureux. Il allait bientôt la retrouver. Elle l’attendait, il le sentait. Il souriait en regardant les hauts sommets qui l’entourait. Si proche du ciel, si proche d’elle. Il ferma les yeux et repris sa marche en avant, sa dernière marche.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire steff44 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0