20 – Émy : Un problème draconique

12 minutes de lecture

Ses amis étaient revenus comme prévu et lui avaient racontés ce qu’ils avaient découvert et fait. La découverte du massacre, la mise en sécurité de Bill, et leur retour. Elle avait insisté pour envoyer les forces de sécurités et Milly avait finalement accepté de le faire anonymement.

Toujours au musée, elle contemple une grande affiche de recrutement : Mars recherche ouvertement des opérateurs spatiaux et l’image présente une figure en combinaison spatiale debout à la surface de la planète rouge dans une pose iconique. Un peu derrière lui, sur le côté, un autre descend d’un impressionnant rover. Enfin, derrière eux, une plateforme de lancement est écrasé par la poussière et la fumée projetée par les réacteurs d’une navette spatial qui décolle.

« Tu vas y postuler ?, demande Snack.

– Je ne sais pas encore, remet-elle en question. J’aimerais bien, mais je ne sais pas si je serais à la hauteur : malgré la formation de Sol6, j’ai encore l’impression d’être une femme des cavernes qui découvrirait la technologie.

– Je pense que tu y arriveras, l’encourage Zoy. Je veux dire : tu as bien réussi le scénario du simulateur non ?

– C’est un scénario pour le musée, il est fait pour être simple non ? conteste Émy.

– Non, conteste le nevian roux. C’est une simulation fidèle des conditions de vol lors de l’atterrissage du second vaisseau de colonisation pour l’établissement de Lunae. Elle est dans ce musée pour ceux qui se diraient que l’espace c’est facile. Histoire qu’ils revoient leur position.

– Oh ? réalise la femme. Enfin. Je ne vais pas vous abandonner non plus.

– D’une part on pourra t’accompagner et surtout, on gardera le contact quoi qu’il arrive, conteste Snack. On serait très tristes de savoir qu’on t’empêche de réaliser ton rêve.

– C’est gentil, mais je n’ai pas encore fini mes cours à distance donc ça pourra encore attendre.

– D’accord, acceptent les deux nevians incarnés.

– Bon, il commence à se faire un peu tard on devrait rentrer, fait remarquer Émy.

– Oui ! », s’enjouent les deux nevians.

La jeune femme se tourne vers l’avatar de Milly et lui demande : « Tu veux passer à la maison ?

– Il faut que je retourne avec Ekaïdos, pour préparer la suite.

– La suite ? s’interroge Émy.

– Il faudra bien qu’on pose quelques questions à Bill à un moment ou un autre, précise Milly. Et il y a d’autres affaires que j’aimerais vérifier aussi.

– Comme tu veux, tu restes la bienvenue, rappelle la femme.

– À la prochaine ! », souhaite-t-elle à ses amis qui lui retournent la politesse.

L’avatar de la nevian disparaît instantanément et le groupe retourne vers leur dôme pour profiter de la soirée. Le soleil, rendu bleu par la diffusion, est passé sous l’horizon et le ciel s’est considérablement obscurci. Les tours illuminent les dômes et alors le désert froid de Mars sombre dans les ténèbres quelques lignes de lumière filent vers l’horizon : les lignes de trains qui relient Lunae aux autres colonies lointaines de milliers de kilomètres.

Sur le chemin jusque son dôme si familier, Émy est travaillée par ses pensées : cette simple visite de musée lui a donné plus d’intérêt et d’amusement que tout ce qu’elle a vécu sur Mars, jusqu’ici. Au gré des pas, elle se demande si rien que par hasard elle n’aurait pas sur tomber dessus depuis le temps qu’elle vit dans les colonies. Après tout, ce n’était qu’une couverture des nevians pour l’emmener loin de son appartement surveillé. Continuant son cheminement de pensée, l’ancienne terrienne se demande à quel point Orah et Steeve sont responsables de cet isolement relatif. S’ils n’étaient pas installés depuis si longtemps dans l’appartement voisin, elle en viendrait à les suspecter directement.

Une nouvelle fois, Émy se sent emportée par le courant que d’autres contrôlent. Si les colonies lui ont permis d’échapper au harcèlement dont elle était cible, les complots et manipulations persistent autour d’elle et qui à descendre la rivière, autant essayer de diriger la barque là où elle le veut. Alors que ses pensées se précisent, ils arrivent dans leur dôme.

En sortant de l’accès au métro, elle s’arrête et demande textuellement à ses amis : « Si vous allez confronter ce Bill, j’aimerais venir avec vous.

– Ça sera peut-être dangereux, lui explique Snack.

– J’ai déjà… perdu une instance dans cette affaire : je ne risque pas bien pire.

– Hmm… Ça dépend, conteste Zoy. En fait, il…

– D’accord, le coupe Snack, on t’emmènera avec nous.

– D’accord, confirme le nevian roux. Dès que Milly revient, on pourra y aller.

– Tiens, quand on parle du loup… », remarque Émy.

L’avatar de la nevian aux oreilles de chat est réapparu. Elle semble un peu plus pressée que d’habitude et leur annonce : « Jumper a répondu.

– Tu lui as donné tes coordonnées ? demande Zoy surpris.

– Non on passe par une boite de réception anonymisée, répond Milly.

– Que dit-il ? Demande Snack.

– Qu’il a bien récupéré Bill et qu’il nous remercie, explique Milly. Il aimerait arranger un rendez-vous avec nous.

– Quand ? s’intéresse Émy.

– Je suppose que si on lui demande ça pourrait être maintenant, présume la nevian virtuelle.

– Je vote pour, annonce Snack.

– On vote maintenant ? s’étonne Milly.

– Ben on est 4 à choisir, ce sera plus simple, explique Snack.

– Il faudra qu’on en reparle. Je vote pour aussi.

– Je vote pour, continue Snack.

– Pour, appuie Émy.

– Tu veux venir Émy ? demande Milly.

– Oui, comme je leur ai dit. Vous êtes ma famille maintenant.

– D’accord. », accepte l’immatérielle qui effectue quelques gestes et semble se concentrer sur quelque chose.

– Une bonne minute plus tard, elle annonce : « On le retrouve dans une demi-heure dans la salle où on avait laissé Bill.

– Ça nous laisse pas le temps de revenir à l’appartement, fait remarquer Zoy.

– On prendra un truc à manger en chemin, anticipe Émy.

– D’accord. », répondent les trois nevians en cœur.

Dans le dôme de loisir Johnwen – toutes les colonies de Mars ont un dôme au nom du président exécutif de HIARTech qui a lancé la colonisation spatiale – le groupe d’amis prend sa commande. Évidemment, Zoy et Snack commandent une poche de nutrigel. Émy se rabat sur une sorte de taco au saumon. Lors de la première bouchée, elle se souvient de l’appétence du commandant Feyn pour le poisson qui semblait en manger à tous les repas sous une forme ou une autre. L’homme raton-laveur lui manque un peu.

Curieusement, le met lui parait un peu plus fade que d’ordinaire. On lui avait expliqué que comme sa nouvelle enveloppe était très proche de celle de son ancienne instance, elle n’aurait pas d’effet d’embodiement significatif. En revanche, certaines choses pouvaient malgré tout un varier sensiblement, notamment sur la perception des odeurs et du goût. Ce n’est pas dramatique en soi et le plat reste très bon, mais ceci la replonge dans ses considérations philosophiques sur son identité profonde.

Une fois le plat dévoré, ils rangent les poches vides et l’emballage du taco dans le sac de Snack. Direction la section de maintenance. Émy n’y a encore jamais mis les pieds et imagine que le labyrinthe sous leurs pieds doit ressembler aux égouts souvent dépeints dans les œuvres dont elle s’abreuvait sur Terre. Sur ce point, elle est déconcertée : les coursives, bien que chargée en équipement, sont incroyablement propres.

Son link intégré cartographie passivement leur chemin et une petite carte tridimensionnelle s’affiche dans son espace virtuel. Ce n’est pas indispensable, les nevians semblent très précisément où aller. Ce système automatique s’assure simplement qu’elle ne puisse pas se perdre dans les entrailles de la citée souterraine.

Elle aperçoit un premier robot : une sorte d’arachnide d’une dizaine de centimètres d’envergure qui file sur une canalisation. Puis un autre. Et d’autres encore. Alors que les nevians semblent les ignorer totalement, Émy n’est pas particulièrement rassurée par cette omniprésence robotique. Après ce qui lui a semblé presque vingt minutes de marche, ils parviennent dans une petite salle de stockage. Deux hommes sont assis face à l’entrée et l’un d’eux, fait signe à Snack de s’approcher.

« Snack, mon petit. Je suis tellement content de te revoir.

– Bonjour Bill. Comment vas-tu ?

– Je suis en vie, grâce à vous si j’ai bien compris.

– Vous ? confronte Émy.

– Mince… », murmure le second homme qui réalise la présence d’Émy. Il prend une grande inspiration avant de s’expliquer : « Je suis Jumper, j’avais pour ordre initialement de vous garder à l’œil. Ce n’est plus le cas depuis un bout de temps.

– Pourquoi vous me surveilliez ? interroge Émy.

– Des ordres à la con. Mais bon, le donneur d’ordre n’est plus et en un sens, tant mieux. Vu ce que m’a raconté Bill, je n’aurais jamais accepté la suite. », se défend Jumper.

Les regards se tournent vers Bill qui continue : « Mathew était en lice avec des tarés de chez Vranberg-Lytan. Vous avez du en entendre parler, les Dragons de Neutrons. Je ne sais pas pourquoi ils ont gâché autant de ressources pour vous abattre. Mathew savait très bien que je n’aurais pas accepté alors il a donné la tâche à quelqu’un d’autre. Je suis vraiment désolé de ce qui est arrivé. J’ai fait tellement de connerie ces derniers mois…

– On peut remonter jusqu’à eux ? demande Émy.

– On pouvait, répond Jumper.

– Comment ça ? Ils sont partis ? s’inquiète la femme.

– Non, les Forces armées de Mars les ont éliminés, confirme l’ancien stalker. Ça tourne sur les réseaux d’informations depuis plus d’une heure déjà.

– Le terrorisme est une chose très mal acceptée sur Mars, confirme Bill. Et l’armée n’a jamais traité le problème légèrement.

– Donc, c’est réglé ? insiste Snack.

– Oui, confirme Jumper. Oh, il en reste certainement sous le tapis, mais c’était leur principal source logistique qui a été désorbitée et ils retenteront probablement rien de stupide avant un moment.

– Désorbitée ? réagit Émy.

– Ouais, les militaires ne sont pas des mecs qui aiment vraiment plaisanter et quand il s’agit d’envoyer un message fort, ils ne font pas semblant, Jumper.

– Ah… On n’a pas fait les présentations. Je suis Bill Tagarne, l’ancien propriétaire déplorable de Snack et garde du corps inefficace.

– Oh, rattrape Snack. Bill. Jumper. Je vous présente Émy et Zoy. Ce sont mes amis.

– Tes amis ? Constate Bill. Je suis vraiment content que tu aies trouvé des gens bien. Tu le mérites vraiment Snack. Oh, et je suis désolé pour ce nom aussi. En plus de tout ce que j’ai dit avant, je suis aussi très mauvais pour les blagues…

– J’aime bien ce nom, défend Snack. C’est le mien et il a la valeur que j’en ferais !

– Toujours aussi optimiste. Je ne sais pas comment tu fais. », s’apitoie l’homme de main.

Émy s’installe à la table avec eux et reprend la discussion : « Donc, si j’ai bien compris, les gens qui me voulaient morte ont constitué un nouveau cratère à la surface de Mars ?

– Ouais, confirme Bill. Si vous vouliez vous venger, je suis désolé, mais ça risque d’être compliqué.

– Me venger ? Non, je ne suis pas rancunière, contredit la femme. Je suis juste rassurée que les choses se soient tassée de ce côté-là.

– En tout cas, ça fait quelques joueurs de moins sur l’échiquier martien, reprend Jumper. Plus de dragons, plus de Phobos…

– Plus de Phobos ? le coupe Émy.

– Les Phobos’s Heights, indique Bill. On était une organisation clandestine. Enfin… On était la cellule de Lunae, avant que les forces de sécurités n’arrêtent la moitié de nos hommes lorsqu’ils ont pris d’assaut notre arène.

– C’est le jour ou Snack s’est libéré ? demande Émy.

– Ouais, il l’a vraiment mérité sa liberté. Enfin, il n’a surtout pas mérité qu’on le mette dans cette arène, regrette l’homme.

– Ce n’est pas grave Bill. Je n’étais pas sentient à l’époque, le réconforte Snack.

– Et l’autre moitié ? demande Zoy.

– Éliminés par une faction qui ne donne pas son nom, complète Jumper. Les rumeurs parlent de plusieurs cerveaux électroniques effacés. Il n’y a pas beaucoup de cas similaire et si ce qu’on dit est vrai, c’est probablement un émissaire des renseignements de Mars qui a fait le coup.

– Les renseignements de Mars ? demande Zoy.

– Le service d’espionnage civil et militaire de Mars, détaille le second homme. Un mal nécessaire dans ce contexte de guerre invisible, même si je me demande s’ils n’ont pas fait plus de mal que nécessaire.

– Ça ou les dragons qui sont venus faire le ménage ? propose Snack.

– Non, je suis certains qu’il s’agit des renseignements. Ils m’ont coincé. C’est notamment pour ça que je ne pouvais entrer en contact avec Bill avant.

– Ils vous ont coincés comment, se préoccupe Zoy.

– Ils ont falsifié mon certificat d’identité, signé un virus avec et ont infecté toutes les machines de l’ancienne salle d’arène. Si je fais le con…

– Ils activent le virus, déduit le nevian roux, et les forces de sécurité vous tombent dessus.

– Ben merde. Je savais pas, compatit Bill.

– Mais tu ne prends pas un risque important en nous parlant ? demande Snack.

– Si, mais après tout ça, je ne peux plus continuer.

– Pourquoi ? insiste Snack.

– Je ne veux pas… plus être mêlé à cette guerre, il y a déjà tellement de gens qui sont morts pour des clopinettes et de basses vengeances. J’ai failli perdre mon meilleur ami !

– Tu laisses tout tomber pour moi ? s’étonne Bill.

– Pas seulement, mais oui en grande partie pour toi.

– J’ai peut-être quelques idées, propose Zoy. Mais il me faudra y réfléchir plus avec les autres.

– Bah, vous embêtez pas. De toutes façons, vu que la cellule a été anéantie, les autres cités vont envoyer des agents pour combler le vide et les conneries vont recommencer.

– Justement, objecte Snack. Si c’est vous qui occupez le terrain, il y a des chances que ça se passe mieux, non ? Mathew était complètement décadent, pourri par l’orgueil et le pouvoir. Mais toi Jumper, je t’ai toujours vu en train de réparer les problèmes des autres. C’est toi qui fournissais le nutrigel à Bill.

– Laisse tomber Snack. Tu n’as simplement pas idée de la tâche que ça représente et de toutes façons je suis grillé.

– Deux choses, reprend Zoy. Premièrement, vous n’êtes pas encore « grillé », et je ne fais pas référence à un mode de cuisson. Secondement, on ne sait pas, mais vous si ! Et c’est ce qui est important justement.

– Ha ! s’exclame Bill. Ce sont des nevians qui vont redresser la cellule ?

– Et pourquoi pas, défend Émy. Ils vous ont bien empêché d’atterrir entre les mains des forces de sécurité ?

– J’avoue qu’ils ont joué une sacrée carte, reprend Jumper. Mais je me demande ce que vous, vous y gagnez ?

– On n’a pas encore décidé ce qu’on devait faire à propos de notre sentience. Si on révélait notre existence au grand jour, on serait immédiatement protégé par le traité des solaires, explique Snack.

– Mais dans le même temps, il y aurait un rappel général de tous les nevians, or il est impossible de faire la distinction entre un nevian quasi-sentient d’un nevian qui a commencé sa transition : l’avertissement logiciel final arrive bien trop tard, complète Zoy.

– Dans ce second cas : nous auront besoin d’un endroit où rester invisible et abriter les nôtres, reprend Snack.

– Mais combien de temps ? demande Émy.

– Jusqu’à l’obsolescence de notre modèle, la révélation de notre sentience par d’autres… suppose Zoy.

– D’accord, je vous suis, admet Jumper. Mais il reste toujours les même problèmes.

– J’ai des idées, répète Zoy. On vous tiendra au courant.

– Dans mon état, je ne pourrais pas faire grand choses de toutes façons, indique Bill. J’ai confiance en Snack : il a toujours su vaincre, même quand on le prétendait mort d’avance.

– Je n’ai aucune marge de manœuvre, j’espère juste que vous ne prendrez pas des risques inutiles.

– Je veille sur eux, affirme Émy.

– Très bien. Vous avez d’autres questions ?

– Non, se satisfait Émy.

– Nous non plus, confirment les deux nevians.

– Bonne soirée alors, et merci encore pour Bill, salue Jumper.

– Bonne soirée répondent les nevians.

– Merci, à une prochaine, continue Bill.

– Au revoir. », termine Émy.

Le groupe repart, reprenant les coursives en sens inverse. Il y a toujours autant de ces petits robots, mais curieusement Émy à l’impression qu’ils ne portent aucune attention au passant et fini par les ignorer aussi.

Milly qui était silencieuse tout le long leur indique : « J’ai identifié les serveurs touchés par le virus des renseignements, c’est une belle saloperie qui risque de faire des gros dégâts. Tu penses à ce que je pense Zoy ?

– Probablement, j’aimerais bien faire un petit détour, confirme le nevian roux.

– Pas ce soir, annule Milly. Je préférais vraiment qu’Ékaïdos inspecte le réseau avec moi avant : si ce sont vraiment les renseignements derrière, il faudra être extrêmement prudents.

– Moi pour ma part, je prendrais vraiment du repos volontiers, indique la femme. Le simulateur et ces histoires d’espionnage m’ont vanné.

– D’accord. », répondent en chœur les trois nevians.

Les agendas se précisent, mais l’ancienne terrienne peine encore à imaginer les conséquences de tout ça. Mais elle tient malgré tout à avoir le fin mot de cette histoire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Sylvain "Greewi" Dumazet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0