6 – Bill : La graine du chaos

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Jamais l’arène ne lui avait paru aussi sinistre. La salle est pratiquement plongée dans l’obscurité et le dôme de grillage sombre est la seule partie éclairée par les projecteurs. Plusieurs caméras montées sur des spiderbots diffusent leurs images sur la réalité augmentée exposant l’intérieur de l’arène.

Snack pénètre dans l’arène et Bill ressent comme un pincement au cœur. Tout le monde retient son souffle et la chose de Zeisky entre à son tour. Elle ressemble à une espèce d’oursin pourvu des appendices des créations précédentes de la femme.

La chose lance l’un de ses appendices et en l’espace d’un clignement de cil, le nevian l’esquive et s’est repositionné loin de la zone d’impact du dard qui explose dans une gerbe d’acide. La créature monstrueuse abandonne cette partie désormais inutile qui se détache du reste du corps. Le béton et la poussière au sol commencent à réagir, dégageant une fumée dense qui s’étale au sol commençant à former une nappe de brouillard miniature.

La boule de pointe continue de faire « face » à son adversaire en fourrure qui d’un bond passe au-dessus d’elle accroché au grillage supérieur. L’oursin lance un nouvel appendice qui vient s’éclater sur la grille, projetant son le venin corrosif jusqu’au plafond de la salle. L’acide retombe sur la créature, bien joué Snack, mais elle ne semble pas affectée. Dommage.

Le nevian s’est replacé au-dessus du premier impact. La nappe de fumée toxique lui interdit désormais tout le sol. Même l’oursin géant commence à disparaître sous l’épaisse fumée grise et l’espace sûr pour Snack se réduit dangereusement.

Quelques spectateurs semblent s’inquiéter, mais des systèmes de filtrage atmosphérique aspirent le dangereux gaz qui s’approche trop près des gradins. Si snack parvient à temporiser assez, peut-être que ces aérateurs lui laisseraient assez de temps pour récupérer un espace de manœuvre suffisant ?

Une autre explosion d’acide atteint le plafond, et ce coup-ci elle a atteint une canalisation qui commence à fuir abondamment et répand son contenu dans l’arène, trouant la couche de fumée. Les réparations seront certainement aux frais de Zeisky : cette idée est pour Bill comme une petite vengeance.

La créature hérissée est désormais totalement invisible sous son manteau toxique. À la surprise générale, Snack émet des sortes de clics avec sa langue. Le petit être essaie de faire de l’écholocation, analysant les ondes sonores qui lui reviennent pour déterminer la forme de l’environnement à travers la fumée. L’effort est louable, mais avec une oreille de moins, la technique est peu concluante. Fidèle à sa détermination, il ne cède pas pour autant et continue, suspendu à la cage de l’arène.

L’oursin n’a toujours pas répliqué : serait-il lui-même gêné par l’imposante fumée ? Bill jette un œil à Zeisky par-dessus Mathew. Elle est concentrée, assise en tailleur, les deux mains sous ses joues et le regard rempli de contrariété. Les choses ne se passent pas comme prévu ?

Mathew se redresse et demande à Jumper : « Ces idiots auraient déjà dû couper l’eau. La salle va être salement inondée. Va voir, coupe l’eau et engueule-les pour moi.

– D’accord ! », accepte le technicien qui se lève et traverse la salle, prenant bien soin de rester derrière les aérateurs, loin de l’espace toxique de l’arène.

Alors que l’eau continue de couler, la production de fumée semble ralentir : diluée, la substance corrosive n’attaque plus aussi fortement la surface bétonnée. Et les aérateurs jusque-là dépassés commencent à reprendre le dessus. Pour autant Snack n’a pas cessé ses clics et reste attentif suspendu des quatre membres à la grille. Depuis plus de deux minutes, l’autre créature n’a pas donné signe de vie, mais il parait peu probable qu’elle se soit simplement asphyxiée dans sa propre fumée.

Au plus fort de l’attente, un cri retenti depuis la zone technique. C’est la voix de Jumper. Rapidement pris en relais, d’autres hommes hurlent : « On a un intrus ! ». Un autre annonce à pleine voix : « C’est Nightly ! ». À ce moment précis le réseau aérien cesse de fonctionner, coupant tout recours à des renforts.

La justicière d’Elysium en a après eux ? Elle n’est pourtant encore jamais venue à Lunae. Elle a vraiment étendu son terrain de chasse au mauvais moment.

Presque simultanément trois grenades sont propulsées par-dessus l’arène en direction des gradins, deux neutralisantes, une d’isolement note inconsciemment Bill. Immédiatement les, trop nombreuses, personnes armées dégainent et commencent à arroser la zone de munition supersoniques dont la plupart ricochent aléatoirement sur le grillage de la zone des combats.

Le logiciel de combat de Bill s’active, et se saisissant de Mathew, il se jette en arrière pour se servir des sièges comme d’une couverture. L’explosion violacée des deux engins neutralisant illumine très brièvement la pénombre de la salle et le garde du corps entend des cris de tétanie et l’impact de corps qui s’effondrent au sol. Dans le même temps, un horrible bruit blanc et des flashs lumineux d’une effroyable violence remplissent l’espace sensoriel, rendant pratiquement tout le monde aveugle et sourd. Heureusement, Bill se trouve partiellement abrité par la structure qui forme l’imposante estrade du chef d’arène.

La fusillade se poursuit, entrecoupé des impulsions lumineuses de l’engin de la gamine. Même si les effectifs des hommes valides de Mathew se sont radicalement réduits, le combat continue. Le garde du corps se rend alors compte que la justicière a synchronisé ses tirs avec les battements lumineux de son arme, rendant les faisceaux violacés de ses armes invisibles. Sans s’en rendre compte, les derniers hommes et femmes de la mafia martienne tombent les uns après les autres, atteint par les tirs qui traversent la pièce depuis une position impossible.

Le tumulte se calme et, à travers la structure des gradins, Bill aperçoit une enfant aux couettes violettes arborant une armure assortie, enveloppée dans une cape noire. Elle s’avance avec détermination sur le côté de l’arène et semble se diriger droit vers l’estrade du maître de l’arène. Un des hommes de main qui feignait d’être tombé tente de sortir une arme, mais elle l’abat d’un tir shock en pleine tête d’un geste furtif. Sur son passage elle ramasse ses trois grenades réutilisables et les attache d’un unique mouvement dans son dos.

Bill balaie les alentours pour prendre pleinement conscience de la situation. D’un rapide regard du coin de l’œil, il constate que Mathew va bien malgré la chute. Les rumeurs veulent que la gamine soit une psion, une de celle qui maîtrise « l’espace ». Et le garde du corps sait qu’elle ne peut pas discerner une chaise d’un homme par les « simples » perceptions de son implant, tant qu’ils ne bougent pas. Sans un bruit, il intime l’immobilité et le silence à son employeur recherchant mentalement un plan pour atteindre la sortie sans s’exposer aux tirs de la gamine.

Nightly progresse et s’avance près de l’estrade qu’elle escalade calmement. Une fois arrivée en haut, elle se penche sur le corps de Zeisky. Sortant un pistolet injecteur, la justicière lui administre quelque chose, probablement un sédatif ou un traceur. L’attrapant par le col, elle la traîne ensuite en bas des gradins, d’une force presque grotesque pour sa taille, enjambant un corps inanimé. Alors que sa proie de la gamine atteint le sol en béton de la salle, une explosion d’acide se produit à nouveau, plaçant l’enfant dans une posture défensive.

Dans la grande cage, Snack n’a pas encore terminé son combat. Avec l’eau qui protège en partie le sol de l’arène et les aérateurs toujours en fonction, le Dévoreur a émergé de la couche de poussière. Mais il n’a désormais plus aucun projectile à sa disposition.

L’enfant observe la scène incrédule : le nevian encore accroché au plafond de la structure évolue avec une certaine grâce et une grande vivacité. De son côté, la boule de pointe trottine à un rythme plus lent, visiblement dans la direction de Snack qui commence à en jouer pour la guider dans l’arène. Si Zeisky est la mère de créatures terrifiante et implacablement efficace, elle a toujours sous estimé l’utilité de l’intelligence dans l’arène et Snack est en train de le lui faire payer. Soudainement, comme s’il s’était remplie de frustration, le Dévoreur se met à grogner…

Puis il explose. Projetant épines et acide dans toutes les directions forçant Nightly à se jeter à terre et poussant Bill à faire de même. Les derniers éclats de la créature terminent leurs ultimes rebonds et Bill risque un œil : Snack est toujours accroché au plafond de la cage, et visiblement des aiguilles ont dû lui traverser le corps en plusieurs endroits. Le pauvre nevian tente maintenant de se rincer de l’acide qui lui couvre le dos sous la chute d’eau artificielle qui inonde de plus en plus la salle.

Alors que la fumée commence à envahir à nouveau la salle, la justicière ouvre un cercle de lumière au sol, jette Zeisky dedans avant de la suivre. Le portail se referme derrière elle sous le regard édifié de Bill.

« On devrait y aller. Je parierais qu’elle a prévenu les forces de sécurité ! », indique rapidement le garde du corps, mais, comme fasciné, Mathew ne réagit pas, observant la scène. Comme émergeant de sa sidération, il murmure :« Cette gamine avait une sacrée réputation te je pensais que c’était des conneries… Mais là, je comprends.

– On ne devrait pas rester ici, insiste Bill.

– Oui, attends, je dois prendre un truc. », temporise le chef de l’arène tandis qu’il lance une commande dans son espace virtuel. Quelques instants plus tard, l’un des petits drones qui filmaient le combat de l’arène se pose dans sa main.

« Tu es sûr que c’est le bon moment pour prendre un souvenir ? Demande Bill agacé.

– Il n’a pas seulement suivi les exploits de Snack, répond froidement l’homme : il a aussi ceux de cette Nightly. »

Satisfait, il se lève et indique l’un des accès de la salle d’un geste de la main. Bill ouvre alors la marche. Empruntant les tunnels de maintenance du dôme situé au-dessus d’eux, ils s’éloignent rapidement de la scène du désastre. Se retournant brièvement, il aperçoit Snack qui prend le chemin du local où il était entreposé entre les combats. La petite créature noire tient son petit sac à dos rouge. Il fait un petit signe de la main à Bill qui lui répond d’un même geste.

Mathew s’aperçoit de la présence de la créature et posant sa main sur l’épaule de Bill, il dit : « Va le féliciter et fait tes adieux, nos routes ne sont pas prêtes de se recroiser.

– On pourrait le garder non ? fait remarquer l’homme de main.

– Tu lui as promis la liberté, reproche l’homme d’un ton sévère.

– Oui. Snack. Tu… Tu as gagné. Bravo mon ami.

– J’ai fait le mieux que je pouvais, s’enjoue-t-il malgré ses blessures.

– Oui. Tu es un bon nevian. Le meilleur des nevians. Et tu es libre.

– Je peux rester avec toi ? », demande Snack.

Bill jette un œil à Mathew qui fait non de la tête.

« Non, tu es libre. Va à la surface, tu trouveras des gens… bien meilleurs que nous.

– C’est fini les combats alors ?

– Oui.

– Oh… », conclu le nevian d’un ton qui rappelle à Bill l’incertitude plus que la déception.

Des bruits de pas d’hommes en cours de déploiement retentissent au loin, distordus par les multiples échos de murs de la section de maintenance et poussé par le temps, Bill termine : « Adieux Snack ! Porte-toi bien !

– Adieux Bill. Tu as été un bon propriétaire. », souhaite le nevian d’une sincère naïveté.

Snack repart, titubant vers ce qu’il a toujours connu comme sa maison. Pris à la gorge, Bill reste interdit et Mathew dois le tirer par le bras pour le faire réagir. De retour à la situation précaire où ils se trouvent, il reprend la marche et les deux hommes s’enfuient à travers le réseau compromis.

Un bon propriétaire. Une grande plaie déchire le cœur de Bill qui en réalise le sens.

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