Chapitre 5 - Sohalia -

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Mémoire de rêve de Sohalia : 

 "Eh !! Attends-moi, ne va pas si vite, criais-je."

Son rire cristallin résonna dans la large salle et je me mis à courir plus vite.

"Dis, tu me jures qu'on sera ensemble à jamais ? entendis-je dans un murmure.

— Oui, je t'aime de tout mon cœur ! répondis-je en envoyant des bisous invisibles de la main."

Je sortis par la grande porte et arrivais dans le jardin, plus luxueux que jamais à cette époque. Les bras étendus en l'air, je tournais sur moi-même, riant avec le soleil et les oiseaux. Je fermais les yeux un instant, savourant la chaleur de l'été et l'odeur des fruits mûrs.

Tout était si parfait... »

~Sohalia, 16 ans, année 2015~

Le lendemain matin, je me levais en même temps que le soleil grâce aux coqs appartenant au château. J'avais bien envie de les étrangler ceux-là, pour me réveiller d'un rêve aussi beau, mais ils avaient cependant raison, il était grand temps que je sorte du lit pour aller à mon premier cours collectif. Je râlai un grand coup en sortant des couvertures bien chaudes pour la fraicheur des carreaux au sol. Quelle idée d'avoir mis des carreaux dans une chambre ! m'exclamais-je intérieurement lorsque mes pieds touchèrent les petites plaques de couleur chocolat.

Un frisson me parcourut et j'entrepris de m'habiller en commençant par les pieds. En voyant le bazar que j'avais mis tout autour de moi, je grognai et cherchai parmi les piles mes vêtements les plus propres. Je mis la main sur les longs bas beiges, passai les guêtres en laine et mis les petites bottines au cuir abimé. Là, je devais avouer que cette paire de chaussures était bien mon élément préféré parmi ma tenue. Elles étaient un peu abimées, mais je les trouvais vraiment très belles ainsi vu que le marron se teintait de bruns foncés et de taupe par endroit. Je soufflai ensuite deux ou trois coups avant de retirer la chemise de nuit en chantant. Je devais me dépêcher si je ne souhaitai pas attraper la mort. J'enfilai la robe marron aux manches longues et rajoutai par-dessus le tablier blanc taché et une surrobe en laine également marron. Ainsi vêtu, j'avais l'impression d'avoir remonté le temps pour les années 1800. Ils avaient de la chance, c'était un style vestimentaire que j'appréciais. En revanche, ils avaient légèrement abusé quant à la dose de marron...

Je me dirigeai ensuite vers l'espace salle de bain de la chambre. Composé d'un simple miroir et d'un petit meuble avec tiroir, l'espace faisait triste à voir. Mais ce n'était pas comme si j'avais le choix. Je nouais alors mes cheveux, comme l'école l'exigeait et je remarquai une légère différence de couleur. D'habitude, avec le soleil, mes cheveux se paraient de reflets dorés, et puis, dès que le temps changeait pour annoncer l'arrivée de l'hiver, les reflets devenaient plus argentés. Or, je m'apercevais que mes racines avaient foncé et étaient désormais proches du brun et non du blond... Ce n'était encore jamais arrivé jusqu'à présent et je me mis à me demander si cela n'était pas dû tout simplement aux rayons d'Ao, le soleil d'ici...

Je finis ma préparation en plaçant la petite broche qu'on m'avait fournie. Simple, métallique et dorée, on pouvait y voir graver les Lettes de l'école ainsi les initiales S et C. Je n'avais aucune idée de ce que ces dernières représentaient, mais n'avais pas osé demander la signification. Encore une fois, j'étais la seule qui en portait une et je n'aimais donc pas cela.

Une fois prête mentalement, je descendis prendre mon petit déjeuné expéditif avant de me rendre dans la salle de classe. Située juste avant la bibliothèque, la salle était aussi petite que simple.

Le professeur, un vieil homme moustachu à la peau foncée et aux multiples boucles d'oreilles, patientait sur un fauteuil qui semblait vraiment très confortable. Je rentrais avec les autres m'installer, mais ceux-ci m'avaient devancé pour choisir une place. Il ne restait que celle au fond, à côté de la fenêtre, la pire place possible pour moi si je voulais réussir à me concentrer. Alors que je commençai à sortir des affaires, que l'on m'avait données, je vis que j'étais la seule en marron. Par ailleurs, je n'avais croisé encore personne avec du marron, non. Les paroles de Tyler me revinrent alors en tête. Chaque caste avait sa couleur... Ainsi, il y avait les aqualyns en bleu, les terrelyns en vert, les feulyns en rouge, les aérlyns en violet, les animorphes en jaune, les géants et les nains en bronze et enfin moi, en marron pour les sans-castes. Ah... Sans caste, s.c, la voici, ma réponse... J'étais donc, en plus d'être en marron, fichée comme une moins que rien. L'homme commença alors son discours, nous annonçant un cours d'histoire aussi passionnant que possible et j'en baillais rien qu'à son énonciation. Déjà perdu dans ses explications, l'historien ne me regardait pas et j'en profitais pour jeter un coup d'œil par la fenêtre. Dehors, un groupe de terrelyns s'entrainaient au combat. Un peu plus loin, je voyais un large feu de camp et un groupe dansait autour de lui. Leur danse semblait des plus magique et je me perdis dans cette contemplation.

Ce fut à ce moment qu'on me rappelait à l'ordre et qu'on me donna un avertissement. Comme si leurs règles à la con m'effrayaient. Ni les filles à papa qui ricanèrent suite à la remarque d'ailleurs. Je leur lançais un regard mauvais et j'en soufflais de joie. Et puis, j'étais la plus vieille du groupe, et cela de quelques années, je ne devais donc pas me faire marcher dessus.

N'étant pas le moins du monde inquiétait par l'avertissement, je sortis mon carnet de dessin que j'avais réussi à récupérer. Je fis le croquis des jeunes dansant autour du feu, puis décidais de faire un portrait de Kilian.

Non, je n'écoutais absolument pas le cours, mais pour être honnête, je n'y arrivais pas. Les paroles sonnaient si fausses à mes oreilles que mon cerveau c'était automatiquement m'y en mode avion. Le cours m'ennuyait tellement que je finis même par somnoler.

Rêve de Sohalia, 31 Seîcior de l'an 2022 :

"Alain ! Alain calme toi, je t'en pris... beugla la femme devant moi." L'homme, sûrement le fameux Alain, lui assignait une baffe et lui cria dessus. Rien qu'à son haleine, j'avais deviné qu'il était sou. La manière dont la femme agissait semblait me crier que ce n'était pas la première fois, pourtant, je ne les connaissais pas...

Qui étaient-ils ?

Soudainement, je me mis à pleurer et à l'appeler. Était-ce ma mère ?

En contrepartie, tout ce que je reçus fut un coup dans le ventre par le père.

"Tais-toi me criait-il, tu ne peux pas te taire ! Mais quel enfant indigne tu fais ! Je te fais ! dit-il en hachant ses mots. Tu ne te souvins pas de ta première leçon ? Un loup-garou ne pleure pas ! Répète ça !"

Je répétais ces mots, encore et encore, séchant mes larmes d'enfant.

Ma mère, elle, elle pleurait, ce n'était pas la première fois qu'elle assistait aux colères de mon père envers moi. Elle me cachait, bien sûr, les fois où il la frappait, mais j'avais fini par découvrir la vérité. Je le haïssais, plus que tout, je souhaitais sa mort, mais pourtant, j'obéissais à ses ordres.

Il me terrifiait.

Mon père n'était qu'un fuyard, un père indigne, cruel et violent. Tout ce qu'il faisait de sa journée, c'était fuir, fuir et boire.

N'ayant pas réussi à se créer un chemin dans la société, il rejetait la faute sur sa femme, et sur ses enfants, incapable de maitriser le loup en lui. Aucun d'entre nous ne pouvait y faire quelque chose, mais chacun de nous nous entrainions afin d'un jour, le battre. Je séchais mes dernières larmes d'un revers de poignet et commençais ma transformation.

J'entendis mes os craquer et la douleur me fit crier. Tout mon corps se déformait et une queue poilue finit par apparaître.

Quelques instants plus tard, j'étais pleinement transformée et mon père se transforma en plein saut.

Sa carrure impressionnante me faisait face et je n'osais plus bouger. Il fit le premier pas et m'assainit un coup de griffe sur les flancs. "

Je me réveillais en hurlant de douleur, autour de moi, tout était flou et en noir et blanc. Les odeurs me semblaient également plus fortes et je pouvais sentir la peur.

Je mis ma main vers mes côtes et criai les dents serrées par la douleur. Inquiète, ne reconnaissant personne, je tournais la tête de droite à gauche et guettais chacun de leurs mouvements. Je grognassais lorsqu'on essaya de m'approcher et de me toucher. Je fis alors la chose qui me semblait la plus appropriée, j'ouvris la fenêtre en grand et sautais dehors, courant à toute allure vers la forêt.

Je me sentais suivi et en danger, alors je ne m'arrêtais pas avant d'avoir trouvé une odeur familière... Allongée dans ce qui semblait être une grotte, je me rendormis, morte de fatigue et de douleur...

« Sohalia, Sohalia ! Sohalia !! Tu m'entends ? Allez, réveille-toi ma belle. Sohalia...

- Elle va bien ? demanda une voix masculine.

- Elle se réveille, je crois, mais elle est blessée.

- Que s'est-il passé ? questionna une femme.

- Nous n'étions pas là à ce moment précis, mais... Mais le professeur nous a signalé qu'elle s'était réveillée en hurlant et se serait échappée par la fenêtre.

- Comment avez-vous su... ?

- C'est moi, madame, qui... qui me suis rendu compte que quelque chose n'allait pas, mais... Et c'est Tyler qui a réussi à la trouver.

- Mmmm, grimaçais-je en me tournant.

- Est-ce profond ?

- Elle a l'air de saigner beaucoup, acquiesça l'homme.

- Qui d'autre est au courant ?

- À part nous trois et le groupe, personne pour l'instant. Louison, qu'allons-nous faire ?

- Ramenez-la dans sa chambre, mais faites-vous discret. Kilian, tu la soigneras, moi je vais voir avec le conseil pour la suite.

- Mais... Et pour moi... Je veux dire, je sais que son état est grave, mais... Je n'arrive pas à comprendre... Et puis... Ce que j'ai vu...

- Nous en reparlerons ensemble mon garçon. Je sais que tout cela est difficile, nous allons travailler ensemble dessus.

- Merci... entendis-je murmurer.

- Aie... échappais-je alors que je sentais qu'on me soulevait.

- Faites vite. »

Après cela, mes souvenirs n'étaient que flous et je me rendormis pour la troisième fois.

Lorsque je repris conscience, j'étais allongée dans mon lit, les couvertures remontées jusqu'à la tête, un verre d'eau sur la table basse qui m'attendait avec un petit cachet. Il me fallut un peu de temps pour me repérer dans l'espace et j'hésitai un instant avant d'accepter de prendre le médicament.

Une fois les idées un peu plus claires, je remarquais que dehors, Ao s'était couchée pour faire place à Kai et sa lune. Mon ventre se mit à gargouiller et je supposais que les autres devaient se trouver dans le réfectoire. J'avais faim, étais fatiguée et n'avais pas la foi pour perdre plus d'énergie que nécessaire. J'entrepris donc d'aller manger en pyjama, même si ce dernier n'était pas très approprié et que j'allais attirer tous les regards. Et en effet, arrivé dans la grande salle, tout le monde se mit à me dévisager... Mais qu'importait, je n'avais pas l'envie de leur répondre ni à faire quoi que ce soit.

Je cherchais du regard Kilian et Tyler et m'assis à leur table sans avoir leur approbation.

Les garçons ne firent aucun commentaire, même Tyler qui regardait d'un peu trop près ma poitrine plutôt dénudée. Kilian me servit une assiette de crudité que j'attaquais une fois devant moi machinalement. Bon, il était vrai que j'avais cette impression d'être retrouvée en primaire, où les dames de cantines venaient avec leur chariot pour distribuer la nourriture qu'ils avaient préparée. Nous n'avions pas le choix concernant les différents plats et devions manger obligatoirement notre assiette en entier.

Là, les différents plats étaient posés sur la table de la même manière, nous pouvions cependant quand même choisir la ration et en général, deux saladiers nous étaient présentés.

J'enchainai les plats que Kilian me présentait, sans vraiment réfléchir. Mais, un coup d'œil autour de moi me suffit pour comprendre que l'on m'observait de manière plus intense qu'habituellement. Que s'était-il donc passé ? Qu'avais-je raté ? Et que m'était-il arrivé pour que je me retrouve dans mon lit, à l'heure du repas ?!

Une main posait sur les côtes, j'acceptais l'assiette que Tyler me présenta en essayant de ne pas me brûler. J'avalai de petites gorgées du liquide fumant en réprimant des frissons. Je n'étais décidément pas bien. Kilian attendit que mes soubresauts se calment pour me parler.

« Sohalia, tout va bien ?

- J'ai connu mieux, mais j'ai connu pire également... J'ai mal au crâne.

- Louison... Louison souhaiterait de parler si cela te convient... Elle a eu l'autorisation de passer un peu de temps avec toi demain.

- Ah. Génial. Magnifique, commentais-je. Ouais, j'irais.

- Et euh... Tu ne te souviens de rien ? hasarda Tyler avant de se prendre un coup de coude de Kilian.

- Non. Rien. Pour changer. Mais c'est mon quotidien les gars. Je gère. Et elle gère, rajoutais-je en voyant leur tête de déconfite. »

Je mis ainsi fin à la conversation pour touiller ma boisson encore et encore, cherchant dans ma mémoire ce que j'avais pu perdre. Je me rendais bien à l'évidence que c'est gros. Après, ils ne me connaissaient pas et n'avaient jamais vécu une de mes crises, j'espérais donc intérieurement que l'affaire se situer dans le niveau deux de mon échelle à gravité. Le palier un consistait à un simple cauchemar avec des cris, le cinq, un cauchemar avec passage de délire intense.

Les deux garçons continuèrent cependant à me regarder, mais ne semblaient pas vouloir exprimer ce qu'ils avaient sur le bout de la langue.

Ce fut une fois là-haut que je découvris l'intensité du problème. Au moment de passer par la case salle de bain, je vis qu'un large pansement me barrait les côtes. En le retirant, je constatais une énorme plaie béante, rougie et parcourue de point de suture...

« Et merde, voici donc ce qu'il s'est passé... murmurais-je à voix basse. »

Si j'avais l'habitude de me retrouver avec des problèmes de mémoires ou encore des petites plaies suite à mes cauchemars, je n'étais jamais arrivé à ce niveau-là...

Mais comment les choses avaient-elles bien pu évoluer pour en arriver là en quelques années ? Si je cherchais dans ma mémoire, je trouvais des flashs datant de mes six ans où les trous de mémoire avaient par ailleurs commencé. Au final, ce fut à la même époque que je me fis exclure du premier foyer dans lequel j'avais été placé.

Énervée, mais aussi bouleversée, je me brossai les dents avec énergie et partit me coucher, les larmes aux yeux, en m'enroulant dans les draps, ma couverture étroitement contre moi comme un « doudou ».

Le réveil du lendemain matin fut difficile et je désirai rester dans mon lit pour ne pas en sortir de la journée. Parfois, cela m'arrivait, cette envie de ne rien faire et je me retrouvais souvent dans l'incapacité de réaliser la moindre chose, même manger ou s'occuper de mon hygiène était difficile...

Mais, je savais que je devais me lever, malgré la honte, malgré l'incompréhension, qui savait ce qui pouvait m'arriver si je ne me levais pas. Je n'avais pas peur de Louison, non, mais en ce qui concernait les deux directeurs, j'éprouvais des sentiments mélangés. Ce fut donc en me frappant doucement les joues que je sortis de mon lit.

Ensuite, je descendis déjeuner avec les autres tout en me tenant à l'écart et pour finir, je me dirigeais là-haut où Kilian m'indiqua être le lieu de rendez-vous.

Petite cabane en bois à l'orée de la forêt, la psychologue se tenait assise sur une chaise toute simple. Si celle-ci devait servir habituellement de débarras et de range, les outils, la cabane était désormais « rangée » et je sentis une agréable odeur à travers la porte entre-ouverte.

« Entre je t'en pris Sohalia, nous devons discuter. Et ferme la porte derrière toi, merci, me dit-elle en me proposant une chaise du bras.

— Bonjour, et merci de me recevoir... C'est... cosy ici, répondis-je à son invitation.

— Comment vas-tu ce matin ? Les migraines sont-elles passées ?

— Oui... Dison que cela peut aller. Il y a mieux, mais il y a pire également. Ce que je ne comprends pas... C'est... C'est...

— Nous allons en discuter ensemble. Je suis navrée de t'accueillir ici, dans de telles conditions, mais vois-tu, la situation est délicate. Je préférerais que cette séance reste entre nous. Nous avons trouvé une excuse par rapport aux directeurs, mais il va falloir faire attention.

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? demandais-je, inquiète, avant d'ajouter, je ne le sens pas du tout cet endroit. Et puis, j'ai l'impression que depuis que je suis là, du moins, sur Iirlyn, les choses ne font que s'empirer. Cela à commencer avec mes cheveux, mes cauchemars et maintenant ça...

— Je comprends que cela t'effraie Sohalia, en plus d'arriver dans un Nouveau Monde, tu te retrouves dans une sorte de foyer... Cela doit faire remonter des souvenirs n'est-ce pas.

— À vrai dire, pas vraiment non. Mais...

— Je pense que nous allons nous concentrer sur ton dernier cauchemar en date si tu me permets. Il semblerait que comme tu l'aies dit, des petits changements ont opéré sur toi suite à ton arrivée chez nous. Nous en avons longuement discuté et nous sommes arrivés à la conclusion hypothétique que tu venais bien d'Azuria... Ton changement se fait, car ton corps réagit à Ao, à Kai, au sol que tu effleures à chacun de tes pas. Mais nous allons gérer cela ensemble. Je te le promets. Passons donc à ce cauchemar, que peux-tu me raconter sur ce dernier ? »

La séance continua ainsi sur ce dernier mauvais rêve dont je n'avais aucun souvenir. Elle avait essayer pourtant, par plusieurs moyens, de me faire souvenir, mais rien ne fonctionna. Nous repartîmes donc chacune de notre côté, insatisfaite, et la tête emplie de question.

Mais qu'allait-il désormais m'arriver ?

Quelles autres transformations allais-je devoir subir ?

Tout cela ne me disait vraiment rien qui valait...

Je profitai alors des quelques heures de pause qui me restait avant la suite des activités pour me recentrer sur moi et chercher qui j'étais. Entre deux croquis allongés dans l'herbe, je contemplai les feuilles des arbres en cherchant en moi mes racines. Ainsi, j'étais d'ici et non de la planète Terre... Cela était quand même difficile à avaler, je ne le niai pas...

Mais comment avais-je pu traverser l'espace pour atterrir sur Terre ? Il existait certes des portails, mais ceux-ci étaient bien cachés... Je n'étais pas terrienne, non... Je suis une Iirlynienne... si étrange que cela semble être, je suis ici chez moi... Si je n'étais pas encore sûre d'être apte à l'affirmer, je restais aux yeux de tous une incapable et une monstruosité d'humanoïde. Quoi que les humains eussent pu faire, je ne voyais pas en quoi les habitants leur vouaient une telle haine. Et encore, je ne savais pas à ce moment que je n'étais pas au bout de mes peines concernant la haine envers certaines espèces...

Après quelques promenades dans les environs du château, il fut l'heure d'aller sur le terrain pour la spécialité de l'école : la version grandeur nature de leur jeu ultra populaire. En apprenant l'importance de ce moment et son obligation, Kilian avait commencé à m'apprendre les règles. J'avais bien évidemment une sorte de règles du jeu écrite, mais appris presque aussitôt que cela n'existait pas. « Pour quoi faire ? m'avait demandé Kilian suite à ma requête. » Oui, pour quoi faire ? Qu'aurait fait la population avec des règles écrites, personne ou presque ne savait lire ou écrire...

J'avais retenu cependant deux ou trois informations du flot de paroles qu'avait débité le guerrier. C'était un « jeu » où deux équipes s'affrontaient tour à tour. La version scolaire n'était qu'une pâle copie de la guerre qui opposait les réelles équipes, celles des Luneilares et des Sombroires. Quant à la version jeu de société, il s'agissait d'un jeu beaucoup plus complexe, avec des pièces de bois, des cartes, un plateau et une histoire d'alliance, bref, le total nécessaire à un jeu de stratégie. Et, il était exigé, que dans chaque maison, une version du jeu au moins soit présente et que tout bon Iirlynien apprenne les règles via la tradition orale familiale, mais nationale.

Moi, même après quelques jours d'explications intensives, je n'avais toujours pas compris ni l'utilité ni le fonctionnement...

Séparée en deux équipes, l'école n'avait pas d'exigence particulière autre que la tenue obligatoire. Simples, mais efficaces, nous étions plus ou moins protégés de la tête au pied. Entre cuir et métal, nos mouvements ne se voyaient pas limités et je me sentais un peu protégé. Quant au casque, je le trouvais légèrement trop grand et pas assez pratique vu que je n'y voyais pas grand-chose. Dès que les gants de cuirs étaient enfilés, nous avions le droit de nous servir en arme. J'avais pour ma part pris une épée courte, mais fine. Elle ne me semblait pas bien équilibrée, surtout comparée à l'arme que j'avais vue chez les dieux, mais sa légèreté me permettait une meilleure prise en main et maniabilité. Je n'étais pas encore assez forte pour pouvoir attaquer avec des épées à deux mains.

Il y avait tout un tas d'armes, une quantité que je n'avais jamais vu autre part que dans des films, digne d'une guerre sanglante. Se combattre, ainsi, pour les beaux yeux de quelques personnes, je n'en voyais aucun intérêt. Se battre tout cours ne me semblait déjà pas bien intelligent, mais là... Et le pays n'avait pas l'air de considérer cela comme problématique, non, cela faisait partie de l'histoire. Comment pouvait-on avoir une telle « culture barbare et violente » ? Alors que je vérifiais que tout était bien en place, un professeur souffla dans une corne de chasse, appelant ainsi au regroupement autour de lui. Tout aurait pu se passer sans trop d'encombres si ce n'avait pas été sans la présence des loups-garous...

À quelques mètres de moi, un conflit venait d'avoir lieu...

Tyler, qui se tenait devant six garçons en caleçon, avait commencé à hausser le ton, les bras croisés. Un des plus grands, un adolescent à la peau d'ébène et aux yeux bleu pâle, poussa Tyler qui grognassa en faisant craquer sa nuque. Quelques instants plus tard, les six garçons s'étaient transformés en énorme loup et Tyler rigolait. Il fit alors un bond en avant et les loups reculèrent surpris. Puis, il sourit bêtement, fit un saut périlleux et retomba au sol transformé en loup.

Je devais avouer que cette forme me plaisait beaucoup. La bouche entre-ouverte, je la refermais avant de triturer ma mèche de cheveux qui s'était échappée du chignon serré que j'avais réalisé. Tyler était tout simplement magnifique avec sa fourrure beige et noire. Sa taille surpassait celle des six autres loups qui reculèrent, la tête baissée, reniflant le sol.

Mais ce n'était pas assez pour Tyler qui grogna avant d'attaquer. Un seul bon lui suffit pour attirer sur deux d'entre eux qui couinèrent en essayant de se retourner pour montrer le ventre. Mais, mon coéquipier ne s'arrêta pas aux deux plus grands, non, il bondit de nouveau et atterrit devant le reste du groupe. Il se dressa sur ses pattes arrière avant de retomber et de leur donner à chacun un coup de griffe qui marqua leur flanc.

Les fines griffes acérées de Tyler avaient laissé de profondes entailles dans la peau des loups qui se transformèrent de nouveau en se tenant les côtes. Ainsi, sous leur forme humanoïde, on pouvait apercevoir des blessures similaires à celle que je possédais. Ma main dessus, je décrochai du moment présent cherchant à m'évader pour laisser le temps à mon cerveau d'assimiler l'information. Ce fut la main de Kilian sur mon épaule qui me sortit de cette phase. Lui aussi avait compris, tout comme Tyler...

Le professeur siffla et reprit ses explications. Il remit des bandeaux blancs à l'équipe d'en face et quant à nous, nous reçûmes les bandeaux noirs que nous plaçâmes sur notre biceps droit. Les explications continuèrent pendant encore quelques minutes avant que le professeur souffle dans la corne de nouveau et s'éloigne du terrain vague sur lequel nous étions.

Comme tout bon jeu, l'honneur du début était pour les blancs et une centauresse*, très jeune, trop jeune à mon goût, engagea le combat. Un garçon de notre équipe, probablement un berserker* vu ses poignards en os, s'élança à se poursuite et tenta de contrer l'attaque par un coup de pied circulaire... Puis ce fut à notre tour d'attaquer, le berserker s'étant fait écarter en quelques secondes. Notre tête de groupe, une fille qui m'avait l'air encore plus arrogante que Tyler envoya trois loups-garous sur le devant qui furent accompagnés de quelques humanoïdes dont je ne faisais pas partie. Armés d'une épée à la main ou d'un bâton de combat, ils avançaient le pas incertain. J'avais vite compris que les humanoïdes n'étaient pas considérés comme importants, mais là... Là j'avais juste l'impression que nous étions des pions...

Quelles raisons pouvaient-elles pousser des directeurs d'écoles à organiser de tels combats ? Et pourquoi les Dieux laissaient-ils faire ça ?! Je ne comprenais vraiment rien... Cela m'énervait, mais m'ennuyait également. Je fis craquer mon cou et me préparais pour la suite, j'étais la prochaine au combat.

L'épée dans la main, je m'impatientais et quand je vis le garçon débarquer sur le terrain, je ne me contrôlais plus. Je lâchais l'arme et courus à sa rencontre. Le cri qui sortit de ma gorge ne m'était pas familier et je continuai mon chemin plus déterminé que jamais.

J'entendis au loin Kilian me donner des ordres, mais ce fut comme si j'étais dans ma propre bulle.

Sans que je puisse comprendre, je fis un mouvement dont je n'avais jamais été capable et qui, en quelques secondes, m'avait propulsé devant moi.

Et puis, plus le garçon me fixait, plus je devenais folle.

Je finis par tendre mon bras en l'air et ne le rabaissai que quand je sentis le poids de l'épée dans ma main. Ma vision changea et je sentis une agréable odeur de citron et de verveine dans l'air. Le sourire aux lèvres, je donnai un coup d'épée vers mon assaillant.

Et, je sentis Tyler s'approcher de moi à pas feutré. Je ne fis comme si de rien n'était et au dernier moment, quand sa main était à deux centimètres de me toucher, je l'envoyais valser plus loin.

Je l'entendais à présent parler à Kilian, se plaindre de ses côtes et de mes yeux apparemment blancs. Mais je devais finir ce que j'avais commencé.

La manière dont je me battais me semblait naturelle, un pur bonheur qui causait un sentiment de peur autour de moi. Je me réjouissais de ce sentiment de puissance et de cette odeur de défaite.

Soudainement, je sens une odeur différente, forte et masculine.

La peur autour de moi s'était renforcée et je craignais que l'homme en soit la raison.

Je laissai alors tomber le corps du garçon et me dirigeais vers lui. Il me sembla le reconnaître, et en voyant ses habits, j'en conclus qu'il s'agissait d'un des deux directeurs.

On dirait que je l'ai énervé pour qu'il puisse sortir de sa tour dorée.

C'était un homme immense, blond, carré, à l'allure imposante et aux yeux d'un bleu puissant. Tout en lui poussait au respect, mais je ne me faisais pas avoir par son apparence et voyais au travers. Ce directeur n'avait rien d'un ange et ressemblait plus à un démon.

Soudain, je me sentis comme aspiré, éteinte, comme une flamme à qui on prive son oxygène. L'instant d'après, j'avais quitté la prairie pour me retrouver dans le noir complet...

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