Partie 3

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Kerr arriva au château, seize jours après son départ, vers midi. Elle prit le temps de se baigner et de se parer de ses plus beaux atours avant de se rendre dans les appartements de Bachak, les pierres de Quartell en sécurité dans une poche secrète de sa robe. Le prince la fit attendre une demi-heure. Kerr patienta, assise dignement sur un banc dur près de la porte. Finalement, Emira sortit des appartements, la robe en désordre et sa coiffure de travers. La jeune shaah s'arrêta devant son aînée. Kerr se leva dignement et leva un sourcil devant la tenue négligée de sa cadette. Elle remit une mèche d’Emira en place avant de se diriger vers le bureau de Bachak sans un mot. Elle referma la porte derrière elle. La tenue du prince de Morna’To était impeccable. Il était assis sur son siège, lisant des documents avec un intérêt non feint.

— Mon Prince.

Bachak leva les yeux au son de sa voix.

— Ah, Kerr, tu es de retour.

Bachak posa l’épais rouleau de parchemin qu’il tenait, avant de contourner le lourd bureau. Il s’approcha de Kerr, tel un prédateur et lui murmura au creux de l’oreille, caressant les cheveux de Kerr dans le même mouvement.

— Si belle.

Menteur.

Bachak inspira profondément, sa main libre se dirigeant vers son corsage. Kerr avait mis une robe mettant ses formes en valeurs et devoilant sa poitrine sachant que le prince était incapable de résister. Ce n’était qu’une question de seconde avant que son amant ne trouve…

— Kerr….Qu’est ce donc que ceci?

Kerr sourit. Bachak avait trouvé le troisième tatouage. Celui de l’Eka’Shaafê. S’asseyant sur les genoux de son amant, Kerr entreprit de raconter son aventure à Bachak.

Une fois son histoire terminée, Bachak vibrait d’une excitation mal contenue.

— Et les pierres? Kerr, les pierres de Quartell?

Kerr sortit la pochette de velour contenant les pierres et le donna à Bachak, qui s’empressa de l’ouvrir, prenant les pierres dans ses mains tremblantes, il les observa sous tous leurs angles avant de demander à Kerr :

— Est ce qu’elles fonctionnent, ma douce?

Chantant victoire en son for intérieur mais gardant un air digne, la sorcière hocha la tête. Kerr passa une main au dessus des pierres et celles-ci se mirent aussitôt à briller dans la pénombre du bureau.

***

Les mois qui suivirent le retour de Kerr au château furent idylliques. Elle était redevenus la favorite de Bachak, passant des nuits dans son lit à faire l’amour et des heures dans son bureau à faire des tirages, évitant pièges et problèmes aisément. Et puis Emira avait disparu de la circulation. Kerr savait que même si sa rivale vivait toujours au château, elle ne partageait le lit de Bachak que très rarement. Kerr savait qu’elle ne pouvait demander plus.

Sauf qu’un jour, alors que Kerr attendait le Prince dans son bureau pour parler d’un problème, elle vit une lettre ouverte, sous une pile de papier officiel. Une lettre portant la signature de Bachak et le nom d’Emira. La coeur lui remontant dans la gorge, elle saisit la lettre et commença sa lecture. C’était une lettre d’amour. Une lettre ou Bachak disait à Emira combien elle lui manquait et combien il l’aimait. Entendant des pas dans le couloir, Kerr s’empressa de remettre la lettre à sa place.

Ce soir là, Kerr ne parvint pas à s’endormir, se tournant et se retournant dans son lit immense et vide, se demandant si Bachak et Emira se trouvait ensemble en ce moment. Elle tenta de se rassurer, se disant que comme elle était la seule shaah capable d’utiliser les pierres de Quartell, Bachak ne pouvait pas se débarrasser d’elle. Toutefois son inquiétude ne la quitta pas. Le jour suivant, elle demanda à Bachak si elle pouvait lui rendre visite ce soir là. Le prince la regarda d’un air pensif, sa main lissant sa barbichette. Il finit tout de même par répondre d’une voix tendre :

— Bien sûre mon ange. Je t’attendrais après le souper, quand la nuit sera tombée.

Rassurée, Kerr hocha la tête et se mit au travail, effectuant trois tirage ce jour là. Encore plus que l’utilisation de ses pouvoirs normaux, les pierres de Quartell demandaient énormément d’énergie.

Sautant le dîner ce soir là, Kerr utilisa le temps gagné pour se faire belle, encore plus belle que d’habitude. Elle ne lésina pas sur le maquillage ni sur le parfum, puis elle mit sa plus belle robe et ses plus beaux bijoux. Quand l’heure fut venue, Kerr se rendit dans la chambre du prince. Contrairement à d’habitude, il n’y avait pas de garde devant la porte des appartements de Bachak, et la porte était entrouverte. Curieuse, Kerr frappa une fois avant d'entrer dans la pièce. Aucune lumière de la salle à manger n’était allumées, mais Kerr aperçut une douce lumière venant de la chambre. Esquissant un sourire et commençant à se dévêtir, Kerr entra dans la chambre. Sur le lit recouvert de pétale de rose, se trouvait une boîte en bois sombre. Kerr s’approcha du lit de saisit la boîte l’ouvrant précautionneusement.

Au moment même où le couvercle s’entrouvrit, Kerr comprit qu’elle avait été piégé. Une fine poudre blanche s’échappa de la boîte la paralysant instantanément. Il y a deux choses dans ce monde que les shaah craignent par dessus tout : du sel bénit par une Shaah de la Terre et du fer forgé dans le brasier d’une Shaah du feu. Aucun des ces ingrédient ne tuaient une Shaah mais elle les rendaient malléable, les privant de leur libre-arbitre et les obligeant à obéir à leur maître. Toutefois on trouvait rarement du sel de Shaah ou du fer de Shaah car les Shaah refusaient en général d’en fabriquer, par peur de les voir se retourner contre eux. Bachak devait préparer son coup depuis plusieurs semaines. Peut-être même des mois. Probablement depuis son retour. Toujours incapable de bouger, Kerr sentit son amant s’approcher derrière elle. Bachak referma un collier de fer autour de son cou, posant un baiser sur son épaule dénudée. Une larme s’échappa et roula sur la joue de Kerr. Puis Bachak la souleva, la portant tendrement, sans un mot. Il fit coulisser une porte secrète donnant dans sa bibliothèque et monta un escalier en colimaçon jusqu'à une petite pièce circulaire. La pièce ne contenait qu’une paillasse, une table, une chaise et un pot de chambre. Une minuscule fenêtre faisait entrer un mince rayon de lumière. Emira se tenait dans un coin, son rictus narquois de retour sur son beau visage. Bachak posa Kerr sur la paillasse et s’accroupit devant elle, un air menaçant sur le visage :

— Alors mon ange, comment tu trouve ta nouvelle chambre ?

Emira émit un petit gloussement aigu.

— Tu vois Kerr, je ne veux plus coucher avec toi….trop vieille…. Mais je ne peux pas risquer de voir les pierres de Quartell sortir de mon contrôle. Alors comme ça je fais d’une pierre deux coups!

Kerr resta assise là où son ancien amant l’avait posé, le regard sur le visage déformé par la rage et le désir de Bachak, et se demandant comment elle avait pu tomber amoureuse d’un tel homme. Bachak finit par se lever et alla embrasser Emira à pleine bouche avant de prendre la main de la jeune sorcière et de sortir de la chambre où Kerr se trouvait prisonnière. Il ne prit même pas la peine de fermer la porte à clé, le collier que portait Kerr lui interdisant de bouger de toute façon.

***

La nouvelle de la disparition de Kerr se répandit rapidement dans la capitale et l’on dit que la reine Baliante versa quelques larmes à l’annonce du décès de sa conseillère. Mais au sein du gouvernement d’un royaume, on ne peut pas se permettre de pleurer les morts trop longtemps. Moins d’une semaine après la disparition de Kerr, une autre Shaah royale fut nommé par le conseil. Et rapidement, le nom d’Emira fut sur toutes les lèvres. La jeune Shaah démontrant une perspicacité extraordinaire face aux ennemis et au amis du royaume. Presque comme si Emira avait le pouvoir de lire dans le futur, elle prévoyait aisément les actions de tous. La reine Baliante lui montrait une confiance aveugle. Le règne d’Emira dura pendant douze ans, sa réputation grandissant toujours plus, son influence aussi.

Mais un beau jour, un drame que même Emira n’avait pu prévoir frappa. Un matin, un garde royal fut envoyé quérir Emira en urgence. Ne prenant même pas la peine d’aller voir dans les appartements réservés au Shaah royal, le garde se dirigea vers les appartements du prince Bachak, car la liaison d’Emira et Bachak n’était un secret pour personne. Quand ses appels au travers de la porte restèrent sans réponse, le garde rentra dans la chambre et se retrouva devant une scène de carnage. La chambre était sans dessus-dessous, et les corps du prince et de la shaah royale gisaient sur le sol, morts. Il y avait du sang partout et leurs expressions étaient terrorisées. Sans perdre une minute, le garde courut chercher de l’aide, appelant les docteurs et la gardes blanches. Les corps furent examinés sous toutes leurs coutures mais on ne trouva jamais le coupable. Personne ne remarqua la porte secrète menant à une petite pièce d’une saleté et d’une puanteur à faire s’évanouir un putois. S’ils avaient trouvé la pièce secrète, ils auraient peut-être vu le cercle de poudre de fer se trouvant sur le sol crasseux.

On chercha le coupable pendant des années, mais les gens finirent par oublier. La reine Baliante attrapa une pneumonie un hiver et décéda dans la semaine à l'âge de 97 ans, sa fille Faliandre prenant la succession à la tête du royaume.

Durant cette période de deuil puis de festivité, on commença à entendre des histoires, parlant d’une vieille femme aux long cheveux gris et aux traits fins qui lisait l’avenir dans les pierres. Les gens disaient que ses lectures du futur étaient toujours parfaites sans fautes. Mais personnes ne savait quand elle allait apparaître, ou disparaître. On racontait souvent en chuchotant que la vieille femme avait le pouvoir de se rendre transparente, invisible aux yeux de tous. De cette façon, ceux qui la cherchait ne la trouvait jamais.

Personne ne savait que le nom de la vieille femme était Kerr. Personne ne savait qu’elle cherchait un héros. Une personne digne de porter les pierres de Quartell.

Non, personne ne savait.

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