6/9

4 minutes de lecture

La douce sonnerie du réveil me tire de la transe dans laquelle je suis plongée depuis des heures. Je n'ai pu parvenir à dormir, en sachant que la morte à côté de moi n'avait nul besoin de sommeil et qu'elle pourrait être prête à m'étrangler à n'importe quel moment. Je suis restée assise, les bras croisés. Mais mes paupières étaient si lourdes que je n'ai pu les tenir ouvertes. Cependant, j'ai été à l'affût toute la nuit, à guetter le moindre son ou mouvement suspect. De toute ma vie, je n'ai jamais éprouvé un tel plaisir à me lever de bonne heure, même du temps où je passais la nuit recroquevillée à l'arrière de ma voiture. Je quitte la chambre et descends dans la cuisine. Du café, voilà ce dont j'ai besoin ! Je fourre une dosette dans la cafetière et me laisse tomber sur une chaise.

— Quelle mine tu as, Lauren, lance une voix dans mon dos.

Je me retourne. Melanie est adossée contre le mur, à l'entrée dans la pièce, et me sourit autant que sa bouche difforme le lui permet.

— Tu as une tête de déterrée ! renchérit-elle.

Ah, elle peut bien parler ! Je fais mine de ne pas l'avoir entendue et empoigne ma tasse brûlante. Melanie s'assoie face à moi.

— Boire du café, dit-elle, c'est quelque chose qui me manque.

— Tu en veux une tasse ? Tu peux toujours essayer, on verra ce que ça fait !

J'espère bien que ça fera des dégâts et que ça la motivera à débarrasser le plancher.

— Non merci, répond-t-elle. Je n'ai plus les moyens de le digérer.

Je prends quelques gorgée dans ma tasse. Le café est bouillant, mais le fait de boire m'évite d'avoir à entretenir une conversation avec la morte. Aussi je m'efforce de garder le nez plongée dans ma tasse et d'en avaler le contenu le plus lentement possible. Malheureusement, malgré tous mes efforts, ma tasse se vide et je suis bien obligée de relever la tête. Melanie m'adresse un sourire. Il y a quelque chose de mesquin dans son expression.

— Que faisons-nous aujourd'hui ? demande-t-elle.

Je hausse les épaules :

— Moi, je vais acheter un nouveau canapé. Toi, tu retournes au cimetière.

— Un nouveau canapé ? s'étonne-t-elle. Le mien a à peine deux ans.

— Oui, eh bien il faut croire que tu en as fait bon usage car tes fesses y ont laissé leur empreinte. Et puis, il est rouge, Melanie. Je déteste cette couleur.

Elle secoue la tête en riant et déclare :

— Très bien, je t'accompagne donc acheter ton canapé.

Je manque de recracher mon café, tant la surprise est grande.

— M'accompagner ? Mais tu es complètement folle, ma pauvre ! Tu es un cadavre, enfin ! Personne ne doit me voir me balader avec un cadavre !

— Que tu es bête, Lauren ! rit Melanie. Il n'y a que toi qui puisses me voir. Tu penses bien que, si c'était à la portée de tout le monde de voir les revenants, je me ferais tirer dessus comme on tire sur les zombis dans les films.

Je réfléchis un moment. Je n'ai jamais imaginé un seul instant que j'avais le don de voir les morts. D'ailleurs, si tel était le cas, je m'en serais aperçue depuis longtemps. Avant que je ne pose la question, Melanie me précise :

— Bien sûr, il y a une raison pour laquelle tu es capable de me voir. Ou, condamnée à me voir, plutôt. Il y a un lien puissant, entre nous. Oh, je ne parle pas des liens du sang. Non, cela serait trop évident. Je parle de quelque chose de bien plus compromettant. Tu vois quoi, n'est-ce pas, Lauren ?

— Non. Non, je ne vois pas du tout.

Je me lève et vais me changer. Je me dirige ensuite dans le hall, enfile ma veste et ouvre la porte de la maison. Melanie sur mes talons, je sors. Je monte dans la voiture. Alors que ma défunte cousine s'approche de la portière passagère, j'abaisse la vitre et lui lance :

— Si tu comptes me suivre, tu devras le faire à pied ! C'est une voiture, pas un corbillard. Je n'ai pas d'agrément pour transporter les morts !

Je referme la vitre et m'empresse de démarrer. Je fonce sur la chaussée et ne ralentis qu'une fois suffisamment loin de la maison. Je jette un œil à l'horloge. Dix heures treize. Six heures et une minutes que je supporte ce cadavre ambulant ! Je me demande combien de temps cette plaisanterie va encore durer. Enfin, pour l'instant, je suis parvenue à me débarrasser d'elle. Je savoure ce moment de tranquillité.

— Surtout, fais comme si je n'étais pas là !

En entendant sa voix, je sursaute et appuis comme une folle sur la pédale de freinage. Je me retourne. Melanie est là, assise sur la banquette. Elle me regarde, avec ce même sourire mesquin. Il me prends l'envie de lui arracher la tête. Mais l'idée de poser mes mains sur ce corps décharné me répugne. Et puis, ce n'est pas comme si je pouvais la tuer une seconde fois.

— Tu l'as fait une fois, Lauren, pourquoi pas deux ?

J'écarquille les yeux. Je bégaye :

— Quoi ? Tu lis dans mes pensées ? Il va falloir que ça s'arrête, Melanie, et très vite ! Tu es morte et je ne peux rien pour toi. Est-ce que c'est clair ? Alors, tu vas retourner dans ta tombe où je-ne-sais-où, mais il est hors de question que tu restes avec moi !

— Sinon ?

Sinon... Sinon rien du tout. Qu'est-ce que je peux faire face à une morte qui se téléporte partout où je me trouve et sais tout ce que je pense ?

— Oh, mais tu ne peux strictement rien contre moi, lâche-t-elle.

— Je ne t'ai rien demandé !

— Pardon. Tu as probablement pensé trop fort.

J'essaye de ne plus penser à rien, de l'oublier et de fixer toute mon attention sur la route.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0