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Nous sommes le dix décembre, un matin neigeux mais relativement doux. Quand j'ouvre les yeux ce matin, Vic dort encore profondément à mes côtés, se recroquevillant dans toute la couverture. Vic est une personne que j'aime, et ce avec une pureté et une passion hors norme. Je crois que je n'ai jamais été si sincère avec personne. Nous nous sommes rencontrées dans la librairie où elle travaillait il y a deux ans, le jour où elle a fait faillite à cause d'une grosse boîte bien plus à jour qui s'était installée deux rues plus loin. Ajoutez à ce fait que Vic passait ses nuits dans sa boutique pour éviter de payer un loyer au-dessus de ses moyens. Si je me trouvais dans la librairie le dix décembre de cette année-là, c'était pour chercher le journal d'Elloa Parker. La charmante vendeuse me fit remarquer que c'était un très bon choix et commença à me parler du style néanmoins décalé de l'ouvrage. Et de la fin. Mais pourquoi n'y avait-il pas de fin ? Je lui avouai alors être l'éditrice du journal que je venais d'acheter. On se revit, on eut souvent l'occasion de discuter. Après la suppression de son poste, j'invitai Vic à venir vivre chez moi et lui proposai un poste dans ma petite maison d'édition. Les choses évoluèrent entre nous. Nous avons construit une relation solide. Je sais que Vic n'a aucun secret pour moi. Et si j'osais seulement lui avouer la vérité sur le journal d'Elloa Parker ainsi que sur ce qui s'est produit le dix décembre, je n'en aurais pas non plus pour elle. Pour vous expliquer ce mystère, il nous faut revenir douze ans en arrière ; l'année de mes quinze ans.

C'était la rentrée scolaire, j'intégrai un nouvel établissement. Je n'avais pas de crainte, j'étais d'un naturel sociable. Je ne tardais pas à rejoindre une bande de jeunes superficiels et simples d'esprit, noyés par leurs préjugés et leur orgueil. Je me sentais bien avec eux. Notre passe-temps favori était de nous moquer des autres. La méchanceté gratuite avait tout d'un jeu innocent à nos yeux. J'avais la chance d'avoir de bonnes conditions de vie, un physique pas du tout contraignant et un cerveau bien rempli. Je ne connaissais pas le malheur, et j'en avais parfaitement conscience. Les langues de vipères ont toujours leurs cibles favorites. L'une des nôtres se prénommait Elloa. C'était une petite rousse maladroite et plutôt coincée, toujours seule : une proie facile. Elle avait beaucoup de tâches de rousseur mais cela était loin de la rendre monstrueuse. Ses traits étaient doux et me faisaient souvent penser à une minutieuse architecture. Sa tignasse épaisse aux reflets flamboyants était sauvage mais gracieuse. Elloa aurait pu être une fille sympathique, mais la haine apparaissait comme des flammes dans ses yeux, avec tant de profondeur qu'on pouvait presque y voir un cœur en feu. Et malgré la rage que dégageait son regard, Elloa restait inoffensive.

Souvent, nous critiquions la couleur de ses cheveux. Ça pouvait aller très loin. Ce n'était pas parce qu'elle était laide – j'affirme d'ailleurs le contraire – mais uniquement pour la blesser. L'important n'était pas la vérité de nos propos mais l'effet qu'ils avaient. J'ai souvent vu Elloa les larmes au bord des yeux. C'est fou comme le malheur des autres peut nous rendre heureux ! Il y avait tout de même du sang froid chez ma victime ; elle parvenait toujours à rester inexpressive même si je sentais son cœur tomber en miettes.

Quand on en eut assez de s'en prendre aux cheveux d'Elloa, on attaqua ses vêtements, ses cernes, sa solitude, son travail scolaire, ... Il est dur de croire à quel point il est aisé de se moquer de quelqu'un. Et notre travail sur Elloa était très efficace : elle s'enfonçait de plus en plus dans sa solitude, la mélancolie avait investi son regard et elle semblait même trop faible pour haïr.

Au bout d'un certain temps, on fut cependant à court de moqueries. Helen eut alors une idée qui me déplut fortement. Si tout notre répertoire d'injures était épuisé, il suffisait de passer à la violence physique. Je ne me sentais pas l'âme d'un agresseur mais jamais je n'aurais osé refuser, jamais je n'aurais voulu passer pour une lâche.

Ainsi, accompagnée d'Helen et de deux garçons, je commençai à m'attaquer au corps d'Elloa, mais plus uniquement verbalement. Ça commença avec quelques gifles et coups de pied pour finir en poings, en bleus , en sang et en pleurs. Je n'aimais pas lui faire ce mal, ni voir les larmes ruisseler de ses yeux pleins de souffrance. Ça ne m'amusait plus mais j'étais comme prisonnière d'un cercle vicieux. Si je laissais tomber ma bande et leurs idées, c'est après moi qu'ils en auraient.

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