1

4 minutes de lecture

C'est le début de l'après-midi, nous sommes le 13 mai 1832. Quelque part dans New York, il y a une jolie grande bâtisse entourée d'un grand parc : c'est ma maison. Je suis assise sur un banc dans le jardin, lisant un ouvrage philosophique, même si je n'ai pas le droit.

Je m'appelle Nicole, je suis née à Londres il y a seize ans. Mais je n'aime pas l'Angleterre, je vis en Amérique depuis si longtemps que je considère ce pays comme mon pays natal.

Mon père est un grand homme, il est riche et généreux. Pourquoi dis-je « Il est » ? Il ne peut rien être à présent, il a quitté ce monde il y a quelques mois de cela. Je le regretterai toujours, c'était un si bon homme. Je vis à présent avec ma mère, dans la grande maison que mon père avait fait construire. Ma mère ne jure que par l'or, elle ne comprend rien de moi. Sa sœur, ma tante, est son clone, en un peu plus âgé, avec quelques rides de plus, mais toute aussi superficielle.

Aux dernières nouvelles, elles espèrent me marier à un bourgeois anglais. Ma tante est venue tout spécialement de Londres me chercher pour me livrer aux griffes de cet homme. Il est bien plus âgé que moi, paraît-il. Je ne connais rien de lui en plus. Et pour rien au monde je ne veux quitter ma chère Amérique.

Quelqu'un approche, j'abandonne mes pensée et sors la tête de mon livre, m'empressant de le dissimuler derrière mon dos. Ce n'est que Fido, le domestique. Il est noir, c'était un esclave avant que mon père ne le rachète et lui offre ce poste ainsi que de vivre parmi nous. Fido est comme mon meilleur ami, mais ma mère ne le porte pas dans son cœur; je pense qu'elle a peur de lui car il n'a pas la même couleur de peau.

Voyant ce que je cache derrière moi, Fido me sourit, somme pour me dire « Tu n'as pas à cacher ce genre de choses ». Mais voyez-vous, j'aime lire, et ce depuis que je suis toute jeune. Mon père aimait m'apprendre tout ce qu'il pouvait, et moi j'aimais découvrir. Mais ma mère aurait préféré que je sois une jeune femme sotte, qui fait ce qu'on lui demande, épouse le premier inconnu qui se présente, entretient sa maison et son mari et mène une vie de soumission permanente. J'ai résolu de ne pas épouser ce monsieur, auquel on me destine. Je me fiche qu'il soit duc, comte, marquis ou même prince; je ne l'aime pas.

Ma tante s'approche de moi en lançant des regards noirs à Fido. Le domestique retourne à ses occupations et je me retrouve seule avec cette femme méprisable. Je hais son visage creusé, sa bouche sèche, son regard dur, ses membres osseux, son nez tordu, ses cheveux rêches et l'abominable odeur de son parfum à la lavande. Lorsqu'elle est près de moi, l'atmosphère devient si oppressante que ma respiration en est plus courte.

- Nicole, me dit-elle, tes bagages sont-ils prêts ?

Oh que non, je ne partirai jamais d'ici !

- Ils ne le sont pas, non.

- Il va falloir vous dépêcher mon enfant, notre bateau part dans quelques heures.

- Il partira sans moi, je le crains.

- Et pourquoi cela ?

- Je n'épouserai pas cet anglais comme vous le souhaitez.

- Vous lui direz oui, vous lui êtes promise.

- Je lui dirai non, je n'appartiens à personne !

- Ne faites pas la sotte, Nicole. Il est bien peu probable que vous trouviez meilleur parti. Lord MacPhail sera un mari formidable, j'en suis convaincue.

- Dans ce cas épousez-le ! S'il est si formidable que vous le prétendez, il se contentera d'une vieille veuve.

- Taisez-vous, jeune insolente, et allez immédiatement faire vos bagages, sinon je les ferai moi-même et vous ferai embarquer de force sur ce bateau.

Je ne veux pas partir ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas !

Tout se bouscule dans ma tête. Je ne sais plus ce que je dois faire; je suis si triste, si en colère. Et au final je ne peux rien faire. Rien !

Je cours jusqu'à la maison, entre dans le hall en claquant la porte et monte les escaliers, les larmes aux yeux. Prise entre la rage et le désespoir, j'ouvre un grand sac et y jette sans regarder n'importe quels vêtements, n'importe quelles affaires. Plus rien n'a d'importance si je pars de toute manière.

Par la fenêtre, je vois déjà le cocher s'arrêter devant ma maison. L'heure est venue.

À ce moment précis j'ai juste envie de mourir, l'impression que rien ne pourra jamais me consoler. Du revers de la main, j'essuie les chaudes larmes qui roulent sur mes joues pâles, et j'empoigne mon sac. Je descends l'escalier d'un pas monotone, ayant envie de courir et de m'enfuir loin, très loin de tout cela. Mais je ne peux courir car je n'ai nulle part où aller. Je pose les pieds sur le carrelage du hall, une boule grandissant dans ma gorge à l'idée de quitter pour toujours la maison de mon enfance. Si mon père était encore là, il ne les laisserait pas me faire ça ! J'ai envie de hurler pour faire sortir la douleur qui s'empare de mon cœur, mais je ne le peux. Retenant mes larmes, je passe la porte et descends les imposantes marches de pierre. Je croise ma mère et baisse la tête pour ne pas lui laisser ce dernier regard, je veux qu'elle sache que je ne lui pardonnerai jamais. Ma tante est déjà dans la voiture. Le cocher me tient la porte et je monte m'asseoir silencieusement à côté d'elle. L'homme monte à l'avant, ordonne aux chevaux de se mettre en route et nous démarrons. J'entends le bruit des roues contre le sol, chaque imperfection du chemin nous fait sauter de nos sièges. Je regarde par la fenêtre d'un air mélancolique; je donnerais n'importe quoi pour sortir de cette voiture.

Nous descendons au port et embarquons dans un bateau en destination de l'Angleterre.

Annotations

Vous aimez lire Opale Encaust ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0