MIROIR

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Le regard perdu au-delà de son image, elle effleure devant le miroir le coin de ses yeux où les années, les nuits sans sommeil et les douleurs de la vie ont creusé quelques sillons.

Mais soudain, son image s’est troublée, imperceptiblement, comme un léger tremblement de l’eau sous le vent. Vision de l’esprit ou réalité ? Elle pose doucement sa main, à plat, sur la vitre froide, et chaque point de contact fait courir un frisson le long de ses doigts. Elle sursaute et écarte sa main ne laissant que ses empreintes comme une preuve de vie, comme des petits pas aux contours éphémères. Des milliers de picotements courent sur sa peau, remontant le long de son bras pour courir sur sa nuque. En retenant son souffle, elle vient reposer sa main ; doucement une légère chaleur semble se dégager de la surface si froide l’instant d’avant. Mais le reflet n’est pas celui de sa main : la surface du miroir semble avoir fondu et sa peau touche une peau, des doigts qui ne sont pas les siens et qui ne lui semblent pas autres non plus. Les voilà paume contre paume, ligne de vie sur ligne de chance, ligne d’amour sur ligne de cœur, si près, si près qu’elle a l’impression de sentir les battements d’un cœur emprisonné entre leurs deux mains. Un cœur, un seul, ou peut-être deux battant à l’unisson. Les yeux fermés pour ne pas rompre le fragile fil qui semble les lier, elle sent sa main tourner sans perdre ses points de contact, comme irrésistiblement entraînée vers l’autre. Son double de l’autre côté du miroir effleure doucement ce que raconte chaque cicatrice, ce que trahit chaque chemin, s’attarde sur les endroits où la peau est plus fine, plus vulnérable. Il joue doucement avec ses bagues, les faisant tourner du bout de ses doigts. Mais soudain, alors qu’elle sent sa main se refermer sur la sienne, un grand froid la saisit comme si la vie la quittait. Elle s’écroule doucement, sa main glisse sur la vitre laissant de longues traînées comme les traces d’un immense chagrin.

Autour d’elle le temps s’est arrêté et le silence l’enveloppe : elle n’entend que son cœur qui cogne, que le bruit du sang qui bat à ses tempes. Lentement, elle remonte ses genoux et y pose sa tête, ivre de douleur, vide, désespérément vide …Tous ses muscles deviennent douloureux comme après une longue grippe, comme si on l’avait frappée. Les courbatures s’intensifient et elle tente de bloquer ses tremblements en enserrant ses deux bras autour de ses genoux. Mais rien n’y fait : elle se sent comme une droguée en état de manque, comme si elle allait mourir. Le manque, oui, c’est bien ça … ce manque que peu savent, que peu comprennent, que peu vivent. Combien de ceux qui disent : « tu me manques » ont-ils pris la mesure de ces mots ? Le manque est un gouffre, un abîme sans fond, une brûlure que rien n’apaise… Il n’est tolérable que quand on sait qu’il va cesser mais le reste du temps ? Le manque fait se sentir incomplet, survivant, sous vivant … le manque dévore tout sur son passage et laisse exsangue. Le manque a volé un sourire, des yeux rieurs, une histoire qui se croyait immortelle... Rien ne peut le combler parce que l’être qui nous manque a laissé en nous une empreinte qui n’appartient qu’à lui. Elle a froid, très froid et la chaleur n’est plus une réalité dont elle se souvient ou plutôt si … elle se souvient ...

Elle ferme les yeux et la prison dont les barreaux lui entrent dans la chair semble soudain moins pesante, moins étouffante. Elle va pouvoir aspirer une bouffée d’air, y croire encore. A nouveau son esprit s’échappe, elle croit perdre la raison : quand on veut quelque chose si fort, est-ce qu’on ne peut vraiment pas l’obtenir ? Comme l’aveugle à qui les images ont été ravies ressent autrement et plus fort ce qui l’entoure, elle se laisse envahir par une odeur qui flotte autour d’elle ; pas un parfum, juste un sillage familier … l’odeur d’une peau, celle dans laquelle on s’endort, rassurée ; celle qu’on reconnaît, indéfinissable, parce qu’elle fait partie de nous … La chaleur revient mais cette fois elle l’entoure comme un rempart contre le froid, un rempart contre la peur, un rempart contre le vide … Tout autour, il n’y a plus rien, plus rien qui blesse, plus rien qui mord. Elle sent un contact qui glisse comme un voile léger d’une épaule à l’autre en effleurant son dos d’une caresse si tendre… Tremblante, elle parvient à se relever ; la fraîcheur du miroir fait un étrange contraste, presque douloureux. Elle n’ouvre pas les yeux , laissant l’étrange sensation se répandre en elle comme un poison bienfaisant. Rêver, être encore deux… Des bras se sont refermés sur elle et une main se pose sur sa nuque, la protégeant définitivement de tout. A l’instant où son esprit bascule, elle n’a plus peur, elle ne veut plus savoir, elle ne veut plus comprendre : elle s’endort dans ce monde qui n’est plus vraiment là, pas vraiment ailleurs mais où elle n’est plus seule.

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