Une nuit sans sommeil c'est comme un vélo sans selle, tu galères au bout d'un certain temps à trouver la position idéale (titre provisoire)

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Josette referme la porte sur nous, sur nous et tout ce qui encombre la pièce. À savoir, le lit, monumentale espèce de bateau surmonté d'un édredon tout aussi imposant ; l'armoire, en chêne dans le plus pur style Louis XIII, s'ouvre par une porte, à glace biseautée, encadrée de colonnes torsadées et par un tiroir en partie basse. Généreusement sculptée sur sa façade et ses côtés, elle dépareille du bureau en acajou. Son ouverture en façade par les huit tiroirs et le cylindre découvrent un joli théâtre intérieur. Je remarque deux tirettes de côté. Y aurait-il une cache secrète ? J'ose l'imaginer. Voilà donc le lieu où sont produites les lettres de Patricia.

Méthodique, comme à son habitude, ses enveloppes sont triées par ordre d'arrivée. Sur l'une d'elles, je retrouve mon écriture. J'emprunte un instant la chaise stricte, droite qui tient lieu d'assise face à ce meuble. Quelques mots lâchés sur une feuille attirent mon attention. C'est l'ébauche d'une poésie, noire, dont les rimes pauvres m'indisposent. Des mots recouverts de mort, des mots à faire peur. Quelques flèches pointues griffent le texte.

Mes idées se désembrouillent lorsque j'entends murmurer derrière moi.

— Ça te fait chier de lire ça, hein ? Rassure-toi, j'ai pas mis mes menaces à exécution. Viens par là, faut qu'on cause d'autre chose.

Elle se déshabille entièrement.

— Viens, je te dis. Tiens prends !

Elle me tend son gant de toilette. Ses frissons ne sont pas dûs au froid de la pièce.

— Vas-y frotte, je pue la bique.

Nous nous lavons mutuellement. J'insiste sur la pointe de ses seins, minuscules îlots émergeant d'entre mes doigts. Je dérive un peu plus bas, histoire de vérifier une nouvelle fois la blondeur sauvage de son blason. De dos, je retrouve les courbes de la Grande Odalisque. Aucune sensation de gêne ne vient troubler ce moment délicieux. Je n'irais pas jusqu'à dire que son postérieur éclaire la pièce, mais je peux certifier qu'il allume en moi une furieuse envie de le posséder.

Impossible de dissimuler mon désir d'elle. Impossible pour elle de simuler son envie de nous.

Branle-bas de combat !

Serrer au plus près !

Hardi gaillard !

La mer est agitée ce soir !

La première salve tirée, les effets de l'alcool nous achèvent en un rien de temps.

Au cours de la nuit, entre nos draps, nous nous retrouvons à faire semblant de ne pas nous toucher, à supplier l'autre de ne pas nous étreindre, tout en le couvrant de baisers, à jouer à celui qui dort, ou celle qui ne dérange pas son voisin.

Ce soir, la lune était bonne pour nous. La méthode de la lunaception – controversée par les récalcitrants – nous permettait de consumer l'amour jusqu'au bout du plaisir. Nous attrapons si chaud que lorsque nous sortons la tête de sous les draps, nos paroles s'échappent, portées par la buée légère.

— À la Croix-Rousse, ma grand-mère Émilie fabriquait ce genre d'édredon avec des plumes et du duvet. Satin rouge d'un côté, or de l'autre. Tu ronfles la nuit.

— Je sais, mes amants me le disent.

— Tu en as beaucoup ?

— Oui, mais l'un après l'autre. Sinon, je mélange les prénoms.

— Et moi, comment je m'appelle ?

— Soixante-neuf !

— Ah ! Ah ! Ah !

Garder le lit jusqu'à point d'heure est un vrai plaisir. Volontaire désigné, je me résigne à évacuer les liquides de ce foutu vase de nuit.

Josette maintient le café au chaud. Elle a déjà tout débarrassé le bazar de la veille et s'évertue à ne pas exploser de rire en me voyant paraître. C'est un peu honteux que je me présente devant elle, vêtu d'une robe de chambre à fleurs, évidement trop courte des manches et du reste aussi. Et, bien que fermée sur le côté par la ceinture en flanelle, j’attise la curiosité de mon hôtesse qui ne se contente pas d'avoir les yeux rivés dans sa cuvette d'eau savonneuse et tente de découvrir la couleur de mon pyjama que j'ai oublié d'enfiler.

Toutefois, j'apprécie sa discrétion. Elle fait comme si elle ne nous avait pas vus, moi et mon embarras, mais m'indique néanmoins l'endroit du jardin où vidanger le seau.

Après cette sortie quelque peu vivifiante, j'ouvre le Teppaz, installe le seul vinyle disponible. Monique Morelli emplit la chambre de sa voix percutante, nous chante son François Villon. Quels frissons. La photo de la pochette est le portrait craché de Patricia. Besoin de vérifier avec qui j'ai passé la nuit. D'un coup d'épaule, je me déleste de mon déshabillé, prêt à retrouver la chaleur de ma partenaire. Nous brûlons d'envie de nous emboîter dans un sens puis dans l'autre, de nous assembler sans bouger, de nous échapper au galop elle par-dessus moi, ou l'inverse je ne sais plus.

Ce sont les grognements de Gypsie qui nous tirent du lit. Elle attend à la porte de la chambre. Comment a-t-elle pu sortir de sa réserve ? Je me doute bien que Josette n'est pas étrangère à cette libération.


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