2. What Happens To The Heart

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Tom Scofield, une considérable tasse de café noir à moitié pleine dans la main, écartait les portes vitrées du bureau du Shériff. Devant lui se trouvait une photographie de la ville de Bellemort au moment de son édification. Scofield l’examina avec intention, la ville n’avait pas toujours connu l’indigence, mais les prétentions d’hier avaient laissé place à la morosité qui caractérisait si bien les régions abandonnées du rêve américain. Cela relevait maintenant davantage du supplice que d’un quelconque idéal.

— Pas mal, hein ?

Edgar Berry, pantalon propre dans les mains, fixait le cliché avec fierté. Sa famille avait émigré au début du siècle et Bellemort était la terre qu’il chérissait, peu importe qu’elle eût entre temps égarés toutes ses ambitions. Le Sheriff fila le pantalon à l’agent Scofield, qui ne s’était pourtant pas indigné une seule fois des taches refroidies de cafés qui maculaient ses habits.

— Merci Shériff. Je suis à vous dans une minute, ne m’attendez pas !

Un homme s’avança vers eux, il s’agissait du député du Sheriff, Jacob Friedman. Scofield eut un geste de sympathie à l’égard du jeune officier, avant de s’éclipser pour se rendre aux toilettes et se changer.

***

L’agent Scofield, Edgar Berry ainsi que le député Friedman se situaient dans la modeste salle de conférence du bureau du Sheriff. Scofield, adosser à une fenêtre rendant compte du coucher du soleil scrutait la table en formica sur laquelle s’édifiaient les rares éléments de l’enquête. Il n’y avait ni corps, ni mobile, ni témoin. La réunion ne serait pas longue.

— Comme vous pouvez le voir, Tom, nous n’avons pas le début d’une piste sérieuse concernant la disparition d’Elizabeth McBride.

— Parlez-moi d’elle.

— C’est la fille unique de Philip McBride, il détient plusieurs usines dans la région et est le principal employeur de Bellemort. Il a fait état de sa disparition il y a deux jours.

— Sheriff, tout cela n’est pas d’une grande aide à l’enquête.

— Philip McBride est quelqu’un de très discret. Personne à Bellemort n’est familier de lui et encore moins de sa fille. Elle n’était pas scolarisée ici et Mr McBride lui même ne se mêle pas aux affaires de la cité. Il a fait usage de son influence pour que le dossier soit confié à un agent qualifié dans les disparitions et les enlèvements. J’ai bien le début d’une piste, mais elle ne repose sur rien de tangible.

— Dites toujours, Edgar.

— Justement, à ce sujet, Sheriff…

— Oui, député Friedman ?

— J’ai vérifié au Roadhouse l’alibi de Micah Briggs. Il n’y était pas.

— Micah Briggs ?

L’agent Scofield s’était rapproché de la table en formica. La photo d’un homme d’âge mûr errait entre deux documents énonçant l’apparence physique d’Elizabeth McBride et la fine liste de gens qu’elle fréquentait.

— Oui, ce type. Il a une histoire… Particulière avec Bellemort. Il s’agit de l’homme qui occupait mon poste il y’a une décennie. Je vous passe les détails, mais il a été congédié pour avoir molesté un type, ça avait fait le tour des quotidiens de la région, à l’époque.

— Et vous pensez que cet homme est en lien avec la disparition d’Elizabeth ?

— Je n’en pense rien, Tom. Mais je connais cette ville, si ce n’est pas une fugue, il ne reste pas beaucoup de gens capables d’un tel acte. Et il se trouve que depuis son licenciement, il habite en périphérie de Bellemort. Pas le genre d’endroit dans lequel les gens viennent traîner, même les jeunes.

Scofield observa la photo avec curiosité. L’homme devait avoir la soixantaine, et le mugshot qui servait de pièce au dossier ne le faisait pas passer pour un enfant de chœur. Il détenait un visage sévère et avait officié comme Sheriff de Bellemort. C’était une piste attractive. D’autant plus qu’elle se trouvait être la seule que les trois hommes possédaient.

— Très bien Shériff, allons interroger ce cher Micah Briggs.

— Friedman, tu gardes le bercail.

Scofield et Berry se dirigeaient en direction de la Dodge Charger du Sheriff. De l’autre côté de la rue, une jeune fille à l’allure débraillée fixait le bâtiment avec appréhension. Elle guetta que la voiture ronronne sur le bitume et pénétra dans le bureau du Sheriff.

— Sharron. Un problème ?

— Je pense être la dernière personne à avoir vu Liz avant son enlèvement.

***

La voiture du Shériff se stoppa aux abords de la modeste route qui sortait de Bellemort. Un camping-car déglingué et aux jantes apparentes leur faisait face.

— C’est ici qu’il loge.

Edgar Berry et l’agent Scofield avançaient en considérant avec prudence la résidence de fortune. S’il était en lien avec la disparition d’Elizabeth McBride, la situation pouvait s’envenimer. Le Sheriff fit un signe de la main en direction de Scofield, puis se rapprocha du véhicule.

— Micah, c’est le Sheriff Berry. Je te demande de sortir sans faire d’histoire.

Un son ignoble de métal lourd résonna à travers la tôle de la caravane. Scofield ne réagissait pas, mais avait les yeux pointés sur le Sheriff, sueur au front, qui faisait danser sa main en direction de son Colt. La porte du véhicule s’ouvra avec brutalité, et Micah Briggs, un colosse de près de deux mètres, en émergea. Il portait un tablier couvert de tâches d’huile et de colle à bois. Il fixait avec animosité le Sheriff à la main redevenue impassible.

— Tu fais quoi, Micah ? On a quelques questions à te poser.

— Je fais des réparations, et j’ai rien à te dire.

— Elizabeth McBride a disparu, Micah.

— Je sais pas qui c’est.

— On a vérifié ton alibi, tu n’étais pas au Roadhouse le soir de sa disparition. Où étais-tu ?

La respiration de Micah Briggs se faisait de plus en plus fréquente, et bruyante. Il s’approcha du Sheriff et le considéra avec des yeux fous.

— J’étais ici.

Micah pointait du doigt un Sycomore qui se situait à quelques dizaines de mètres de la caravane. Sous le platane se trouvait une petite croix de bois plantée sur le sol désert de toute végétation.

— Tu te souviens de lui, Sheriff ?

— C’était une magnifique jeune femme, Micah.

Le poing du colosse fit chuter Edgar Berry en un instant. La fine couche d’herbe absorba une partie du choc avec la terre, mais une lèvre fendue fit jaillir du sang qui colorait les tiges vertes jonchant le sol. Micah s’approcha à nouveau du corps de sa victime, mais l’agent Scofield signala sa présence en plaçant sa main sur son pistolet de fonction. Micah, fou de rage, faisait les cent pas entre son taudis et l’agent du Bureau.

— C’était un merveilleux garçon ! Putain de merde !

— Micah, pardonne-moi…

— Non. Je ne veux jamais entendre ces mots dans ta bouche, sale ordure. Vous m’avez tout pris. Et vous avez couvert le décès de mon fils. Et vous le respectez autant dans sa mort que pendant toute sa vie. Bande de chiens.

Micah sanglotait et s’approcha du Sycomore en essuyant ses larmes. L’agent Scofield regardait Edgar, toujours en communion avec le sol et quelques doigts recouverts de sang sur ses lèvres. Le Sheriff semblait avoir honte de sa maladresse. Scofield lui tendit une main ferme et l’aida à revenir sur pieds. Les deux hommes suivirent Micah Briggs qui fixait la modeste croix de bois sur lequel était inscrit le nom de son fils.

— Micah… Qu’est-il arrivé à votre garçon ?

— Ce qui arrive à ceux qui ne rentrent pas dans la norme.

— Il s’est donné la mort ?

— Non.

Micah regardait d’un air sec et dédaigneux le Sheriff, puis porta son attention sur l’agent Scofield.

— Il a été tué par des années d’humiliation et d’insensibilité. Il a été tué par cette ville. La même pour qui j’ai donné ma vie.

— Il a été conduit au suicide. — ajouta Edgar, le regard fuyant —

— Micah, je vois à sa pierre tombale que votre garçon avait 19 ans au moment de sa disparition. C’est le même âge qu’Elizabeth. Est-ce que vous savez quoi que ce soit ? Je vous le demande d’agent à agent.

— J’ai jamais aperçu cette fille de ma vie.

L’agent Scofield remercia Micah Briggs d’avoir pris de son temps pour répondre à ses questions et prit le chemin en direction de la Dodge Charger du sheriff. Edgar lui emboîtait rapidement le pas. Le sang avait coagulé sur sa lèvre et ne laissait plus qu’une petite boule rouge.

- Agent Scofield ? - Ce dernier se retourna vers le colosse. Edgar, lui, poursuivait sa route vers son véhicule.-

- Vous couchez sur Boogie Street ?

- Effectivement. Pourquoi ?

- C’est le seul hôtel de la ville. Si vous voulez savoir ce qui se passe avec cette fille, je peux vous aider.

- Comment ça ?

- Ce soir, avant de dormir, demandez une camomille à l’accueil.

- Une camomille ?

- Oui.

- Quelque chose d’autre, Micah ?

- Je vous enverrai un gamin de Bellemort pour le reste. Jugez le pas trop vite, c’est un bon gosse.

- Très bien Micah. Prenez soin de vous.

Micah ne répondit pas et se retourna vers le sycomore, plongeant son regard sur la petite croix de bois. Edgar, lui, attendait son acolyte assis sur le siège de sa voiture.

- Il voulait quoi ? - demanda le Sheriff, toujours atteint par ce qui venait de lui arriver -

- Il est perdu.

- Et moi j’ai sacrément foiré.

- C’est vrai Edgar, mais vous êtes un homme bon. Personne ne vous demande d’être parfait.

Scofield posa sa main sur l’épaule droite du Sheriff et lui fit un bref sourire. Ce dernier démarra le véhicule, ils se dirigeaient maintenant vers le manoir McBride. Le soleil couchant, lui, tapaient ses derniers rayons sur le capot du véhicule de fonction.

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