Apocholon

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Apocholon, rameur d’esquif coincé au Large, tente d’échapper à la Moïde, au long d’une route d’Ithaque. Vainqueur de guerres ulysséennes, il rentre au pays pour une paie bien mérité, versée en un amour torride. Hélàs, une méduse gargantuesque, trois fois la baleine à bosse, a affreté en pleine mer l’embarcation sur laquelle il ramait entre deux terres, empêchant le héro évincé des annales de retrouver la côte.

La nuit il ne peut le sommeil, le jour il ne peut la lumière. Les rêves se comptent en sursauts, les répis en secondes. Enfermé dans un cloître-navire, il prie la Moïde, de lui laisser la rame guider son oeuvre; de retrouver Saïda. Que guettes-tu, chose des abimes ? Tes coups dans la quille longue m’interdiront Sidon.

Sous l’eau, la cloche natatoire ensoleillée, comme l’huile versée sur la soupe, avale le périmètre de l’esquif. Lentement elle se meut, avare, potente. Y a-t-il un visage derrière l’ombrelle ? Des lèvres desquelles poussent des aveux ? La Moïde n’entend ni ne répond, le rejetant à bord dès qu’il s’élance dans la mer. En m’empêchant la côte, tu me fais désirer une issue, plus que jamais je n’ai souhaité un retour. Mon port, l’odeur salée du marché, les oranges, les pêches. Tout est désir. Tout me revient telle une envie irrépressible.

Le soleil guette comme un rapace, lui écoulant son eau, l’amenant vers une soif à peine soignée par l’ombre de sa voile. Ciel, mer et méduse conspirent, en abattée pour sa dépouille.

Apocholon s’essaie à un vieux tour, en requiert aux Shanties, sirènes de la mer aux noms cités dans des versets connus des marins seuls; ayant aussi trait aux domestications d’esprits des mers, des vents comme de la foudre. A ses mots, la méduse élève ses tentacules, s’empare du mât, fait osciller l’esquif, Apocholon, sa voix. De l’eau salée pénètre ses bouteilles renversées; ne reste que le seau pour sauver les derniers mètres de son sol.

A la couchée, malgré l’appel, la Moïde toujours l’embourbe. Etre lunaire, elle suit un instinct auquel Apocholon ne peut rien; un rythme de montées et de descentes, nycthéméral, une danse dans la chorégraphie des achoppements du monde accidentel; anéantissant l’espoir de toute négociation. Souhaite-t-elle même sa mort ? Grogneux, Apocholon s’élève, projette sa lance taillée, ciblant ainsi l’ombrelle. Dans sa colère il voit s’être mépris, avoir lancé sa rame, à peine ayant tracé un trou dans l’eau se refermant.

S’en est fini de mon destin avec Saïda, s’effondre-t-il. Jamais la méduse ne me laissera toucher la côte. Vaincu, il l’enquiert : le coeur souffre-t-il, lorsque cesse les marées ?

Bordé par le mouvement des vagues butant sur sa coque, au milieu d’une nuit pleine, au long sillon de Lune, Apocholon s’apprête au repos, levant par à-coups sa nuque pour forcer quelques fois l’inspiration. Héros de batailles légendaires, jamais n’a-t-il autant souhaité revoir son monde natal; ayant paradoxalement passé sa vie à le quitter. L’image future de lui-même, vieillard, posée sur son fauteuil aiguillé vers l’océan; lui fait des yeux d’excuses, s’effaçant au profit de la peinture. Jamais la ville ne connaîtra la raison de pareille désertion. Jamais Saïda ne saura, avoir été aimée au point du désespoir; qu’une méduse sortie d’abimes inconnues est remontée de nulle part, s’enticher de son esquif et l’immobiliser. Vieillard, j’avais promis une vie paisible après d’âpres explorations. Hélàs, la vie s’est tue à mi-chemin, sans lien avec le prestige des guerres ulysséennes.

S’apprêtant à sombrer, dans l’abattement face au revers confus de sa destinée, il voit alors, de ses deux yeux embrumés, les avant-bras posés, sur la rambarde, le fixant posément : une Shantie venue se présenter. Il entend presque, le claquement de la queue frapper l’esquif. Hélayyad s’est présentée, annonce-t-elle en un dialecte des ancêtres. Toutefois, Apocholon ne lit que peu d’émotions dans la venue. Aussi émue par son dépérissement que par l’observation d’un oursin, la Shantie répond à de vieilles traditions, des rencontres entre marins et mers scellés d’antan; sans s’apprêter au moindre effort supplémentaire. Apocholon, commence-t-elle, tu connais les chansons dans lesquelles mon nom est dit, tu es donc de la lignée du Pacte; et les Shanties ont juré de se présenter pour les reprendre. Je suis donc là. Mais il ne reste plus beaucoup de chansons, déjà mes soeurs retournent dans les océans. Je dois pourtant t’avertir, aucune n’est au-dessus des lois de la Moïde.

Quelques larmes d’Apocholon s’écoulent.

Sais-tu combien de marins j’ai vu mourir ? s’offusque-t-elle. Jamais le Ciel ne s’est éteint pour si peu.

Hélayyad, offre-t-il, je suis trahi par la destination, pris en plein vol pour des raisons sans lien avec ma destinée promise. Seuls les ennemis de Sidon bénéficieront de cette mort inexplicable, par la Moïde surnaturelle. Combien d’assauts ma mort causera-t-elle sur tes côtes ?

Hélayyad compta sur ses doigts et annonça...

A suivre. ..

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