Chapitre deux - Un champ de bataille de papier

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Victoria rejoignit Harmon comme prévu et vit qu'il était en train de faire une liste.

« C'est à quel sujet, cette liste ? s'enquit-elle.

— Les invités, répondit Harmon avec un sourire. Je sais que tu dois encore rencontrer ma mère mais ce n'est qu'une formalité. Je suis sûr qu'elle t'adorera et qu'avant la fin de la semaine nous pourrons annoncer nos fiançailles. Prends du papier et écris les personnes auxquelles tu penses, pour les cartons. »

Victoria sourit devant la naïveté de son fiancé. Elle avait commencé il y a plusieurs années déjà à tenir la liste de tous les cousins éloignés et amis de la famille qu'elle voulait inviter au mariage - à commencer par sa cousine Cassandra Murray, qui résidait en Suisse depuis la mort de son oncle Alan - mais les évènements des derniers mois, non, des dernières années, l'avaient forcée à rayer la plupart des noms. Il n'empêchait qu'elle avait déjà une belle liste, mais, de peur d'effrayer son fiancé en lui montrant qu'elle se préparait pour son mariage depuis avant même leur rencontre, elle s'assit et commença à écrire. Au bout d'un moment, ils passèrent de la liste aux premiers cartons d'invitation. Victoria n'avait pas imaginé passer sa journée à ça, mais il y avait quelque chose de reposant à être assise à côté de son fiancé à écrire.

« Wow ! s'exclama Harmon en se penchant par-dessus son épaule, cinq minutes après qu'elle ait commencé. Tu n'as pas écrit depuis quand ? Ces cartons d'invitations, c'est Trafalgar - quel que soit le côté duquel on se place !

— J'avoue que j'ai tendance à utiliser la secrétaire de mon frère pour taper la plupart de mes lettres, répondit-elle. Et mes quelques amies ne vivent pas à plus de cinq minutes à pied et nous nous retrouvons hebdomadairement au salon de thé du Rose and Thorn, donc je n'écris pas souvent de billets. »

Elle vit Laura et Lincoln passer en se chamaillant dans la pièce d'à-côté, et songea qu'elle ferait mieux de se remettre au travail. Saisissant une pile de faire-parts, elle dit :

« Quand j'aurai fini de massacrer ceux du Brightwell, je m'attaquerai à ceux de ta famille.

— Je n'en doute pas, répondit Harmon. Oh, dis ! Avant que je ne retourne à la poste avec ce tas-ci (il désigna le tas déjà rempli, qu'il avait pris sous le coude) j'aimerais qu'on se retrouve ce soir en haut de la tour. J'ai une surprise pour toi. »

Victoria eut un sourire attendri. Elle adorait les surprises, et Harmon le savait. C'était vraiment l'homme parfait, il était attentionné en plus du reste ! Elle l'adorait, elle n'aurait pu en jurer mais il lui semblait qu'il l'adorait aussi, et ils s'entendaient sur tout - même si le sujet du prénom de leur aîné restait encore à discuter - non, vraiment, elle n'aurait pas pu trouver meilleur homme pour elle.

C'est sur son petit nuage de béatitude qu'elle écrivit le reste des faire-parts, au milieu des va-et-vients de ses amies et de leurs cousins - Rebecca lui demanda si elle n'avait pas mal au poignet, et reprocha à Harmon de la faire trop travailler, Laura vint prendre un livre, Lincoln... elle n'aurait su dire ce qu'il avait fait à part la dévisager bizarrement, mais depuis le temps elle savait qu'il était bizarre... Alicia passa également, bref, toute la famille défila.

*

* * *

*

Le rendez-vous était convenu à dix heures, pour un rendez-vous secret. D'autres auraient pu choisir minuit, mais Harmon savait que Victoria n'était pas un oiseau de nuit et avait choisi l'horaire en tenant compte de sa douce.

Vers neuf heures, le ciel commença à se couvrir, et l'air lourd qui tout l'après-midi avait été présage d'orage se transforma en moiteur étouffante, prête à exploser d'électricité. Harmon sortit de sa chambre et alpagua une servante qui s'apprêtait à éteindre les lumières du couloir.

« Pourriez-vous porter un message à Mademoiselle Brightwell ? demanda-t-il.

— Bien sûr, Monsieur, répondit la jeune fille.

— Dites-lui qu'étant donné le temps, il vaut mieux reporter notre rendez-vous à demain.

— Bien Monsieur. »

La servante s'en alla d'un pas pressé et Harmon rentra dans sa chambre pour se mettre en pyjamas. Ils avaient beau être fiancés, si il s'était présenté lui-même, à une heure si tardive, à la porte de la chambre de Victoria, cela aurait pu la mettre mal à l'aise.

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* * *

*

Il était dix heures et Victoria était en haut de la tour, comme convenu. Harmon n'y était pas. Pour une raison ou pour une autre, Victoria n'avait pas reçu le message. C'est bête mais c'est comme ça. Aucun rapport de près ou de loin avec la silhouette qui était sortie de sa chambre dès qu'Harmon était rentré dans la sienne et qui avait empêché la servante de porter le message sous divers prétextes.

Il commença à pleuvoir, et en plus de ça, il faisait froid. Victoria comptait les minutes et se demandait à partir de quand elle pouvait considérer que Harmon lui avait posé un lapin et s'en aller. Elle ne voulait pas pour autant partir trop tôt, car il pouvait être simplement en retard, auquel cas il aurait l'impression qu'elle lui avait posé un lapin.

Victoria eut l'impression de voir une ombre sur le balcon, sous la pluie, mais l'ombre disparut trop vite pour qu'elle en soit sûre. Songeant qu'elle allait se faire tremper, mais que si c'était Harmon qui s'était enfermé sur le balcon sans faire exprès en l'attendant, ça en valait le coup, elle ouvrit la porte-fenêtre et sortit sous les coups de tonnerre.

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