Chapitre deux - Albert Brigthwell

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La liaison en train était vraiment un progrès épatant ! Eliza arriva à Londres dans l'après-midi après être partie le matin, et se dirigea aussitôt vers le Brightwell's. Elle prit un cab, un taxi hippomobile, pour la première fois de sa vie. Elle adorait ça ! Toutes les sensations que lui donnait Londres lui faisaient ressentir l'isolement de sa campagne et à quel point elle était passée, jusqu'ici, à côté de la vraie vie.

Ce serait seulement plus tard qu'elle ressentirait l'isolement dans lequel on se trouve quand on est au centre d'une ville pleine d'étrangers, qui ignorent qui vous êtes et qui se moquent de votre sort. Pour l'instant, elle en était encore au stade de l'optimisme béat.

Elle arriva au Brightwell's en quelques minutes à peine, et se présenta à l'accueil. L'un des portiers la retint dehors en parlant de la pluie et du beau temps pendant que l'autre s'éclipsait pour aller prévenir Mr Brightwell. Elle patienta de bonne grâce mais fut surprise en voyant arriver son cousin Albert et non son frère James.

« Où est mon frère ? s'étonna-t-elle.

— Il est occupé avec le couturier, répondit Albert. Entre donc. Il ne devrait plus tarder. Tu patienteras dans mon bureau, en revanche. Si on t'aperçoit dans le hall, le Centaur Club verra subitement une affluence de nouveaux membres - à notre détriment bien sûr. »

Eliza entra dans le bureau d'Albert. C'était un bureau austère, à l'image qu'elle se faisait de son cousin. Elle se souvenait d'avoir pénétré une fois, suite à un défi lancé par sa cousine Victoria, dans l'antichambre des appartements privés de son oncle Andrew, le père d'Albert, avant que ses propres parents ne meurent et qu'Andrew aménage une chambre pour lui-même au Brightwell's. Tout était violet ou jaune. Le bureau d'Albert, en revanche, était en teintes de vert sombre et de brun. Le bureau et tout le mobilier étaient en bois, les chaises étaient tendues de vert bien sûr mais cela restait du vert bouteille. Le papier peint aux murs était vert foncé à rayures vert clair. Bref, elle n'aimait pas ce bureau - d'autant que le vert était loin d'être sa couleur préférée.

« Donc... commença-t-elle dans l'espoir de faire la conversation, vous connaissez la mariée ?

— Hélas, oui, marmonna Albert, avant de se reprendre : Inutile d'essayer de me faire la conversation, le silence me va très bien.

— Il ne me va pas à moi.

— Mais vous êtes l'invitée, et moi l'hôte, riposta Albert.

— Justement. » grommela Eliza, se taisant malgré tout.

Ils restèrent à se regarder en chiens de faïence pendant quelques minutes, puis Albert dit :

« Tu habites loin, cousine ?

— Pas très loin de Fawn Manor, répondit-elle. Ma gouvernante était une cousine de ma mère par alliance. »

Albert hocha la tête. La famille Fawn était assez étendue, et dans toutes les couches sociales. Il n'était guère étonnant que deux cousines Fawn soient l'une de petite noblesse et l'autre roturière.

« Et tu comptes rester à Londres longtemps ?

— Je compte m'y installer.

— Oh. Tu as déjà un logement ?

— James m'a promis une chambre au Rose and Thorn même si ce n'est pas encore ouvert.

— Oh.

— Bon, tu en as fini avec tes oh, cousin ?

— Je me faisais juste la réflexion que James avait du culot de me reprocher d'assouplir un peu les règles du club alors que lui-même ne s'en soucie pas et va jusqu'à ouvrir une auberge juste à côté, ou, en d'autres mots, il m'impose de rejeter des clients et ouvre son propre établissement pour les accueillir.

— Cousin Albert... murmura Eliza. Tu sais que je ne suis pas du genre à prendre inconditionnellement la défense de mon frère. Mais je crois que pour le coup tu es injuste envers lui. A mon avis, il a pris le premier parti pour respecter les traditions du Brightwell's, puis s'est rendu compte que les personnes qui n'étaient pas autorisées à rentrer allaient dans les pubs ou les auberges et a voulu les englober dans le chiffre d'affaires du Brightwell's. »

Albert haussa les épaules.

« Tu as peut-être raison. Mais je ne m'attendais pas à ce que toi, qu'il a abandonnée, prenne sa défense.

— J'essaie de ne pas laisser mon cœur obscurcir mon jugement. Tiens, ce n'est pas lui qui traverse la rue ? »

C'était lui. Son arrivée interrompit la discussion et comme on était le jour du mariage, il lui indiqua d'un geste vague la direction du Rose and Thorn, lui dit de confier les affaires à la fille d'étage, une certaine Millie, et il se dirigea vers l'église du quartier. Eliza soupira, un peu découragée. Elle se sentait parfois un peu perdue. Son frère ne lui avait pas adressé la parole depuis la mort de leurs parents. D'un coup il l'invitait à son mariage, prenait toutes les dispositions pour qu'elle puisse rester à Londres autant qu'il le faudrait, lui trouvait un logement gratuit, et ainsi de suite, et dès son arrivée lui tournait le dos après une bordée d'instructions sommaires afin de s'occuper de choses plus importantes. Bien sûr, elle comprenait que son mariage soit important, que ce soit un jour unique dans sa vie, mais ce n'était pas une raison pour... pour agir aussi sèchement.

Elle savait que James avait toujours été plus proche de Victoria que d'elle, et elle s'était demandée comment deux cousins pouvaient être plus proches qu'un frère et une sœur. Maintenant elle le comprenait, car si elle n'aurait pas été jusqu'à jeter entièrement le blâme sur James pour la froideur de leur relation, elle devait admettre que sur la majorité de la ligne, elle prenait le parti de son cousin Albert.

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