Chapitre deux - Disons vers cinq heures...

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Heureusement, Arabella n'arriva pas en retard au mariage. Même si elle ne faisait que vaguement partie de la famille, cela n'aurait pas été de bon goût. Et puis, si elle voulait interroger Angus McPherson sur ses chantiers navals et se dégoter un fiancé tout en prenant des notes pour son article, il fallait qu'elle ait du temps devant elle.

Son regard croisa celui de James Brightwell à la réception. Elle songea qu'il était normal qu'il soit là, étant un vague cousin et l'un des derniers parents en vie d'Helen McPherson, née Murray. Elle songea également qu'il correspondait à tous les critères qu'elle avait compilés pour former le portrait chinois de l'homme qu'elle voulait épouser pour ouvrir son pub et décida que ce serait lui qu'elle épouserait.

Elle s'approcha de lui. Elle avait sur toutes les autres filles à marier de l'assemblée l'avantage de lui avoir déjà été présenté - ou plutôt, de lui avoir déjà parlé longuement, durant leur interview, bien qu'ils n'aient pas été présentés.

« Bonjour Mr Brightwell. » dit-elle.

Il hocha vaguement la tête dans sa direction mais elle n'abandonna pas :

« Je tenais à m'excuser, dit-elle encore. Pour vous avoir crié dessus et vous avoir lancé une tasse de thé au visage. C'était un comportement indigne d'une dame et je ne puis me pardonner d'avoir agi ainsi. »

James Brightwell resta impassible quelques instants, puis dit :

« Ah oui, Miss Parsley ! Excusez-moi, il m'a fallu quelques secondes pour vous reconnaître. J'ai toujours eu du mal avec les visages. Enfin, cela doit vous rassurer : l'incident est bel et bien oublié. »

Arabella ne savait pas si elle devait se sentir soulagée ou vexée. Il n'empêchait que cet homme possédait la moitié des actions du Brightwell's ainsi que le nom allant avec, et qu'en homme d'affaires avisé il ne manquerait pas une occasion de s'agrandir. Il fallait qu'elle change d'approche, se présente non comme une connaissance, puisqu'il l'avait oubliée, mais comme une associée potentielle.

« Dites-moi, demanda-t-elle alors, avez-vous déjà songé à agrandir le Brightwell's ?

-Pour être franc, non, répondit James. Nous avons des chambres libres chaque nuit et le salon est suffisamment grand pour réunir tous les membres, même ceux qui ne sont pas des résidents permanents. »

Eh ben, c'était du propre ! Comment un homme pouvait-il avoir aussi peu d'ambition ?

« J'imagine donc, poursuivit-elle, qu'un partenariat commercial ne vous tenterait pas ?

-Je n'ai pas dit ça, répondit-il. Tenez, envoyez-moi la personne pour laquelle vous jouez les intermédiaires au club demain vers... disons vers cinq heures, comme ça nous prendrons le thé autour des dossiers. »

Elle bouillait intérieurement. Certes, comme il pensait qu'elle était toujours journaliste - et elle l'était toujours officiellement - il était logique qu'il pense qu'elle jouait les intermédiaires, mais elle ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir. Pour autant, il restait le meilleur parti de son point de vue, bien qu'il ait trois ans de moins qu'elle. Mais enfin, ce n'est pas comme si une si faible différence compterait quand ils auraient vingt ans de mariage derrière eux, huit ou neuf enfants - elle voulait en avoir beaucoup, n'ayant jamais eu qu'une sœur, et de treize ans son aînée encore ! - et potentiellement déjà quelques petits-enfants.

« Très bien, répondit-elle. Je serai au club demain à cinq heures. Pensez à prévenir le portier, qu'il me laisse entrer. »

Elle lui décocha un sourire éclatant et s'éloigna, ne voulant pas qu'il lui pose des questions sur ce partenariat. Tout en s'éloignant, elle songea que depuis la mort d'Andrew Brightwell et le début du directorat de son fils Albert, les règles s'étaient tout de même assouplies, puisqu'elle avait pu prendre le thé avec James lors de l'interview dans les bâtiments du club, et qu'elle allait recommencer. Avant, les femmes étaient purement et simplement interdites d'accès.

Des membres du club s'étaient plaints lors de l'assouplissement, avaient dit à Albert que si ils s'étaient inscrits, ce n'était pas pour que toutes les femmes de Londres - et il y en avait eu un paquet dans les premiers jours - viennent voir l'intérieur alors qu'elles n'étaient pas et ne pouvaient pas devenir membres, causant un désordre inutile, et que s'ils avaient voulu du désordre et un hall de gare à la place d'un hall d'accueil, ils auraient pris pension dans un hôtel et non pas payé une cotisation pour un club. Albert avait dit que s'ils n'étaient pas contents, ils pouvaient aller voir ailleurs, et comme ceux-ci s'étaient empressés d'approuver et de parler du Diogene's ou du Centaur Club, Albert était revenu sur ses paroles et avait accepté de cantonner l'accès des femmes au Brightwell's à une pièce seulement, sur invitation expresse et uniquement si la femme demandant à parler à un membre pouvait justifier soit d'un lien de parenté, soit d'un futur lien de parenté, soit d'un rendez-vous d'affaires. Heureusement pour Arabella, elle était à la fois une lointaine cousine de James par un cousin issu-de-germain de son père qui avait épousé une demoiselle Fawn - laquelle était elle-même cousine de la mère de James - et un rendez-vous d'affaires, ce qui suppléait au lien de parenté peut-être un peu trop vague.

Alors qu'elle partait d'un pas joyeux, à la fin de la journée, elle se rendit compte qu'elle avait oublié de profiter de la réception pour demander à Angus McPherson pourquoi il baptisait tous ses bâtiments Langoustine des Prés et tout le reste. Bah, cela pouvait attendre.

En rentrant chez elle, elle vit dans un trou de rue - ou plus précisément, un trou s'élevant dans l'enfilade de maisons depuis qu'un incendie avait ravagé un immeuble et quelques centimètres de mur de chaque côté des voisins - quelques roulottes de Bohémiens. Sans doute ceux-ci avaient-ils traversé la ville au lieu de la contourner et s'étaient-ils installés là le temps de passer la nuit ou de refaire le plein de provisions.

Arabella allait passer son chemin quand elle entraperçut un écriteau sur lequel étaient inscrits les mots Griselda, philtres d'amour et lecture de l'avenir.

Regardant de tous les côtés pour s'assurer qu'on ne la voyait pas, Arabella traversa et se précipita dans la direction indiquée par le panneau. Après tout, pour séduire James, si carré et scientifique, il lui faudrait un peu plus que juste de la chance et des bons arguments.

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