Chapitre trois - Le Pion

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Charles glissa un mot à l'oreille du chef d'orchestre et un quadrille commença, forçant Cell-M à partager Virginia avec un autre cavalier, et ce fut Arthur qui saisit l'autre main de la jeune fille. Au gré de la danse, il fit semblant d'oublier un pas et perturba légèrement sa partie des danseurs, forçant Angus et Saylaym à échanger leurs places pour rattraper le tempo, et la danse se poursuivit avec les nouvelles paires. Quand la musique s'arrêta, on se salua et Virginia fut entraînée par Angus et Arthur vers Charles, pour constituer un groupe suffisamment étoffé pour décourager Seylemm de s'incruster.

"Virginia, comment trouves-tu la soirée ? s'enquit Charles, toujours aussi attentionné.

-Magnifique ! répondit Virginia. Vous savez que j'adore la danse.

-A ce sujet, si je pouvais avoir l'audace de vous demander d'être votre cavalier pour la prochaine danse... glissa Arthur dans la conversation.

-Bien sûr !"

Virginia sortit son carnet de ball et le lui tendit, ainsi que le crayon attaché, au moyen d'un cordon délicat, au carnet. Charles et Angus continuèrent de parler à la jeune femme, tandis qu'Arthur gribouillait son nom sur la prochaine danse, et puis aussi, tant qu'à faire, sur une danse de la fin de la soirée. Il remarqua le nom du Hongrois sur la dernière ligne, pour la dernière danse. Le rustre avait donc l'intention de passer l'entièreté de la soirée là ? Alors même qu'il n'était pas invité au départ ? C'était d'une impolitesse !

Il ne put se retenir de faire cette remarque auprès de Charles et Angus quand Virginia se détourna d'eux pour parler à ses amies, et Angus s'exclama aussitôt :

"Cela signifie que nous pouvons mettre ce temps à profit pour fouiller la chambre de Machin-eme et voir si nous y trouvons quelque chose qui puisse révéler à tous sa perfidie.

-D'une part, dit Charles, sa perfidie, comme tu dis, se résume à ses vues sur Virginia, et ce n'est pas, en soi, un crime. D'autre part, nous introduire dans sa chambre ferait de nous des perfides. Enfin, il vient d'arriver, il a retenu une chambre mais il n'y a pas encore mis les pieds.

-Bons arguments." marmonna Angus.

Arthur eut alors une idée qui allait sceller leurs histoires, mais bien sûr, sur le moment, cela ressemblait seulement à une de ces idées idiotes que les jeunes hommes à peine sortis de l'adolescence ont lorsqu'ils veulent mettre leur valeur à l'épreuve.

"Et si nous nous rendions tout de même dans cette chambre, proposa-t-il, pour... je ne sais pas... pour nous imposer dans son espace, comme lui s'impose dans le nôtre ?

-C'est une idée stupide ! le rabroua Charles.

-Faisons ça ! approuva Angus.

-Charles, tu vis ici à l'année. Penses-tu pouvoir accéder au registre des chambres ?

-Inutile, soupira Charles. Je vais regretter de vous avoir aidé, mais j'ai entendu les filles d'étage se plaindre de demandes particulières d'un membre qui devait arriver ce soir. Si c'est lui, il a la chambre..."

Il s'arrêta, et, croisant les bras, dit d'un ton revêche :

"Et puis non ! Je ne vais pas vous aider à vous introduire dans une chambre du Brightwell's ! Vous vous en foutez, vous êtes un McPherson et un Richards. Cet endroit porte mon nom et c'est peut-être la seule chose dont j'hériterai jamais, et encore, seulement si Dixon part en cacahuète et qu'Albert le déshérite, donc j'aimerais autant ne pas porter atteinte à sa réputation, et encore moins à la mienne.

-En parlant de ta réputation, dit Arthur, je crois me souvenir qu'on t'a vu au bras d'une beauté dans les rues de Londres ?

-C'est ma cousine Cassandra Murray qui passait une semaine à Londres avant de repartir en Suisse ! Je lui faisais des excuses officielles pour ce que mon père lui a fait ! Elle a dix ans de plus que moi !

-Elle les fait pas, glissa Angus dans la conversation.

-Quelle chambre ? Personne ne saura que ça venait de toi, promit Arthur.

-La voisine de la mienne, soupira Charles. La vingt-sept. Deuxième étage, côté droit du palier. Avant-dernière porte avant la fin du couloir. J'ai le passe-partout des chambres parce que je paie pour mon séjour en aidant les domestiques. Pourquoi a-t-il fallu que je sois affligé d'une curiosité monstre et de deux amis comme vous ? Qu'est-ce que vous attendez ? On peut être revenus en dix minutes si on ne s'attarde pas."

Les trois jeunes hommes allaient s'éclipser quand Angus dit :

"Oh ! Attendez, ne devrions-nous pas laisser l'un de nous ici pour surveiller Célaeme ?

-Je suis sur le carnet de danses de Virginia, dit Arthur. Je peux me dévouer.

-Te dévouer, mon oeil, ricana Charles. Tu veux rester avec elle. Je peux comprendre. Allez, Angus, viens, on passe par l'escalier de service."

Et les deux jeunes hommes disparurent de la vue d'Arthur.

Deux étages plus haut, et deux minutes plus tard, Charles sortit un passe-partout de sa poche et ouvrit la porte pour Angus et lui. Ils entrèrent rapidement et refermèrent la porte derrière eux pour ne pas attirer d'attention extérieure, mais Charles ne referma pas à clef - il n'en eut pas le temps. Angus lui saisit le bras et murmura :

"Bon sang, qu'est-ce que c'est que ce mausolée ?''

*

* * *

*

Arthur dansait l'avant-dernière danse de la soirée avec Virginia, regrettant de savoir que le Hongrois aurait la prochaine mais sachant que cela signifiait qu'Angus et Charles avaient encore du temps devant eux pour redescendre, quand ses deux comparses reparurent dans son champ de vision, près d'une des portes du personnel. S'inclinant devant Virginia alors que la musique se terminait, le couple se sépara.

"Ne laissons pas Virginia seule longtemps, dit Arthur en la voyant valser au bras du Hongrois. Quelles nouvelles ? Charles, tu as empêché Angus de cacher des rats morts dans la literie ?

-Ce comte est un mauvais présage, murmura Charles, blanc comme un linge. Nous devons parler."

Charles et Angus attirèrent Arthur dans les communs, puis dans la cour du Brightwell's, déserte à cette heure. L'heure devait être grave s'ils voulaient une telle discrétion.

"Il y a une grande planche de bois contre la fenêtre qui bloque toute la lumière, dit Angus. Même chose dans la salle de bains attenante.

-Ce n'est pas le pire. Le matelas est nu, les draps ont été ôtés et utilisés pour colmater les espaces entre la planche et la fenêtre, poursuivit Charles. Sur le matelas, il y a un énorme cercueil de deux mètres de long rempli de terre. Et enfin, comme si tout cela n'était pas suffisant, au mur, il y a un énorme portrait.

-Le portrait n'est pas effrayant, il est grotesque, se moqua Arthur. Le comte voyage avec son propre portrait ?

-Pas le sien, riposta Angus.

-Celui de Virginia." conclut Charles.

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