La lettre d'un roi disparu

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Cher fils du royaume de France,

Je ne sais guère quand la Providence offrira à tes yeux la teneur de ces lignes. Je les écris depuis ma couche, las et affligé d'une sanction de mort, par ceux qui quelques mois auparavant m'appelaient encore Majesté. Je m'éteindrais ce jour sous le couperet de cette révolution qui, je l'ai vu dans ce rêve, changera à jamais le destin de ta patrie.

Ce rêve m'a été envoyé par le Seigneur, j'en suis certain. C'est transpirant et indigne de ce message que je décide de coucher sur le papier ce qu'Il m'a révélé en prophétie. Je ne crains plus le courroux des clercs, ni les accusations d'un autre âge.

Dans ce songe aussi réel que la moiteur de mon cachot, j'ai survolé tel un aigle les époques à venir, observateur silencieux du chemin des âges. Et faisant fi des nombreuses choses que mon esprit ne peut concevoir, en voici le récit intact.

J'ai vu des fous se comporter en chefs de guerre, abattre tant de lames sur le cou des innocents, au nom d'une tyrannie revêtant les habits de la liberté du peuple.

J'ai vu un homme sans lignée ni noblesse arborer l'aigle sur son étendard et faire de l'ombre à mon illustre grand-père.

J'ai vu les républiques faillir et deux rois de mon sang monter de nouveau sur le trône. Sans parvenir à restaurer la gloire de nos aïeux.

J'ai vu la Prusse nourrir la terre de métal au son des tambours, piétinant nos uniformes sanglants.

J'ai vu un macabre spectacle de boue et de pantins mourrant en lignes sous les balles innombrables, l'attente effroyable dans les sillons d'une guerre inutile.

J'ai vu ces féroces hommes en noir traverser nos campagnes dans des machines infernales de fer et d'acier. Et leur chef animé d'une sinistre idéologie laisser à jamais sa marque dans les carnets d'Histoire.

J'ai vu enfin la paix des nations et des hommes. Mais dans cette prospérité inédite les idéaux gagnés de haute lutte s'affaisser dans le confort matériel.

J'ai vu des agarènes égorger d'honnêtes chrétiens et lapider leurs propres compagnes. Et répandre d'un drapeau noir et blanc l'horreur dans leur sillage.

J'ai vu les citoyens du monde aveuglés par le discours de nouveaux monarques qui n'en avaient que les atours. Des bourgeois devenus artistocrates, voleurs légitimés.

J'ai vu la France devenir un vassal des colonies, une puissance oubliée, qui comptera plus de vieillards que de soldats.

J'ai vu un dragon rouge devenir le centre du monde et devant lui tous les genoux ployer.

J'ai vu la guerre sans fusils ni bataillons, des soldats dans leur fauteuil frapper d'un feu incroyable l'ennemi à l'autre bout du monde.

J'ai vu des montagnes de cadavres fauchés par des armes invisibles, abeilles mécaniques ou maladies cauchemardesques, la fin des idéaux et la naissance des familles apatrides.

J'ai vu la Terre frapper tous les enfants de Dieu de milles-et-un cataclysmes.

J'ai vu la famine et la sécheresse, la violence des eaux qui dévoreront les terres.

J'ai vu ces légions d'hommes, de femmes et d'enfants lutter sans bataillons ni drapeau pour leur survie.

J'ai vu dans ces tableaux d'horreur apparaître le bras levé d'une femme rassemblant les foules de malheureux, insufflant l'espoir de ses mots, baignant le monde dans sa lumière.

J'ai vu sortir de terre les graines de l'espoir, les bâtisses de fortune, le savoir retrouvé dans les livres d'un autre âge, l'envie de vivre et de construire ensemble.

J'ai vu flotter le drapeau de l'humanité toute entière, amputée de tant de ses enfants, mais recousue des fils de l'espoir.

J'ai vu des monstres de métal s'élever dans le ciel dans un vrombissement intense, s'avancer dans un vide infini bordé d'étoiles.

J'ai vu les enfants de la Terre endormis dans des cloches de verre, attendant leur heure dans les millénaires du silence.

Je ne sais quel dessein nourri le Très-Haut, mais il m'a dévoilé autant d'abominations que de grandeur. Dans ces épreuves, les masses suivront et seront de bien piètres dirigeantes. Sur chaque estrade, sur chaque marche de l'Histoire, il doit y avoir un chef.

Ma mort scellera la fin d'un régime qui a fait son âge. Corrompu par des privilégiés qui préféraient le confort des palais à la rudesse instructive des champs de bataille, les amusements d'éternels adolescents à la rencontre des enfants de France.

Je crains pour mes fils et mes filles, en père de la nation, de voir autant de tyrans prendre la courronne. Leur égo et leurs envies de pouvoir faire couler le sang et les larmes.

Je suis pareillement terrifié par l'imbécilité des foules, la somme des petits intérêts de chacun se croire plus grande que les esprits les plus brillants de leur siècle.

Il y a une terrible leçon à retirer des épreuves du temps. Grégaire est l'Homme, mais idiotes sont les masses. Elles devront toujours élire un chef qui prendra seul sur ses épaules le poids des décisions les plus impopulaires. Aveugles sont ces abeilles si aucune d'elle ne s'envole en pionnière pour voir au loin et guider toutes ses soeurs. Encore faut-il que celle-ci soit bien la fille de sa ruche et non d'une autre.

Si l'Histoire fera mon procès en tant que monarque, elle restaurera aussi l'évidence : chacun de mes pères aimait profondément son peuple et de sa naissance à sa mort, étaient élevés dans cet esprit.

Bien court fut mon règne et bien futile sera ma place dans le panthéon de l'Histoire. J'aurai toutefois eu l'immense privilège d'admirer le delta de toutes les nations et des siècles d'histoire.

Si tant d'hommes règneront, une seule femme suffira à les éclipser tous.

Puisse-t-elle advenir et nous sauver tous,

Louis-Auguste de France.

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