Partie 12

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LOG//COMM.0317

DEC15//08:32:15// Se cache derrière l’une des poutres et écoute clandestinement la réunion.

DEC15//08:48:32// Fuit en empruntant les tunnels d’entretiens.

DEC15//09:36:18// Altercation avec l’adolescente.

DEC15//13:49:04// Discute avec la femme et l’homme au sujet d’une connaissance commune : Jacob.

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- Consommer du Fog pour dormir.

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DEC18//09:43:36// Retour a l’abrimaison.

DEC25//03:44:51// Consulte frénétiquement le log de la machine.

JAN08//21:36:47// Consomme du Fog.

JAN017//00:13:42// Fait défiler les lignes du log jusqu’à s’endormir.

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18:00:00

L’horloge centrale sonna!

Je terminai ma semaine de travail à l’Institut de psychologie biologique. Un mois c’était écoulé depuis ma rencontre avec le Filth Club. Ann m’avait ordonné de ne rien faire en attendant de leur nouvelle… Un mois, toujours rien.

Je rangeai sans hâte les évaluations de la journée dans le tiroir de mon bureau. Je ne prenais même plus la peine d’aller les porter au Secrétariat de l’État… C’était censé être fait quotidiennement. Personne ne m’avait adressé de reproche à ce sujet. Tout comme personne ne m’avait, non plus, parler de mes deux semaines d’absences, avant de réapparaitre sans donner la moindre explication… L’administration se fichait de nous.

Ou à tout le moindre, de moi.

Machinalement, je sortis le Fertiapine de mes poches. Une demie. Juste pour me motiver. Je l’avalai d’un coup.

L’insatiable besoin de consommer ne s’était pas fait tarder bien longtemps avant de reprendre un contrôle presque complet sur ma vie…

J’agrippai mon manteau et quittai l’espace froid et formaté qu’était mon cubicule de travail. Les autres employés, dispersés autour, s’activaient dans leurs espaces respectifs. Aucun d’eux ne leva la tête à mon passage. Je n’avais personne à saluer non plus.

J’enfilai mon manteau et poussai du bassin l’une des portes doubles de la sortie. Une fois dehors je le retirai aussitôt. Il faisait encore plus chaud qu’hier… Difficile de croire que février allait débuter d’ici quelques jours. Et pourtant. Je m’engageai d’un pas décidé sur la poisseuse rue qui zigzaguait péniblement à travers Schäfertown… Le vent sifflait doucement, proche d’un chuchotement.

J’avais été chanceux de trouver un abrimaison encore fonctionnel. Beaucoup avaient leurs structures trop endommagées pour que l’alimentation électrique y soit maintenue… Mais pas cet abrimaison-là. Une pépite d’or ! Quoique, faites presque entièrement de métal, il serait plus adéquat de le qualifier de pépite d’argent. Un véritable trésor, enfoui entre les deux immenses morceaux de roche quelconque qu’étaient ses voisines de bétons. J’y avais élu mon domicile depuis maintenant presque deux ans. Ce soir, je devrai m’en séparer. Peut-être pour toujours.

J’étais arrivé à une décision. Par moi-même, enfin.

Pendant un mois j’avais obéi. Ne quittant mon logis que pour aller au travail, je m’étais morfondu sur mon sort en attendant des nouvelles de l’organisation… Avalant comprimé de Fog sur comprimé de Fog. Parcourant compulsivement les centaines de lignes de log du Commutateur. N’osant plus utiliser sa fonction primaire de peur que les Humes ne surgissent… Ne vivant et ne m’activant qu’à l’intérieur des fragments de temps visités grâce à la drogue. Assez !

Je partirai à la recherche de Jacob.

Ce soir. Maintenant. Un bref passage à mon abri et c’était un départ. J’arrivai à sa devanture vitrée.

Je fouillais un moment mon manteau et sortie le ticket à code-barres. Le scanneur incrusté à la surface du mur balaya d’un laser le papier et valida d’un bref sursaut de lumière verte. Une mince ligne découpa le contour de la porte, elle se décolla de la vitre.

Je jetais quelques regards par-dessus mes épaules.

Ma paranoïa ne cessait de grimper depuis les dernières semaines… Le Fog n’y aidait assurément pas.

Heureusement, sans surprise, personne n’était en vue.

Je me faufilai alors que la porte se fermait dans un léger grincement.

L’intérieur était à peine plus grand qu’un abribus. D’où le surnom de l’habitation. Le meuble multifonctionnel siégeait au centre et occupait la majorité de l’espace. Sa table chromée, aux allures et à la taille d’un pupitre, et sa chaise, d’un aspect tout aussi scolaire, avaient leurs côtés soudés et leurs pattes intégrées à même le plancher. Lui, d’un blanc cassant et uniforme. Malheureusement, en ce début de soirée, et puisque la structure n’offrait aucune lumière à ses locataires, la demeure n’était offerte que dans les tristes teintes de noirs et de gris… Il n’y avait, de toute façon, pas grand choses à voir…

Dehors, une ombre ondula.

Elle disparut encore plus rapidement qu’elle n’était apparue… Y avait-il vraiment eu quelqu’un ? Non. Je reconnaissais là les effets du Fog. Il débutait déjà.

Je me débarrassai du manteau sur la chaise. J’avais laissé mon sac à dos entre ses pattes. J’attrapai d’une main le sac, et de l’autre, j’abaissai la poignée qui ouvrit le tiroir-lit. Il coulissa lentement hors du meuble.

Bien que vieux, les murs vitrés de l’abri protégeaient encore fort bien des bruits extérieurs… Seul le cliquetis sec du lit était audible dans l’habitacle. Il finit sa course en cognant contre le mur.

Je déposai mon sac et regardai à nouveau par-dessus mes épaules. En direction de la rue aussi.

Rien.

J’ouvris le sac et récupéra en premier lieu ma lampe de poche. Je la brassai un moment pour activer l’ampoule. Elle s’alluma. Son cône laiteux cassa les ténèbres environnantes. Je l’enfouis dans le ventre du sac. Ce n’était pas le moment d’attirer inutilement l’attention. J’avais en tête de refaire rapidement l’inventaire de mes possessions avant de me mettre en route sans plus tarder. Et possession se révélait être un bien grand mot… J’avais en tout: deux barres remplace-faim, une pipe avec mes initiales, mon journal sur Schäfertown, une tuque, une bouteille d’eau potable, la vieille bague de mon père, un total d’environ quarante-cinq dollars et, le dernier, mais non le moindre, mon cher Commutateur. Je réprimai l’envie d’aussitôt consulter son log…

Sans y porter attention, j’avais sorti et aligné chacune de mes possessions sur le lit. Je gardai le Commutateur dans ma main.

TONK ! TONK ! On frappait contre l’un des murs !

Une forme bougeait à l’extérieur.

Je levai la lampe. Un visage diabolique… hideux, terrifiant, s’écrasa contre la vitre. J’échappai la lampe de poche et m’effondrai par terre de peur et de surprise.

Le faisceau lumineux roula un moment au sol avant d’éclairer le reste de la personne… Juliette ?

Juliette.

Elle riait en se tenant les côtes.

Son enjouement était si fort que les murs ne réussissaient point à étouffer ses gloussements aigus.

Elle essuya les larmes qui lui coulaient encore sur les joues et contourna sans presse mon logis. Elle rejoignit l’entrée et me fit signe de lui ouvrir. Je lui répondis d’un puissant doigt d’honneur. Elle ria de plus belle, puis cogna à nouveau deux coups. Plus doucement cette fois.

J’envoyai sans grande conviction ma main en direction du senseur de la porte… Il capta, activant son ouverture.

Je comprenais bien que c’était la drogue qui avait déformé les traits de l’adolescente quelques instants plus tôt. Et qui les déformait encore d’ailleurs… Mais malgré cette constatation, j’étais incapable de faire cesser les tremblements qui secouaient mon corps. D’autant plus qu’une autre personne accompagnait Juliette. Sa silhouette élancée, à peine perceptible dans la nuit, préféra rester en retrait derrière.

Juliette ne prit pas la peine d’entrée. Elle s’accota contre le cadre, nonchalamment, mais de manière à tout de même empêcher la porte de se refermer. Prudente la petite… Je ramassai la lampe de poche et reporta mon attention sur mon sac à dos.

- Allez… Fais pas cette tronche ! J’ai pas pu m’en empêcher, t’étais tellement concentré. Fallait je te fasse le coup ! T’aurais fait la même chose à ma place… Non ? Bon allez mec… on oublie. (Elle s’étira le cou pour voir les choses étendues sur le lit.) C’est quoi ça, au fait ?

Elle ne regardait aucun des objets en particulier.

Les tremblements doublèrent.

Que comprenait-elle de ma situation ?

L’envie de consulter le Commutateur me saisit et… j’en fus dégouté ! Après un mois d’abstinence complet, il n’aura suffi que d’une seule et unique question. D’une seule et unique interaction sociale… Un seul et unique moment de doute pour que je flanche.

Sans une arrière pensé.

Ni même un regret.

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Parler de la pipe.

Parler du journal.

Parler de la bague.

Parler de mes préparatifs.

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