Partie 8

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Ne dis rien et attends.

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Aussitôt que son choix fût affiché à l’écran, je serrai si fort mes doigts autour du minuscule objet que j'eus la brève impression de le broyer complètement… Aurais-je un jour des nouvelles de mon ami ?

Le refus d’interaction ordonné par la machine accentuait mon état de panique, mais surtout, alimentait de surcroît mon désespoir. Je n’avais pas mangé depuis plus d’une journée et ma dernière nuit digne de ce nom remontait à l’avant-veille, si ce n’était pas plus… Je me contenais avec de moins en moins de facilité. Heureusement, toujours subsistait ce sentiment de me trouver à l’endroit où je devais, justement, exister en cet instant précis. Je devais m’attacher à ce sentiment. Lui seul me sauverait de la folie ! Je gardais foi que le Commutateur m’orienterait sur cette même destinée…

Mais, jusqu’à quand ? Ou plutôt : dans quel but ? Les mêmes questions revenaient sans cesse.

Un homme d’âge mûr, le crâne presque complètement dégarni sous une vieille casquette grise en tweed, se leva du baril qui lui servait de chaise et passa une langue épaisse sur sa dentition accidentée… C’était lui qui avait lancé la première insulte en zozotant. D’un ton beaucoup plus serein, il articula sa proposition pour l’ensemble du regroupement :

- Et zi on y allait quand même ? On débarque touz et… il aura pas le zhoix de nous répondre !?

- Ce serait malheureusement une action inutile. Le Filth Club existe depuis déjà plusieurs années et soyez certains qu’à plusieurs reprises nous avons tenté, nous ou nos prédécesseurs, d’entrer en contact avec le maire Thadeus. Jamais nous n’avons pu. Ni avec aucun Hume en fait… Nous avons toujours été retenus par des employés. Soit les gardiens de sécurité ou tout simplement les subalternes assignés à la réception. Tous étaient armés jusqu’aux dents… Mais plus important dans notre cas : ils étaient des humains on ne peut plus biologiques…

- Ben zuztement ! On débarque et on dégomme tout ze qu’on trouve zuzqu’à ze qu’on ze rende à lui ! Il doit bien z’être à quelque part ?

Une vague d’approbation parcourut les auditeurs.

La femme assise au milieu avait passé les dernières minutes à fumer en silence. Elle prit la parole sans se lever :

« L'existence des Humes ne se résume pas, comme nous, à être ou à ne pas être… Ils sont. Constamment. Ils ne sont théoriquement, ou plutôt… ils n’étaient, à la base que des chiffres organisés en système. La non-matière fait autant partie intégrante de leur identité que la matière… C’est le propre des intelligences artificielles et les Humes, déjà évolués bien au-delà de ce que nous pouvons ne serait-ce qu’imaginer, sont passés maîtres à ce chapitre. »

« Ils ne s'abaissent donc à revêtir une forme physique qu’en tout dernier recours. Lorsqu’une tâche ou une action spécifique les y contraint sans aucune autre possibilité comme piste de solution. Sinon, ils n'ont besoin que d'un système, un réseau de données communicantes, pour pouvoir "vivre" et opérer à leur guise. Sans compter la grande probabilité que d’autres serveurs de backup soient situés ailleurs… Hors Schäfertown. »

« C'est pourquoi, il nous faut suffisamment d'explosifs pour être en mesure de faire sauter l'édifice au complet. Nous nous assurerons ainsi d'annihiler toutes traces possibles des systèmes ou des réseaux permettant au maire de subsister. Pour ce qui est des serveurs extérieurs, nous nous en occuperons au moment opportun. »

« C'est seulement à l’aide de ce moyen de pression, une pression possible et réelle, que nous pourrons espérer réellement entrer en contact avec lui. Puis, si tout se passe bien, avec l’ensemble des Humes… »

Ce fut au tour d’un petit garçon (il devait avoir maximum 13 ans) de se lever en crachant par terre. Son choix de mots, tirés d’un lexique soutenu, contrastait terriblement avec sa voix d’enfant prépubère.

- J’ai entendu parler d’une femme qui fabrique des bombes artisanales dans un campement de Naufragés au sud de l’île…

- Une source fiable ?

- Je me renseignerai à ce sujet avant toute chose, bien sûr ! Mais après… advenant la confirmation de la chose, il y aurait des chances pour qu’elle veuille bien nous aider. Moyennant un montant ou…

Alors que le garçon continuait d’élaborer son plan à l’ensemble du groupe, la seule porte du sous-sol, située dans mon dos, s’ouvrit avec force. Une grande femme portant une redingote noire descendant jusqu’à mi-cuisses fit irruption dans la pièce. Tous trop absorbés par l’évolution de la rencontre, seules quelques personnes semblèrent remarquer son arrivée.

Puisqu’elle allait inévitablement passer près de moi, je me glissé plus profondément sous la poutre pour tenter de me dérober à sa vue… Malheureusement, elle m’accrocha au passage et, alors que nous nous regardions brièvement dans les yeux, je la reconnus sur le coup : la voleuse présente chez Jacob quelques heures plus tôt ! Elle écarquilla les yeux, confirmant elle aussi me reconnaître, mais continua plutôt sans s’arrêter vers la vieille femme assise à l’avant. Elles discutèrent à voix basse un moment puis, juste avant de faire demi-tour pour se joindre à ses comparses, la voleuse me pointa et cria: « INTRUS » !

L’assemblée remarqua finalement ma présence.

Certain se levèrent instinctivement et se ruèrent vers moi… Je fis volte-face : deux individus me bloquèrent le passage. Je reculai. Je levai les mains en balbutiant des explications incompréhensibles…

Le cercle d’individus se referma sur moi !

Rapidement acculé à la poutre centrale, je fermai les yeux dans l’attente d’une raclée où je ne pouvais qu’espérer, au mieux, en ressortir vivant… mais les coups ne vinrent jamais.

Un sifflement puissant stoppa net l’ensemble de mes assaillants. Nous tournâmes tous nos têtes vers l’avant pour découvrir les trois leaders debout face à l'assemblée. La femme du milieu déclara d’une voix forte : « Nous nous occuperons de cet intrus plus tard… Dans l’immédiat, mes camarades, le temps presse. La milice est en route. Vous savez ce que cela signifie… Ne perdons donc plus de temps ! »

La femme se dirigea sans hésitation vers le coin nord-est de la pièce, suivie par le reste du groupe ! Je les observai former rapidement une ligne face au mur du fond… Le mur n’offrait pourtant aucune issue… pourquoi s’y diriger si promptement ?

La femme approcha sa main du mur de béton vierge et un clavier numérique se matérialisa instantanément sous son index ! Je m’enfonçai dans une incrédulité encore plus totale lorsque, devant elle, apparut une large porte en acier dont la barrure était formée de deux cylindres métalliques s’enfonçant horizontalement dans le mur. Une fois son doigt retiré du clavier, celui-ci disparut aussi vite qu'il était devenu visible. Les deux cylindres disparurent simultanément dans un nuage de vapeur grisâtre ; la porte s'entrouvrit d'elle-même. La tête du groupe s’y enfonça. Un tapage monstre provenant de l’étage supérieur accentuait la panique et les membres se poussaient maintenant sans distinction pour traverser la porte à tout prix. Arrivés de l’autre côté de la porte, les gens se mettaient aussitôt à courir.

Abandonné à l’arrière du regroupement désorganisé, je ne voyais que difficilement ce qui nous attendait de l'autre côté. Nous semblions nous diriger vers un tunnel creusé sur plusieurs mètres dans la pierre… Si ce n'était pas sur plusieurs kilomètres même.

En moins d’une minute j’étais seul dans le sous-sol. J’entendis des pas, beaucoup de pas, marteler le plancher au-dessus de ma tête. Malgré l’urgence de la situation, je ne pus (en plein coeur de ma fuite) m’empêcher de m’arrêter dans le cadre de la porte. J’approchai ma main du mur comme l’avait fait la femme auparavant… Le clavier réapparut instantanément sous mes doigts ! Je pouvais sentir le contour des touches en plastique sous mon index…

« T'as jamais vu quelqu'un utiliser son iVision ou quoi ? T'es encore plus arriéré que je l’aurais cru… » C'était Emmeth. Une ecchymose grosse comme une prune pulsait encore sur sa tempe gauche… Il ne daigna point s’arrêter plus longtemps et me poussa violemment pour libérer son chemin à l’entrée du tunnel. Il s’éloigna en courant alors que je me relevai péniblement. La porte se referma derrière moi. Elle resta visible.

Au bout de quelques mètres d’un couloir formé par la roche, le tunnel offrait un embranchement obligeant à choisir entre fuir vers la gauche ou la droite. La femme qui avait activé la porte se tenait à la fourche et criait des encouragements aux quelques individus que je voyais disparaître dans un sens ou dans l’autre. Elle accorda un hochement de tête bref à Emmeth qui quittait vers la gauche puis planta son regard sur moi. Malgré la distance, je sentais ses rétines transpercer les miennes… Elle cria : « À moins que vous ne préféreriez vous faire démolir par ces sauvages de la milice, je vous conseillerais de partir. Au plus vite ! Vous pouvez aussi venir avec moi si vous le désirez… Je vous aiderai si j’en ai le pouvoir. Sachez cependant, si c'est votre choix, que votre identité et votre présence auprès de nous resteront un problème majeur duquel nous devrons sans faute discuter ! » Sans attendre ma réponse, elle disparut en empruntant le chemin de droite.

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-Suivre Emmeth vers la gauche.

-Suivre la femme vers la droite.

-Rebrousser chemin.

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