L'origine du mal

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On dit qu’Arkos est à l’origine de la Vie. Souhaitant montrer l’étendue de sa grandeur à son frère Dyalinos, il a créé le Monde : son plancher, ses airs, ainsi que les êtres vivants qui le composent. La plus grande de ses créations serait l’Homme, façonné à son image. Dyalinos, sournois, le met au défi de répondre à une énigme. Si cet être doté de vie reflète notre Créateur, que toute chose s’équilibre au profit du bien, alors qu’elle serait la partie sombre de sa fabuleuse conception ? Arkos répond que la lumière remporte toujours la victoire et que le Monde n’a de place pour l’obscurité. La nuit ne dure qu’un temps, les Soleils finiront toujours par éclairer les jours. Dyalinos se met alors en retrait, attendant patiemment l’évolution des humains.

Quelle forme le mal prendra-t-il ?

— Ce sont des jumeaux.

La sentence venait de tomber. Des jumeaux, la pire malédiction que les déités avaient créée. Le silence suivant cette déclaration fut brisé par le cri de la parturiente. L’accouchement était difficile. Le premier enfant, un garçon, était sorti au bout d'un demi-jour.

— Il faudra se débarrasser de l’un des deux, déclara le père, l’air soucieux. A l’aube, j’emmènerai le moins vigoureux en forêt.

Le religieux, qui avait été appelé, secoua la tête négativement.

— Les lois divines sont claires, rétorqua-t-il. Afin de départager le bien du mal, les deux enfants, sortis du même ventre le même jour, devront se battre au cours d’un duel à mort. Avec tout le respect que je vous dois, personne ne peut y déroger au risque de nous attirer le malheur. Il faudra attendre qu’ils aient atteint l’âge de huit ans.

Dehors, la pleine lune éclairait faiblement la cour du château. Les bougies, disposées dans la chambre, créaient des fresques fantomatiques sur les murs ornés de riches tapisseries. L’homme lança un regard à sa femme ; la vie semblait la quitter. Dirigeant du plus grand clan des quatre Terres, les Terres Ocres, il avait dû affronter la mort à plusieurs reprises ; et pourtant, jamais il ne s’y était habitué.

— Le plus faible est destiné à l’abattoir dans tous les cas. Tu sais bien que nos ressources ne sont pas illimitées ! s’indigna le souverain.

Depuis quelques années, les rares rivières de la contrée commençaient à s’assécher, les champs se transformaient en vastes étendues arides, tandis que les lacs se changeaient en marécage. Les vivres étaient depuis lors rationnés, les naissances limitées et les Inutiles envoyés dans les Carrières de métal où ils finissaient dévorés par les dragons et par les bêtes sauvages. Seuls les individus vigoureux et sains avaient le privilège de s’épanouir à l’abri du danger.

— C’est une fille ! s’écria la sage-femme en essayant de couvrir les cris du nouveau-né.

— Il ne manquait plus que ça, tempêta le père en sortant de la pièce précipitamment.

Pourtant en sous-nombre dans ces contrées, les femmes représentaient le sexe faible. Elles étaient sélectionnées dès les premières années de leur vie, simulant la perfection pour correspondre aux critères développés par une poignée de savants. Auquel cas elles étaient admises à l’intérieur des remparts ; sinon, elles rejoignaient les os de ceux partis avant elles aux Carrières de Métal. Lorsqu’elles vieillissaient et ne pouvaient plus remplir leur fonction de gestante, elles étaient renvoyées. Il n’était pas rare de retrouver le corps d’une femme inanimé dans les rues. Sentant leur heure approcher, elles décidaient de se donner la mort. La population masculine louait ce geste admirable : une bouche en moins à nourrir !

— Comment souhaitez-vous l’appeler, Madame ? murmura la sage-femme.

Le sexe faible ne pouvait parvenir au pouvoir.

— Je… souffla la mère dans un ultime effort.

Il existait cependant une exception.

— Alysia.

Sa tête s’affaissa sur l’oreiller alors que la Mort prenait possession de son enveloppe charnelle.

— Madame ? s’exclama la domestique anxieuse.

La malédiction des jumeaux. Les lois divines imposant le duel à mort, seul l’un des deux pouvait survivre. Le roi venant de perdre sa femme, le survivant allait devenir son héritier.

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