Le maître de sagesse qui trouve un élève

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Je suis le grand et fabuleux Thot ! Dieu de la sagesse, scribes des dieux, seigneur du temps et éminent mage ! Enfin, j’aimerai. Mais j’adore savoir d’où vient mon nom et nombreux sont les points communs avec cette célèbre déité. J’ai la grandeur en taille, deux mètres, ainsi que l’animal, l’ibis à tête noire et au corps blanc, mais avant tout, l’esprit ! Car je suis un érudit, un lettré, un savant et un chercheur ! Ah, ah ! Je suis formidable ; n’est-ce pas ? Et mon égale en toute chose, ma merveilleuse compagne Iris ! Elle est de même race ! Ah, ah ! Les faces d’une même pièce ! Quoi demander de plus ?

- Liberté ! Rahaaa !

Et voilà le triste et gris veuf, Bargo le perroquet. Quant à savoir s’il parle de sa femme ou d’un désir de sortir de cette grande prison, c’est là toute la complexité de cette conversation. Et dire que j’étais tranquille dans mon petit étang d’eau côté harpie avec les pattes trempées à mi-mollet.

- Bargo, mon cher, pleures-tu ta femme ou clames-tu autre chose ?

- Rhoah ! Pleures-tu ta femme ou clames-tu autre chose ? Il veut liberté !

Affirme-t-il les ailes grandes ouvertes vers le haut comme un éventail.

- Mais encore ? Précise donc la pensée de ton esprit simple.

- Roaaah ! Tu es stupide ! Il veut liberté ; la rejoindre !

Il a une attitude alerte, la tête qui tourne de droite à gauche, la suspicion, la crainte, voilà ce que je vois ; en plus, il agite ses bras comme un dément. Il a peur ? Mmm…

- Tu sais qu’ici personne ne nous écoute, j’aime réprimander les oreilles indiscrètes.

Il arrête de gigoter toute en repliant ses ailes.

- Oreilles indiscrètes ; Marguerite ?

- Les autres.

- Roaaaa…

Un hochement de tête, le regard sérieux.

- Liberté ; Bargo avoir une idée, prudence de mise. Des pièces de puzzle à rassembler, mais manque le schéma des autres pièces, Roaaah.

Quelle surprise, il parle en double langage. Un schéma des autres pièces ? Oh, il veut un plan du complexe.

- La clé de ton problème demande des connaissances que je n’ai pas ; quant à ton puzzle, j’espère que tu sais ce que fais.

- Tu mens, Bargo sait que tu sais. Thot observe et écoute beaucoup. Roaaa.

Cette tournure de phrase me fait mal au crâne. Par le verbe, décrypter sa pensée est un calvaire sans commune mesure.

- D’accord, je me préoccupe juste de ta santé mentale. Ce n’est pas donné à tout le monde de comprendre les choses seules, mon bon Bargo. Laisse-moi réfléchir jusqu’à demain pour la clé, il me manque des éléments.

- Pas donné à tout le monde, Rhoa ; Bargo pas seul. Toi nous rejoindre ? Manque d’éléments, de cerveau.

- Je peux penser, mais n’irais pas rejoindre ton club de puzzle.

- D’acc ; Bargo attendra demain. À plus.

- À plus tard.

Il part sûrement dire à ses camardes que je vais lui fournir un plan du complexe et surtout du rez-de-chaussée, mais ce n’est pas une bonne idée ce qu’il a là. Baser une opération d’évasion sur des suppositions, des fragments de conversation. D’autant que la seule chimère à avoir traversé le rez-de-chaussée librement dans la partie humaine, c’est Bastet.

Après quelques minutes dans mon étang, voilà que j’entends quelque chose bouger les massettes.

- Bonjour, Thot.

Voilà ce grand gaillard de tigre sibérien, habillé d’une chemise à carreaux rouge et noir écossaise.

- Salutation, Félix. Je vois que tu t’essaies à un nouveau style vestimentaire ; lasser des vêtements aux couleurs uniformes ?

- Exactement, Thot, c’est Galant qui me l’a conseillé.

- évidemment, j’aurais dû me douter que cette idée de changement venait du couple raffiné de vulpes toujours en recherche de beaux vêtements. Sinon, pourquoi donc viens-tu rencontrer l’inestimable esprit que je suis ? Oh, attends, laisse-moi deviner, tu veux savoir ce que tu pourrais offrir à Bastet, toi qui lui as déjà acquis mainte vidéo de danse de nature différente.

- Toujours aussi perspicace. Plus précisément, qu’est-ce qui pourrait l’aider à être meilleur dans ce domaine. Vois-tu, les humains me disent que les vidéos de danse suffisent, mais j’ai un doute, vu qu’aucun d’entre eux ne semble être des maîtres en a la matière. Après, c’est juste pour lui casser sa routine.

- Je pense que des exercices de yoga lui conviendraient, c’est bon pour la souplesse et très bien en guise d’échauffement pour commencer une journée, même pour nous autres. En plus, tu pourrais y participer, toi qui ne danses pas avec elle.

- Comment sais-tu ça ?

- Mon ami félin, comment te dire ça, tu m’as l’air d’un homme mal dégourdi.

- Je peux être très souple si je veux.

- Tu n’as pas bien compris, laisse-moi me mettre à ton niveau alors ; tu es un gars coincé. Encore plus familier, tu as un balai dans le derche. Ah, ah.

Ses yeux bleus se ferment à moitié, muscles pectoraux gonflés, il souffle du nez pour libérer la pression.

- Pas la peine d’être si hautain et vulgaire.

- Et encore, je me suis retenue. Essaie quand elle n’est pas là de te mouvoir avec grâce, notamment la valse. C’est relativement simple en plus de se pratiquer en duo.

- Mais si elle n’est pas… ooooh…

Voilà, il comprend, sa bouche ne cessant de faire o, tandis que ses yeux s’ouvrent pour entrevoir l’idée sublime qui a germé de mon esprit supérieurement romantique.

- Ta lanterne est éclairée ?

- J’y avais pensé, mais avec elle qui m’apprend. Là, c’est mieux, elle aura une surprise. Et puis je manque de défis en ce moment, ça sera amusant. Thot, merci. Maintenant, il faut que je file, voir si Bastet n’a pas égorgé un homme.

- Ah, ah, quelle belle plaisanterie, ah, ah…

La façon qu’il a de me regarder, ses lèvres qui ne sont ni dans le sourire ni dans le chagrin, comme désabusés ; attends une minute.

- Tu plaisantes, j’espère ?

Négation de la tête.

- Non.

Juste, non ?! Pas de développement, juste une affirmation dite sèchement, comme ça, sans rien ?! Pas de matière à débattre ?! Par mes plumes, c’est du premier degré !

- Hou… Tu ne m’as pas dit que ta femme était dangereuse.

- T'ai-je dit que son deuxième nom était Sekhmet donné par le chef et qu’elle le déteste ?

- Euh, non. Sekhmet dit tu ?

Hochement de tête en silence ; il est vraiment résigné !

- Ma foi, c’est une déesse très farouche, je veux bien te croire alors. Va, cours rejoindre l’élue de ton cœur avant qu’elle ne mette dans sa gueule le cou d’un homme imprudent.

- J’y vais de suite, bonne journée Thot.

- Bonne journée, et surtout…

Il y court en plus, alors je hausse le ton.

- Ne deviens pas cet homme-là !

- T’inquiète, Thot ! Je sais ce que je fais !

J’ai un petit doute là-dessus. Mais bon ce n’est pas mon problème.

Ha… Enfin tranquille… Je me demande ce que fait ma femme ? Sûrement en train de jacasser avec le couple inséparable, elle est plus sociable que moi. Je suis un ermite, un penseur solitaire ; un grand homme ! Ma belle Iris est la seule personne dont la compagnie ne me contrarie d’aucune manière, et aussi mes petits poissons qui me chatouillent les pieds. Mais eux, ils ont juste mignon et non, je ne les mange pas. Comment pourrais-je tuer ses petits êtres qui aspirent qu'à la tranquillité de l'esprit ? En plus ils ont comme moi, enfermés dans leur condition et leur environnement trop étroit pour ce corps désireux de marcher, volé loin à l’horizon. Et puis même si j'avais faim, il ne serait guère nourrissant ; définitivement, je n’ai rien à y gagner de tuer ces mignonnes petites choses. De temps en temps, je leur donne du pain pour les voir se nourrir, ils sont adorables.

Plouf ?

- Encore un étang…

Je ne reconnais pas cette voix.

- Kita ne m’avait pas dit que les harpies possédaient leur point d’eau. Et… là… Ça ne serait pas des petits poissons ? Qu'ils ont tout mignon.

Qui est donc cet intrus a la voix grave et malade qui ose faire peur à mes petits poissons ! Je vais rester immobile, la laisser approcher pour lui faire ma sublime et impressionnante mise en scène. Voilà l’individu. Bec et index levé, je m’impose !

- Qui donc ose troubler la quiétude du grand, du sage et intelligent érudit, Thot ! Celui qui manie le verbe comme le fait un magicien avec la vision de son public ! Celui dont la mémoire est infaillible ! Parlez donc, petite personne !

Ha, ha, je suis sûr qu’il est impressionné, voyons sa réaction en posant mes yeux sur lui… Hein ? Personne dans mon champ de vision.

- Alors j’imagine que votre passion à vous, c’est d’être un grand bouffon qui ne fait rire personne.

Quoi ?! Je dois encore baisser le bec, cette personne est plus petite que je ne le pensais.

- Ne sois pas si méprisante envers moi pauvre créat…

Fourrure noire, visage de chats, yeux d’or souligné de courbes dorées.

- Ture…

Pas atteinte par ma prestation, ladite créature semble vraiment se demander où elle est tombé, pire, elle se sent supérieure à moi et me prend de haut avec ce regard méprisant ; avec l’irritation soudaine dans ma gorge, il n’y a nul doute.

- Bastet la rebelle, je présume.

Alors, elle finit d’écarter les plantes de marais pour s’avancer jusqu’à moi et finir les genoux dans l’eau.

- Vous présumez bien, Thot le bouffon.

- Rabaissez-moi tant que vous voudrez, femme condescendante, car vos mots ne m’atteindront pas, je suis sûr de ma valeur, contrairement à vous qui doutez.

- Je ne doute pas.

- En êtes-vous certaine ? Ne reste-t-il pas un peu de peur en vous face au chef de projet après vous avoir brisé et recollé comme on le fait avec un Kintsugi.

Souffle du museau comme son semblable, crocs sortis, queue ébouriffer.

- Est-ce là votre seule réponse ? Celle des faibles d’esprit ? Une hostilité manifeste, via des réponses physiques visant à intimider l’adversaire. C’est aussi un réflexe de peur.

- Je suis surtout agacé que vous sachiez tant de choses sur moi ; Félix vous a donc parlé de ma personne et l'a fait sûrement beaucoup trop. En plus, je ne sais pas ce qu’est un Kintsugi, mais l’idée par contre me parle.

Cela risque de détériorer leur relation si je ne fais rien et je n’ai pas envie d’en être la source. Dire la vérité sera ma défense.

- Ce n’est guère étonnant venant d’une ignare telle que vous de ne pas connaître cet art délicat qu’est le Kintsugi. Et n’aillez point d’inquiétude, Félix, n'a point évoqué de fait de grande importance. Juste votre deuxième nom et quelques anecdotes, sauf si on considère que cela n'a de valeur que pour lui. Quant au reste, c’est de la déduction logique après avoir écouté les témoignages de chimères ayant assisté à votre évasion futile et impulsive.

- Elle aurait pu réussir.

Je vois que sa fierté est encore intacte si j’en crois cette défiance à mon égard, elle s’affirme en entrant dans mon espace vital d’un pat assuré. Très bien, Bastet, vous voulez commencer notre rencontre par un affrontement sur celui qui aura le plus de charisme ? Ainsi soit-il.

- Vraiment ? Vous pensez sérieusement que des personnes nées avant nous, dépassant deux décennies d’existence aisément alors que nous même pas une seule, qui ont misent un tel projet sur pieds dans une structure aussi encadrée n’auraient pas prévu des scénarios d’évasions de leurs sujets et des mesures pour y répondre ?

- Sûrement pas toutes.

- Ah, ah. Vous manquez d’intelligence.

- Et vous, vous ne savez pas distinguer l'intelligence et le savoir.

Voyez-vous ça, elle aussi sait manier le verbe ?

- Je suis tout ouïe, faites donc une démonstration.

- L’intelligence est la capacité de survivre, comprendre et s’adapter à l’inconnu. La savoir est simplement la conscience d’un sujet donné. On peut la définir comme une somme connaissances, ces derniers, bien évidemment, soutiennent l’intelligence, mais ne peuvent pas l’usurper, car sans l’intelligence, il est impossible d’appliquer ce qu'on a appris.

Quelle agréable surprise, j’ai devant moi une chimère qui possède un intellect suffisamment élève pour être qualifié comme proche de m’égaler. Continuons notre jeu d’esprit.

- Et c’est de par cette définition que j’invoque encore une fois votre déficit intellectuel pour prendre les bonnes décisions pour votre bonheur ou la réussite de vos évasions.

- À l’heure actuelle, je serais libre si j’avais eu vent que Schäfer était derrière cette porte. C’est donc un manque de connaissances.

- Et d’intelligence, car vous vous êtes laissé porter par vos émotions qui ont embrumé votre esprit et vous avez, impulsivement, décidé de prendre la porte de sortie sans même y avoir réfléchi sérieusement.

- Je…

Là, poing serré, elle sait parfaitement de quoi je parle, même si moi, je n’ai fait encore une fois que d’imaginer ce qui a dû se produire avant sa décision. Quelle excuse me trouvera-t-elle ? Elle soupire plein poumon, main sur la hanche, hoche de la tête, et détourne le regard.

- Ha… Misère… D’accord, Thot.

Étrange comportement, elle me fait face, me fixant droit dans les yeux, mais avec une hostilité moindre, sa queue baissée et globalement ses muscles semble plus détendue.

- Ça me fait mal de l’admettre, vraiment. Mais vous avez raison, j’ai réagi sur le coup de l’émotion. Mon âme en souffrance ne désirait qu’une chose, sortie de cette insoutenable réalité qui s’est révélée à moi par une personne que je pensais être ma mère. Ma raison d’être, cette solitude, j’ai voulu fuir, car je le devais impérativement. Je brûlais de rage et de désespoir, c’était éprouvant, accompagner d’une angoisse telle que j’avais l’impression de mourir. Désormais, en y repensant, je regrette de ne pas avoir refoulé, de ne pas avoir attendu et mettre à exécution un plan digne de ce nom. Ô, ces brimades qui ont marqué mon esprit à jamais, humiliantes et barbares, je n’ai plus la volonté de le faire, mais avec la force que je possède actuellement et mon instruction, je reste convaincue que j’aurai pu quitter ces lieux. À commencer par ne pas rester immobile face à l’adversité et rester en mouvement.

Impressionnant, c’est la première fois que quelqu’un répond à mes attaques de cette manière, admettre son erreur, ce confié, et au final, me montrer qu’elle a apprise. Et ses yeux, il y a une volonté de vivre, une assurance insolente que j’aime beaucoup. Maintenant que j’y fais plus attention, les dessins autour de ses yeux…

- L’œil Oudjat.

Clignement des yeux, sourcilles d’or froncé, le dos qui se courbe, la tête qui recule avec cette grimace faciale, ma lecture est la suivante, de l’étonnement.

- Hein ?

Ses paupières s’éveillent, avec une vue sur les fenêtres de son âme qui se met en branle pour comprendre. Comment elle le pourrait ? C’est au-delà de ce qu’elle connaît.

- Ah, si j’en crois votre regard insistant et légèrement oppressant, vous faites référence à ce qu’il y a autour de mes yeux.

Je l’applaudis, finalement ce n’est pas aussi compliqué pour elle.

- Formidable ! Vous avez compris ! Ah, ah ! C’est le nom de la forme que vous avez autour de vos yeux ; Et l’œil Oudjat nous lie tous les deux en plus des noms de tradition égyptiens.

- Ça n’a aucun sens à mes yeux, sans mauvais jeux de mots, Thot le fou.

Ça, ça m’énerve ces surnoms.

- Je sais que pour vous, vous affiliez à moi c'est quelque peu perturbant.

- Je dirais même violent.

Elle désigne l’eau du doigt.

- Voyez un peu votre reflet et le mien, nous n’avons rien de commun si ce n’est une couleur, le noir, et une vie misérable d’asservissement.

De ce point de vue là, elle n’a pas entièrement tort. Un ibis et une chatte, tous ou presque nous opposent en apparence. Mais une envie, jusqu’alors inconnue, ce décri. D’habitude ce n’est qu’un simple partage, mais là, une part de moi veut faire plus, elle est… Mon élève ? Oui, je sens du potentiel et elle sait qu’elle en a. Moi, Thot, celui qui créa le monde par le verbe, c’est par celui-ci que je vais l’élever jusqu’à un autre plan, le spirituel.

- Pour une artiste, je vous imaginais éveillée, mais si je me fie uniquement à vos propos, vous êtes bassement terre-à-terre. Cependant, je me refuse de croire que la femme décrite par Félix soit celle que j’ai devant moi. Elle me semblait tellement plus formidable, plus…

Son attention est totale sur ce mot que j’ai savamment choisi.

- Divine.

Ses lèvres s’entrouvrent, embrassant mon compliment par un sourire. Elle a cligné des yeux lentement, c’est un message de confiance ou d’absence de crainte.

- Et bien, vous me flattez, j’en suis fort gêné. Mais j’ai comme l’impression que vous voulez me communiquer autre chose.

Je l’ai allégrement brossé dans le sens du poil et malgré tous, elle ne laisse pas sa fierté entraver ces sens.

- Perspicace ! Venez, venez…

Lui fais-je d’un geste de la main ample et lent, pour être certain de capter toute l'attention de ma disciple. C’est au pied d’un saule pleureur qu’un coffre avec des livres nous attend, j’en choisis un et le lui tends.

- Ceci est sur les dieux d’Égypte et bien plus encore.

- Je connais ma déité…

- Pas les autres ni tout ce qui s’associe ; ceci est notre héritage à tous les deux. En plus, ça vous donnera l’occasion de me prouver que vous êtes capable de voir les liens. En-tout-cas, si vous voulez me faire rabattre mon caquet.

Point besoin d’insister, elle palpe avec ses mains la couverture et entreprend déjà de l’ouvrir.

- Je le veux.

Ah, ah ! Dit-elle, elle le veut ! Prévisible, c’est presque trop facile ! Tien, je vais en profiter pour lui demander quelques détails.

- Alors, échangeons ; voulez-vous ?

- Mrrr…

Grogne-t-elle.

- là, là ; pas la peine d’être si crispé. Je veux juste que vous me parliez un peu de votre trajet lors de votre évasion qui a spectaculairement échoué.

- De un, vous dites a comme vous y étiez alors que ce n’était absolument pas le cas.

- C’était un peu comme si.

- Et de deux ; pourquoi ?

- Un mélange de curiosité et de nécessité. Au cas où il y aurait un problème, comme un feu, et qu’il faut évacuer vite les lieux.

- Mais bien sûr, je vais faire semblant d’y croire.

- Faite donc.

- Bon alors, par où je commence…

Elle se gratte le menton, lève les yeux au ciel puis se souvient.

- Le bonhomme vert et la sortie de secours.

- Oui, dites-m’en plus.

- J’ai juste suivi la signalétique fléchant vers la sortie la plus proche, c’est comme ça que je me suis dirigé dans l’escalier de secours.

C’est si simple que ça me paraît louche.

- Vous êtes en train de me dire que vous vous êtes juste servi de la signalétique ?

- Et du plan d’évacuation en cas d’incendie, par défaut, on nous dirige vers la sortie la plus proche. Je l’ai donc suivie et ça m’a amené vers cette sortie auxiliaire près du parc, le couloir principal étant surveillé par des vigiles et plus longs à parcourir. Il y a même des portes à barreaux qui sûrement se verrouillent.

- Et vous avez eu le temps de déduire tout ceci en fuyant ?

- Comprenez que quand on a vraiment peur, le temps et comme ralenti, avec de surcroît les sens attentifs à la moindre information.

Ça correspond à certaines descriptions que j’ai lues dans un ouvrage traitant des capacités cognitif lors de situation de danger. Ce qu’elle me décrit et donc plausible. D’ailleurs, elle détaille un peu plus son trajet. Il n'y a rien de folichon à dire vrai, c’est d’une simplicité telle que je le visualise très bien. L’histoire des plans d’évacuation est intéressante, car les zones où nous circulons au rez-de-chaussée n’ont pas les mêmes que celle où était Bastet. D’ailleurs, la porte ne figure même pas sur les nôtres et son récit le confirme.

Je la laisse donc prendre le livre.

- Un grand merci, Bastet, vous m’avez permis d’avoir une meilleure vision d’ensemble.

- De rien, n’allez pas vous attirer des ennuis avec ces informations.

- Ah, ah ! Vous vous inquiétez pour moi ? Comme c’est aimable à vous.

De ses bras poilus, Bastet blotti l’ouvrage contre elle, un peu comme si c’était de la nourriture. C’est le cas, mais pour l’esprit, ah, ah ! Sur le point de partir, une patte pointant dix heures par rapport à moi, elle me dit avec une certaine crainte dans sa voix.

- Je n’ai juste pas envie que l’on vous surprenne à faire je ne sais quoi là où vous ne devriez pas être et qu'on m’en tienne comme responsable.

- Alors soyez assuré que je n’en dirais rien, même sous la torture.

- Très bien alors à une prochaine fois, Thot.

La voilà qui s’éclipse, me tournant le dos.

- Au revoir, et maintenant que j’y pense, Félix, vous cherchez.

- Merci.

Tout en faisant un geste de la main. Le lendemain, je donne un plan que j’ai dessiné à l’abri des caméras à Bargo qui sans faute, vient à la minute prés. Iris, cette fois était là, en retrait cependant, elle a un très bon instinct pour en déduire si je fais des affaires louches, et quand-t-elle sans inquiète, elle le signifie par cette phrase que nous seuls comprenons.

- J’espère que l’orage ne grondera pas de sitôt.

Et je réponds, pour la rassurer.

- La météo sera clémente.

- J’ai ouï dire qu’elle pouvait être impitoyable.

Ça, c’est nouveau, je dois donc m’inquiéter, elle a sûrement eu des retours d’une amie.

- Hier, j’ai parlé avec une femme chatte avec l’un de tes livres, Bastet, adorablement rebelle. Elle m'a décrit certains événements que Lise a vécus aussi. C’est au-delà de ce que je pensais. Imagines-tu ça, se faire renommer en étant rouée de coups ?

Cette évocation n’est pas anodine, le sous-texte, là encore, est clair. Le prochain qui désobéit aura une sanction à la hauteur des autres si ce n’est plus.

- Je ne peux que l’appréhender avec l’esprit et un peu de crainte. Était-elle en train de le lire ?

- Avec Kita ; elles recherchaient ensemble une représentation du Ânkh pour une esquisse de vêtement. Je les aidais un peu.

Ça détruit mon plan pour instruire cette chatte !

- Il fallait qu’elle cherche seule.

- Ô, mon chéri, c’est plus amusant à plusieurs. Et puis ça n’enlève pas le faite qu’elle s’y intéresse vraiment. Elle m’a dit qu’elle allait même prendre un peu du temps sur ces exercices de dance pour le lire plus consciencieusement. Bastet avait l’air enthousiaste, elle a même souri rien qu’en le disant.

- C’est une bonne nouvelle.

Et une semaine plus tard, la déesse de la dance vint à nous avec un bonjour auquel nous répondons par salutation.

- Je crois avoir compris ce que vous sous-entendiez par voir les liens ; des liens invisibles d’ailleurs. L’œil d’Horus arraché par son oncle Seth lors d’une bataille. Œil qui fut reconstitué par Thot. Et je me suis regardé dans le reflet, j’ai bel et bien ces traits autour de mes yeux. J’admets qu’en quelque sorte ça nous rapproche.

Ah, ah ! Elle en conclut la même chose !

- Les traditions associées sont fortes intéressantes. Dommage que l’aspect magique ne semble pas fonctionner, dont celui de repousser le mal.

Iris, très porté elle aussi sur ce qui tient du mystique intervient.

- Pourtant, si tu considères ton proche entourage, ils n’ont rien de mauvais.

- Par proche, tu veux dire les Chimères.

- Exactement.

Cette pensée semble la soulager, de ses doigts, elle caresse le symbole sous son œil gauche.

- En y repensant, il est vrai que mes semblables ne semblent pas malveillants, au moins. Ça en est presque magique vu notre nature et de notre but de vie.

- Et tu es le premier sujet stable, Bastet.

Ajoutai-je, le doigt levé.

- Tu étais destiné à cela. L'univers a imprégné tes yeux et en toi, coule un mystère que peu de gens peuvent apprécier réellement à sa juste valeur.

- Hi hi. Thot, à force de me faire des compliments votre femme va avoir des suspicions.

Loin d’être agacé, Iris me ramène sous son aile bienveillante jusqu’à elle.

- C’est mal de me connaître, je ne suis pas comme Héra et mon amant n’est pas Zeus.

Là encore, nous l’avons perdue en chemin, sa tête penche d’un côté.

- J’imagine que ces gens étaient un couple dysfonctionnel.

- Ô que oui ,Bastet, très dysfonctionnel. Tenez, quand vous aurez terminé de lire…

- Je l’ai terminée, deux fois.

- Très bien, alors que diriez-vous d’un livre sur la Mythologie grecque et d’autres sur les philosophes grecs ?

- Je dis que vous voulez me faire rentrer dans une seconde crise existentielle.

- Voulez-vous rester une petite arme biologique à l’apparence d’une déesse égyptienne ?

- Factuellement, c’est ce que je suis.

Dit-elle en croisant les bras.

- Mais pas que ; alors ?

- Pourquoi pas, mais… Vous avez vraiment tout ça dans votre malle ?

Point-elle, tout en songeant sans doute à quel moment quelqu'un mettrait des livres au pied d’un seul pleureur.

- Oui, j’adore donner des bouquins aux autres, ça les rend moins crétins et par la même occasion, les rend plus capables d’entendre ce que je dis lors de nos brefs échanges. Sauf pour vous ; vous êtes mon élève.

- Au nom de ce lien invisible du destin, je présume.

Je ne peux que l’applaudir.

- Oui ! Exactement ! Vous apprenez vite !

- Et bien, je dépasserai votre inégalée sagesse si je continue à m’imprégner de tout ce savoir.

- C’est le but !

C’est ainsi, avec une pile de livres, qu’elle repart. J’espère pouvoir débattre avec elle sur l’existence. Iris est beaucoup trop en phase avec moi. J’aimerais avoir un esprit qui puisse s’opposer au mien, avoir une vision contradictoire, ça serait magnifique !

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