L’éducation.

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Me voilà devant la porte avec la spécialiste du comportement, Amandine Deschamps et une escorte de quatre agents de sécurité.

Derrière, se trouve Bastet.

- Je suis prêt Éric. Et toi ?

- Évidemment.

J’ouvre la porte de la cellule du couple félin, notamment celle qui se situe du côté de Bastet qui nous observe entrer. Elle est à quatre pattes, les muscles tendus, épiant le moindre de nos mouvements telle une prédatrice, du moins en apparence.

Amandine commence à tapoter sur ses genoux.

- Viens, Bastet.

Normalement, elle devrait obéir, comme la première fois lors de son réveil, mais aujourd’hui, elle se contente de nous fixer du regard.

- Peut-être devrait-on changer d’approche, Amandine.

Je tends ma main vers elle, j’ai toute son attention.

- Bastet, au pied.

Je claque du doigt et pointe le sol. Non, mais attends, je rêve où elle a détourné le regard ? De toute sa carrure, dressée sur ses fines pattes, elle défie mon autorité avec arrogance, la tête haute, tout en croisant les bras.

- Je crois qu’elle ne t’apprécie pas, Éric. Nous avons affaire à une enfant rebelle.

- Mais qu’est-ce que j’ai bien pu lui faire ?

Sans me répondre, Amandine sort un appât, une friandise au saumon qu’elle tient dans le creux de sa main. Et la chatte mord à l’hameçon, son museau flaire l’odeur, elle ne peut y résister.

Hésitante, elle nous fixe du regard un à un, puis ses délicats doigts saisissent la friandise pour l’apporter à sa bouche, sa langue râpeuse la lèche, cela suffit pour la faire saliver, sans hésitation, elle croque.

Un régal s’y, j’en crois son sourire et le ronronnement.

- Tu en veux une autre ?

Voyons voir si cela marche avec moi. Réticente et pourtant si convoitée, le délice. On peut voir le dilemme qui traverse son petit esprit. Un pas en arrière a la simple idée de venir jusqu’à moi, puis elle souffle du nez, contrarié de devoir faire un effort.

Vraiment, j’aimerais savoir pourquoi elle est si réservée quand c’est moi. J’insiste en approchant ma main, paume ouverte. Je vais devoir me faire prier en plus.

- C’est bon ça. Mange, Bastet.

Elle reste dans cette posture de doute…

- Bastet, cela m’ennuie vraiment que tu hésites autant, s’il te plaît, ma belle, fait moi plaisir.

Enfin, elle a décidé de le manger ! Je commençais à avoir une courbature au bras. Et, mais pas contre, elle s’est éloignée de moi…

- Suis-nous, Bastet.

Et voilà, la minette suit sa maîtresse ! Bon sang, ça me démonte ce favoritisme ! Je suis pourtant bel homme ! Les agents de sécurité qui l’encerclent semblent aussi l’importuner, c’est ce que dit sa fourrure hérissée. Ma présence n’est donc pas si désagréable en fin de compte.

À peine sortie de sa cellule que ses yeux se perdent un peu partout, heureusement que la présence intimidante de nos agents la dissuade d’aller se frotter sur toutes les portes.

Nous appelons l’ascenseur, le ting l’intrigue. La porte coulissante anime d’autant plus sa curiosité, captivée par ce qu’elle pensait sûrement être un mur, observant les deux morceaux disparaître.

Où c’est parti ?

Voilà ce que ce petit coup de patte dans la fente mécanique veut dire. Je l’invite d’un geste de la main à prendre place dans l’ascenseur.

- Viens à côté de moi Bastet, c’est dangereux.

Elle ne comprend pas, ou peut-être qu'elle veut percer le mystère derrière cette sorcellerie. Non, en fait, je crois qu’elle s’en fiche complètement de moi. C’est tout juste si ses oreilles ont capté ma voix. Amandine alors s’approche de la curieuse doucement.

- Bastet.

Elle tend sa main, captive son attention par ce geste lent, puis la saisie sous l’extrême vigilance de la sécurité.

- Suis-moi.

Elle obéit sans rechigner. Les portes se referment, elle veut voir de plus près.

- Reste ici, Bastet

Sans trop affermir sa poigne, elle réussit à arrêter cet élan enfantin.

- C’est dangereux.

Il ne faudrait pas que sa queue se coince, c’est pour ça que dans notre protocole, les sujets éveillés doivent être au fond de l’ascenseur.

Que diable, voilà que maintenant elle se cache comme enfant le ferait derrière son institutrice, intimidée par un grands monsieur.

- Amandine, est-ce que je sens mauvais ? Non parce que franchement, c’est ennuyeux qu’elle me fuie comme si je sentais la mort.

- Si ce n’était que ça.

- Hein ? Je sens la mort ?! Je mets du parfum pourtant !

- Justement, c’est ça qui sent si mauvais. C’est pire que l’odeur la morgue.

- Mais…

Et l’un des agents acquiesce d’un hochement de tête ; traître, je n’ai donc aucun soutien en faveur de mon si doux parfum de marque. Pourtant, un ami m'a jurée que cela faisait de l’effet aux femmes… Bref.

Nous voilà au sous-sol -1, ici se trouve la salle nommée École pour l’éduquer au langage.

Sans autres précautions, nous l’amenons à l’intérieur. Il y a cinquante places vides avec des tables. Nous la plaçons au premier rang, face au tableau.

- Assise.

Je lui montre l’action et je pointe la chaise.

- Bastet, assise.

C’est là qu’elle fait une mine confuse. Sa tête penchée sur la droite avec l’œil à moitié fermée, tandis que l’autre est grand ouvert avec de ce côté les dents apparentes.

Évidemment, quand Amandine va lui donner un ordre ça va fonctionner

- Suis-moi.

Et oui, je l’ai prédit, elle s’assoit. Amandine à justes a posé ses deux mains sur les épaules de Bastet pour qu’elle fléchisse les genoux.

- Assise.

Ah, finalement, elle préfère rester debout, la maîtresse d’un naturel patient recommence.

- Bastet, assise.

L’emprise relâchée, elle reste. Je lui donne une friandise, il faut bien la récompenser pour son obéissance. Maintenant, le contraire, se lever. Je laisse ma collègue faire. Elle lui montre l’action puis donne l’ordre. La minette réussie du premier coup.

- Bravo, Bastet

J’applaudis et lui donne une friandise. Nous répétons les tâches plusieurs fois pour être bien sûr qu’elle est bien assimilée la différence. Elle tend sa main pour une gâterie, car nous ne lui en donnons pas à chaque fois. Elle exprime son besoin, c’est très bien, premier véritable échange que j’ai avec elle.

- Assise.

Elle obéit, réclamant encore, avec cet air si innocent que savent faire les chats. Cette fois, je le lui donne. Pourquoi, c’est si satisfaisant de voir cette petite chose grignotée ce que je lui donne ? Cela me rappelle ses adorables enfants à Halloween qui toquent souvent à ma porte pour les bonbons. Oui, c’est ça, peut être me dira a-t-elle plus tard.

- Maître Picard, donnez-moi une friandise au saumon s’il vous plaît.

Mmm… Oui. Ça sonne bien.

Bon, concentrons-nous sur la tâche suivante, lui inculquer des mots qui serviront de base pour l'apprentissage de tout notre lexique, écrit et oral.

Et autant dire que même pour un professeur de langue cela ne va pas être facile. Juste le Français sera compliqué, mais ensuite, je devrais l’instruire à l’Allemand et au langage des signes.

Encore, je peux comprendre l’intérêt militaire de ce dernier pour la communication dans une situation délicate. Mais pas pour l’Allemand, c’est une lubie de notre cher chef de projet, Monsieur Gunther Schäfer, qui m'a justifié ça par :

- C’est pour voir jusqu’où leur capacité linguistique peut se développer, de plus c’est très bon pour la complexité de leur pensée.

Mais bien sûr, l’anglais ou le japonais auraient été tout aussi bien.

Mmm… Entendre Bastet dire.

- Sensei…

Raah ! Non, là, c’est une très mauvaise idée. Il n’empêche, cela me complique bien la tâche. Heureusement, j’ai Amandine sur qui je peux compter, elle n’hésite pas à partage ses connaissances sur le comportement animal, je serai incapable de comprendre le langage corporel de ce fauve. Moi, c’est l’humain ma spécialité. D’ailleurs, moi aussi, je lui transmets mon savoir, c’est ça une bonne équipe après tous.

Bref. Nous lui apprenons tout de suite à montrer des choses. Je lui pointe du doigt une table.

- Table.

Puis une chaise, le sol, le plafond. Nous lui laissons à peine le temps de comprendre. Le but est de voir sa rapidité d’apprentissage avec une base relativement maîtrisée.

- Bastet, désigne une table.

Je répète, table, en insistant sur le geste. Amandine lui fait faire le geste en bougeant son bras et son index.

- Désigner.

Bastet fixe son doigt du regard, perplexe face à cette consigne.

- Bastet désigne une table.

L’effort de compréhension se manifeste par ses oreilles dressées. Amandine relâche le bras puis je répète l’ordre et le geste. Elle finit par obéir en montrant la table. C’est prodigieux qu’elle ait compris si vite.

- Voilà une friandise pour toi

Elle l’attrape et l’engloutit d’une bouchée. Une fois qu’elle a fini, je désigne le sol sans donner l’ordre, elle imite le mouvement.

- Non, Bastet.

Elle demande la friandise.

- Non, tu as commis une erreur.

Par le ciel, c’est air de chatte battue, ses grands yeux suppliant le maître.

- Maitre…

Ils me disent. Amandine reprend la main et lui ordonne de montrer la table, elle obéit, le sol, elle obéit. Friandise pour l'adorable bête.

- Oui, Bastet.

Je lui montre le plafond tous en lui prononçant le nom. Aucun mouvement de sa part.

- Bastet, désigne le plafond.

Fabuleux, elle comprend. Petit à petit, en alternant les ordres, nous instaurons les bases.

Non sans difficulté, mais avec un simple non, elle reprend sa posture et attend la démonstration.

Notre élève est concentrée, le seul détail un peu fâcheux, c’est qu’elle demande un peu trop de friandises. C’est une vraie morfale, la solution est de ne lui laisser aucun temps mort entre chaque exigence, ainsi, elle n’a pas le temps de penser à son estomac.

Il va falloir qu’on l’éduque aussi pour ça. Je n’ai pas signé pour être père bon sang !

L’heure se termine bientôt. Un dernier ordre, jamais demandé.

- Bastet, désigne Bastet.

Sans hésitation, elle se désigne. Elle donc a une réelle conscience de sa propre existence. C’est à la fois effrayant et excitant.

- Bravo, Bastet.

Friandise ; je suis sûr qu’elle va prendre du poids. On va se retrouver avec une grosse masse graisseuse de poils. L’élégance et la souplesse seront aux oubliettes.

La sonnerie s'active, le volume monte progressivement des graves aux aigus pour ne pas surprendre nos sujets.

- C’est terminé. Bastet, lève-toi et suis-nous.

Pfff, ça me dégoûte. C’est tout juste si elle ne frotte pas à sa maîtresse qui d'ailleurs, lui prend la main en répétant.

- Suis-nous.

Je suis jaloux, il faudra que je change de parfums.

Notre petite écolière, semble comprendre l’intérêt de désigner les choses, notamment tout ce qui se trouve dans le couloir, les portes, l’ascenseur ainsi que les boutons et la dernière chose lorsque nous la ramenons dans sa cellule, Félix qu’elle point avec certains mépris. Ce dernier est calme depuis que nous les avons installés dans leur nouvelle chambre.

Il est le suivant pour les cours. Sa compréhension des intentions est supérieure à Bastet, il suffit de prendre un ton un peu plus dur et il nous suit. Nul besoin de lui tenir la main et ceux jusque dans l’École.

Il suffit de lui montrer une action simple, comme par exemple, s'asseoir, puis de lui donner l’ordre pour qu'ensuite, il l'exécute. Aucun besoin de contact. Il semble bien interpréter nos instructions.

C’est plus simple avec lui, même pas besoin de friandises, surprenant. Ce qui m’inquiète, c’est cet air détaché qu’il a avec nous. Aucune curiosité et quand il se pointe du doigt, il le fait avec une certaine nonchalance de dépressifs. Comme s’il ne portait aucun intérêt à sa propre personne.

Au retour, tous le laissent indifférent. Avec cette expression fatiguée, toujours la tête baissée. S’il pouvait parler, je le verrais bien dire ce genre de phrase :

- Rien ne change et les choses sont ainsi.

J’ai envie de le secouer juste pour voir s’il réagirait, je crois qu’il se laisserait complétement faire. Mais je ne tenterai pas le Tigre. Et là, quand nous le ramenons dans sa chambre, son regard se pose lentement comme une feuille d'automne sur Bastet.

Oh, je viens de m'apercevoir, moi qui pourtant ai des problèmes de vue, que Félix est un homme amoureux. Je distingue des choses auxquelles je ne prêtais aucune attention avant. De lui s'émane un souffle doux semblable a un vent de printemps radieux.

L'objet de ses désirs est là, devant lui. Cela semble le combler d'une joie trahie que par ce très subtil sourire. Son cou se redresse lentement et il ose redresser enfin son menton.

Mais dès qu’elle se tourne vers lui, son regard fuit progressivement, comme si rien ne venait de se passer. Ne portant aucun intérêt, elle se détourne de la distraction que nous sommes. Les crocs de Félix sont, un bref instant, visibles, preuve indéniable qu'il souffre en son cœur d'homme.

Le pauvre. Je vais faire comme si je n’avais rien vu. Enfin si, un rapport.

Les jours suivants, nous abordons diverses notions, les couleurs notamment en plus de répéter les précédents. Rien de notable, ils semblent toutes les percevoir. Au moins, si on leur demande de couper un fil rouge, ils ne se tromperont pas, sauf s’ils ont tous rouge.

Celle des formes leur semble aussi accessible, ils savent reconnaître un carré et un rond, ils arrivent à les emboîter comme le feraient des enfants en primaire. Et encore heureux, ce serait un comble d’avoir des soldats incapables de mettre un chargeur de munition dans une arme.

Pour ce qui est de leur intellect, il n’y a pas vraiment de différence. À moins que faire exploser notre budget friandise soit une preuve d’intelligence supérieure. Je crois qu’on est en train de foirer complètement l’éducation de la chatte…

Les trois semaines suivies sont entièrement remplies de cours avec des images associées avec des mots, où bien évidement, la curieuse féline a voulue attrapée un papillon qui n’exister pas en déchirant la toile de projections… Merci Bastet.

Et l’autre lymphatique, c’est tout juste s’il a calculé le papillon qui occupait toute la vidéo. Par contre la Femme, il a bien observé les courbes, au moins il est normal sur ce point. Ou alors pensait-il à son insolente muse.

On a bien sûr, l’Alphabet, où on tente de les faire prononcer les lettres, mais c’est comme parler à des murs et encore, ce dernier peut renvoyer un son. On a exactement le même problème avec les syllabes.

Les notions, toujours avec les images. Sauf le silence, qui lui pour le coup est vraiment compliqué à expliquer. Ma méthode un peu stupide, c’est de dire.

- Silence

Et de lever le doigt. Sachant qu’ils comprennent parfaitement ce que c’est de lever un doigt. D’ailleurs les gestes, c’est totalement à leur portée. Au moins, ils pourront communiquer avec les sourds-muets…

Mais le vrai problème qui demeure, c’est la distance entre ces deux êtres. Alors on a mis en place un plan, qui ressemble plus à une expérience qui d’avance sera éprouvante. Oui, je suis un homme très optimiste.

Nous faisons entrer Bastet, dans l’École. Ce qu’elle ne sait pas jusqu’à ce que j’ouvre la porte, c’est qu’il y a Félix. La féroce femelle grogne et montre les crocs.

- Non, Bastet.

Elle m’obéit et va s’asseoir sur mon ordre. Non sans faire grincer la chaise bien comme il faut sur le sol pour faire saigner nos oreilles… Ah… J’aurais dû apporter un seau d’eau froide pour la calmer.

Entre elle et Félix, il y a trois tables, Monsieur la regarde du coin de l’œil. Toujours la tête légèrement baissée, il est d’une maîtrise émotionnelle déroutante, surtout pour un tigre qui était si tumultueux au début.

- Debout.

Les deux se lèvent en même temps. Mmmaaaah… Elle a fait grincer la chaise, encore.

- Bastet, montre Félix.

Elle obéit, mais sans un geste de plus.

- Bastet, regarde Félix.

La voilà qui soupir, nous faisant son caprice d’enfant gâtée en tendant son autre main.

- Plus tard, la friandise, Bastet, obéit d’abord à notre ordre.

Elle s’y soumet, bien que contrariée si j’en crois ce regard noir qu’elle lui jette.

Nous ordonnons la même chose à Félix, il obéit puis la regarde sans que je n'en aie donné l’instruction. La queue de Bastet s’agite et ce n’est jamais bon signe.

- Patience.

Et je lui fais un geste censé apaiser son humeur. Une minute passe.

- Objectifs ?

Bastet, a parlé ? Sa gueule s’ouvre et sa langue bouge.

- Bastet demande l’objectif, regarder Félix.

Ses tonalités sont maladroites en plus d’avoir voix un peu cassée comme si c'était une fumeuse, en plus de ronrons sur les R. Cependant, son articulation appuyée sur chaque mot employé confirme une chose, elle comprend.

- Patience.

Félix lui a répondu ?!

Sa voix est sûre, grave, je dirais même, c’est celle d’un homme mature en bonne santé. Bastet rétorque la tête haute tout en bombant son torse.

- Félix, pas Éric, pas Amandine.

- Leçons, patience.

Je suis fière de ce brave garçon.

- Oui Félix.

- Oui Félix ?!

Me hurle-t-elle avec force. Elle sort ses griffes et raye la table, poils hérissés, queue dressée, elle pourrait nous sauter dessus. Elle n’en fait rien, se contentant d’écorcher le meuble dans toute sa longueur et ceux en oubliant la surveillance des agents de sécurité qui les encadrent. Aucune peur d’être punis. Peut-être, tous simplement, qu’elle n'a pas conscience de cela.

J’aurais vraiment dû amener un seau d’eau. Mais finalement, pas besoin, car j’ai Amandine avec son calme olympien pour remettre Bastet a sa place et ceux, sans la mettre plus en colère.

- Bastet, non, pas de griffes.

- Bastet, Erreur ?

- Bastet, n’a pas à se comporter mal.

Elle répète tout en posant la main sur son crâne, légèrement étourdie tous en peinant grandement a interprété. Félix, toujours aussi impassible, l’observe. En voyant cela, peut-être par fierté, elle décide d’apaiser son ardeur.

- Bastet non à Félix. C’est terminé.

L’insolente lui tourne le dos, direction la sortie. Félix expire en fermant les yeux. Oui, je suis d’accord avec toi, ce n’est pas une fille facile. Je te soutiens, mentalement.

D’ailleurs, elle n’a pas à sortir comme ça.

- Non Bastet, la leçon est importante.

- Bastet, apprendre seule. Pas Félix, plus d’ordre.

Je hausse le ton.

- Ça suffit Bastet ! Tu n’as pas assez de compréhension pour apprendre seul.

- Alors moi montrer vous. Félix, regarde.

Elle prend le feutre et frénétiquement écris.

- A B C…

L’alphabet et les syllabes, les numéros, les chiffres. Le pauvre le feutre qui n’a rien demandé est usé, elle efface d’un coup sec, ce manque de respect pour le matériel. Elle va nous coûter plus cher que le rhinocéros qui avait défoncé l'intégralité de sa cellule.

- Un autre.

Amandine s’approche prudemment et d’une voix douce, presque maternelle.

- Bastet, tu as beaucoup à apprendre.

- Donnez-moi livre de mots alors, Bastet, sait lire.

Nan, mais pour qui se prend-elle ?!

- En un seul mois, ne te moque pas de nous ?! Il faudrait des années à un enfant pour assimilée tout ça !

- Bastet cherche moque. Donnez-moi livre.

On aurait dû lui apprendre la politesse à celle-là. Amandine lui tend un dictionnaire. Pourquoi pas ; cela lui donnera tort à cette vilaine fille .

Avec la même énergie que pour écrire, elle s'en saisit et cherche sans la moindre difficulté.

- Ah ! Là ! Moquerie.

Elle marmonne des phrases incompréhensibles, décortique chaque syllabe et chaque mot, persuadée de comprendre quelque chose.

- Définition : tourner quelqu’un ou quelque chose au ridicule. Synonyme de plaisanterie…

Elle cherche encore, trouve plaisanterie en un rien de temps.

- Synonyme, similaire. Bastet, comprend. Bastet est sérieuse. Vous maintenant comprendre ?

Je suis totalement désarmée devant cette capacité d’apprendre, c’est au-delà de toutes nos attentes et de vraiment loin.

- Bastet, vouloir autre livre, manque de précision. Plus de livres, plus de mots. Moi apprendre seul, vous voir que Bastet aura pensée plus précise.

- Pas patience.

Elle se tourne vers Félix et lui hurle en lui crachant des postillons au visage.

- Bastet, pas avoir sonné à Homme Fourrure ! Silence !

Au moins, on a la confirmation que le silence est bien compris. Pauvre Félix, c’est une vraie furie face à toi, elle fait de grands gestes en l'air, hystérique, dès qu'il ose la regarder.

- Pas regarder Bastet ! Félix, baisse yeux ! Regarde sol !

Dit-elle en le pointant. On dirait ces petites frappes qui font des gestes grossiers et crache au sol tous en parlant très mal. Il s'incline, c'est vraiment un triste spectacle.

- Regarde Félix, pas regarder Bastet, là, regarde Sol. Bastet, perdu.

Elle rugit de rage, tout en se retenant d'écorcher son propre visage, c'est affligeant de voir nos recherches menées à ça : une zonarde furry et sa victime.

Cette situation n’a ni queue ni tête. Enfin si, mais c'est incompréhensible. Ma partenaire me chuchote à l’oreille.

- Peut-être devrions-nous satisfaire sa demande et nous concentrer un peu plus sur Félix.

J’acquiesce, de toute façon, on ne peut pas la mettre avec lui sans les barreaux, les tensions entre ces deux-là sont trop importantes. Surtout Bastet, qui est beaucoup trop courroucée.

Nous la ramenons dans sa chambre avec des livres et une télévision pour l’aider à visualiser certains mots. Le mâle est donc notre seul élève pendant un petit moment, cet événement lui a insufflé une forte volonté d’apprendre, il essaye tant bien que mal de faire des phrases complexes. Il y a au moins de ça de bon.

Je peine encore à réaliser les faits, tandis que je la regarde les jours suivants à travers les caméras de la chambre de la femelle.

Elle s’imprègne des mots comme une page vierge au contact de l’encre.

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