Chapitre VIII.3

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Ce fut un choc… Certes pas comparable à celui que lui avait fait éprouver la merveilleuse créature de la salle 227, mais tout de même ! Io se tenait à l’intérieur de l’immeuble d’Imalbo, et il pouvait voir jusqu’au toit du bâtiment. En effet, si les murs extérieurs étaient intacts, toujours présents et bien solides, ils étaient tout ce qui restait des structures de l’immeuble. Planchers, cloisons, portes, chambres, cuisines, lampes, tout avait disparu.

« Une immense boîte, lisse, propre, et vide ! résuma Io.

— Ça change, non ? demanda Imalbo. J’ai fait quelques travaux.

— Tu parles ! Tu as absolument tout rasé ! On peut savoir pourquoi ?

— Pour faire de la place, répondit l’homme à cornes.

— Mais encore ? fit Io d’une voix fatigué, lointaine, car déjà ses pensées s’emplissaient à nouveau de bleu et de vert.

— Tu verras bien ! Pour le moment, j’ai laissé les sous-sols tels quels, tu auras donc largement de quoi dormir et manger. Mais dis-moi, tu fais une bien drôle de tête ! Tout s’est pourtant passé à merveille, l’explosion n’a fait aucune victime, j’ai vérifié, et maintenant nous sommes parfaitement à l’abri du Réseau ! Tout ça grâce à toi, et ça n’a pas vraiment l’air de te réjouir…

— Oui. Si tu savais… »

Io et Imalbo se tenaient debout, face à face dans le hall d’entrée qui était maintenant une salle gigantesquement vide, et vraiment très haute de plafond. Il faisait nuit noire dehors, et comme toutes les lampes avaient disparu l’endroit était assez mal éclairé, plongé dans une vague pénombre. Imalbo était toujours le même, ses deux cornes dépassant de son chapeau mou, qui avec ses lunettes et son imper lui donnait l’allure d’un bandit venant d’une époque depuis longtemps oubliée. Soudain, sans rompre le silence total qui s’était instauré, il sauta en l’air, rayonna d’une vive lumière rouge et se figea ainsi dans les airs, les pieds au niveau de la tête rêveuse de Io, éclairant tout l’immeuble à lui seul.

« Ben, je crois que je sais, justement, mais je ne comprends pas, dit-il. Quand je t’ai fait nettoyer pour te débarrasser des pisteurs (tu en avais d’ailleurs récolté un sacré paquet), j’ai avant toute chose récupéré les informations contenues dans ton casque. Informations qui consistaient en partie en l’enregistrement de tout ce que tu voyais ou entendais au cours de ta mission.

— Et ? fit Io, comme s’il ne comprenait pas.

— Et, j’ai tout regardé en vitesse avant de venir te rejoindre ici. Tu t’es vraiment bien débrouillé, soit dit en passant.

— Merci.

— Mais, il y a un moment, quand tu entres dans la salle 227, tu sais, celle où tu as enfin pu localiser les ordinateurs à détruire, où tu te conduis vraiment de manière totalement incompréhensible. Tu entres, tu vois un travailleur, certes assez particulier vu que c’était le seul habillé de noir et c’est sans doute pour ça que tu l’as remarqué, mais sa vue te pétrifie sur place, et tu restes stupidement sans bouger pendant plusieurs minutes sans la moindre once de raison ! Je n’y comprends rien. »

Io ne s’était pas attendu à cela. Imalbo avait toujours semblé parfaitement comprendre les humains. « Comment lui expliquer ça ? se demanda-t-il. Tous, nous savons ce que c’est que ce sentiment d’attachement, même si la Société nous le présente comme une absurdité et a tout fait pour le faire disparaître, que ce soit avec raison ou non. Sans y parvenir totalement, semble-t-il. Mais comment expliquer un tel sentiment à un être virtuel, à une machine ? » Io se concentra pour se détacher de son monde bicolore et tenter de parler clairement.

« Je crois que tu vas avoir beaucoup de mal à comprendre. Ce travailleur en noir, ce n’était pas n’importe quel travailleur, c’était une fille.

— Oui, ben ça, je sais. Il y avait une chance sur deux. Mais pourquoi t’a-t-il ainsi figé sur place, te privant de toute maîtrise sur toi ?

— Pourquoi t’a-t-elle, et pas il. C’est là que tout réside. Comment peut-on ne pas comprendre ? Des yeux si profonds, si lumineux, un visage absolument parfait… Si belle qu’à côté d’elle tout paraît morne et gris… Si belle que je n’ai pu que l’aimer dès que je l’ai vue, voilà tout.

— Tu l’aimes, dis-tu ? Je connais évidemment la signification du verbe "aimer" : on aime quelque chose quand on le trouve à son goût, et il est donc tout à fait possible que tu aimes cette fille vu qu’a priori elle n’est pas laide. Mais pourquoi rester ainsi planté devant elle ? Tu aimes les chocolats, non ? Et pourtant tu n’as jamais été pétrifié par une friandise. »

Io rit de bon cœur. « Non, non, non ! Pas aimer comme cela. Ce n’est pas simplement le fait de la trouver "à mon goût", comme tu dis. C’est beaucoup plus fort ! C’est comme si elle était mon unique raison de vivre, ses yeux me poussent à repeindre le monde de leurs couleurs pour que tout, du plus petit atome aux routes éternelles, puisse crier leur splendeur et clamer la primauté de l’existence de cette fille sur celle de toute la Voie Lactée ; la plus petite action en son intérêt suffirait à combler le bonheur de ma vie entière, et faire dessiner un seul sourire sur ses lèvres divines me conférerait un plaisir inaccessible aux dieux ! Je suis…

— Tu es fou. Complètement.

— Tu crois ? fit Io d’une toute petite voix.

— J’en suis sûr ! Il est complètement stupide de vouloir vivre pour quelqu’un d’autre, c’est de l’esclavage ! Tu n’as pas la moindre raison de dédier ton existence à une fille que tu n’as fait qu’entrevoir, et dont le seul mérite est de t’avoir fait perdre les pédales.

— Mais je n’ai plus le choix ! Je voudrais l’oublier que j’en serais totalement incapable ! Je me sens trop faible pour pouvoir vivre sans elle, et en même temps je me sens à même d’affronter les pires dangers pour la rejoindre. Je l’aime tant !

— Aïe aïe aïe ! gémit Imalbo. Ecoute, mon pauvre Io, c’est une personne parmi des millions d’autres vivant dans la ville, et même si pour ton cerveau malade elle est unique, tu n’as aucune chance de jamais la retrouver. Il va falloir que tu acceptes ça : tu ne l’apercevras plus.

— Tu crois vraiment ? demanda Io d’une voix éteinte.

— Evidemment. Et tu as vraiment intérêt à tout faire pour l’oublier, pour chasser la moindre pensée dirigée vers elle de ton esprit, sinon ta folie ne pourra que croître et tu ne t’en remettras jamais.

— Mais c’est impossible ! Jamais je ne parviendrai à me détacher de son image. Elle est trop belle ! pleurait Io.

— Laisse-moi au moins d’aider. A deux, nous pouvons y parvenir. Et pour ce faire, rien ne vaux un peu d’action. Nous allons préparer un nouveau plan d’attaque contre la Société, un plan si grand que son concept même te dépassera complètement et t’obligera à te concentrer sur le présent, sur la réalité ! Canalise ton énergie vers un but encore plus gigantesque ! Mais surtout, ne fait pas ça pour elle… »

Ils étaient descendus aux sous-sols, pour trouver un endroit où Io, un peu calmé, pourrait enfin dormir.

« Attends voir, dit ce dernier à Imalbo. Je vais dormir, et pendant la nuit tu auras cent fois le temps de trouver un plan, et comme en plus tu réfléchis cent fois plus vite tu en trouveras un. Je n’appelle pas ça du travail d’équipe, moi ! C’est toujours pareil : tu produis les idées, moi j’applique. Mais c’est quand même moi qui ai décidé le premier de renverser la Société, non ? Je tiens absolument à décider de la marche à suivre.

— Evidemment. Et puis comme je te l’ai dit ça te changera les idées de réfléchir un peu à ce qu’il faut faire. C’est pourquoi moi aussi je tiens à ce que ce soit toi qui fournisses les idées ; mais pour le moment tu es trop fatigué, et si jamais tu n’arrives pas à arrêter de penser à cette fille la fatigue va te faire déprimer. Voilà ce qu’on va faire : tu vas penser à un plan en t’endormant. Vous autres humains dites que la nuit porte conseil, alors peut-être te réveilleras-tu empli d’idées toutes fraîches. Et moi, pendant que tu dors, je ne réfléchis à rien, je repose mes circuits. A la place, je vais m’occuper de te reconstruire une chambre, et puis aussi une salle de bain, une cantine… quelque part dans les alentours.

— C’est d’accord. Je suis en effet bien las.

— Je t’ai installé un lit confortable dans le coin, là-bas, en attendant mieux. Bonne nuit ! »

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