Chapitre V.6

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Ainsi emporté par le souffle de son terrible adversaire, l’ange fut baladé au sein du monde virtuel jusqu’à en être tout à fait perdu. Il atterrit doucement sur la cime d’un arbre, puis tomba instantanément à travers son feuillage pour se retrouver à son pied. Il avait l’impression d’être tombé d’une chaise, et encore pas très haute ; mais quand il leva la tête il pouvait à peine apercevoir les branches les plus basses, tellement l’arbre était grand. Il était dans une forêt telle qu’il n’en avait jamais vu ou imaginé : lumineuse, claire et agréable, tout en paraissant inquiétante, menaçante même ; en tout cas une impression d’étrangeté pesait sur les lieux, et l’ange en était complètement déboussolé. Il entendait comme un murmure au sein des feuilles vertes, comme si la forêt avait son propre langage, à peine perceptible, et incompréhensible. Mais si la forêt lui parlait, elle ne pouvait lui dire qu’une chose : « Cours ! ». Car si l’ange était bel et bien perdu et ne savait dans quelle direction marcher, quand il s’agit de fuir il ne se posa pas de question : le chien arrivait, et son souffle était aussi assourdissant que celui d’une locomotive. Preuve qu’il était sûr de sa force et se souciait bien peu d’arriver par surprise ; il savait où était l’ange et allait le rattraper.

L'ange comprit rapidement qu’il n’allait pouvoir sauver sa peau en courant : il se retourna et attendit le chien. Il le vit bientôt arriver, toujours à l’origine d’un vacarme démoniaque, mais il semblait avoir du mal à se mouvoir. Tout d’abord, il semblait plus petit qu’avant, comme s’il avait adapté sa taille pour mieux passer entre les arbres. En fait, il changeait constamment de taille et de forme, et zigzaguait comme un forcené pour éviter la moindre branche. « La forêt fait certainement plus ou moins partie de lui, réalisa l’ange. J’ai dû m’approcher du cœur de l’ordinateur, et le chien ne veut pas semer la pagaille dans le réseau de programmes touffu qu’est certainement cette étrange forêt ». Mais le monstre canin arrivait malgré tout à une vitesse folle, et bientôt il fut assez près pour s’élancer de toute la force de ses puissantes pattes et relancer le combat. Mais les forces étaient plus égales maintenant : il n’avait toujours pas regagné sa taille originale.

L’ange matérialisa une épée dans chacune de ses mains et les abattit à toute volée sur la tête de son adversaire. Qui para le coup avec ses dents le plus naturellement du monde. L’ange attaqua de toutes parts, levant ses épées et frappant, frappant… Mais toujours le chien se dérobait, et, chose étonnante, il ne parvenait pas non plus à atteindre les arbres. Les branches se mouvaient comme par enchantement, elles se tordaient comme si elles étaient faites de caoutchouc, et jamais le tranchant d’une des épées de l’ange ne les effleurait. Mais par contre, les feuilles ne fuyaient pas le chien, pas du tout. A son approche, elles se tordaient et bougeaient de la même façon, mais afin de le toucher : chaque petit morceau vert venait s’apposer sur son pelage pendant quelques secondes. Et au contact des innombrables feuilles des arbres qui l’environnaient, le chien semblait se gorger de puissance, il paraissait grandir à nouveau, comme si les arbres se liguaient derrière lui pour l’alimenter et le soutenir.

L’ange, en s’apercevant du phénomène, eut alors pleinement conscience de se trouver en plein territoire ennemi : il lui fallait réagir, et vite ! Mais comment ?… Il se protégeait tant bien que mal en s’abritant derrière les arbres, mais ceux-ci essayaient à présent de le repousser, et il devait mouliner avec ses épées pour pouvoir se maintenir à une position sans qu’un arbre n’en vienne à l’occuper. Il poussait même de nouvelles plantes derrière son dos… Et le chien s’approchait inexorablement, il était maintenant debout et avait bien deux têtes de plus que lui. Les branches à présent restaient fermement accrochées à lui, et son pelage couleur de feu en paraissait vert tellement la forêt s’acharnait à l’accompagner dans le moindre de ses mouvements. Des mouvements qui pour l’instant se résumaient à faire des pas en avant, mais bientôt il passerait à l’attaque, et qu’il use de ses crocs ou de sa magie l’ange n’aurait pas l’ombre d’une chance d’en réchapper.

Et puis soudain, alors que l’ange reculait toujours, marchant à reculons de peur que la moindre action de son adversaire échappant à ses yeux ne soit celle qui le réduise à néant, il n’y eut plus d’arbres dans son dos. Ils n’entravaient plus son chemin, au contraire, ils lui avaient tracé un passage bien droit le laissant sans encombre accéder à une clairière. Et de ce terrain dans lequel on l’avait fait entrer, l’ange ne pourrait plus ressortir. Car les arbres avaient repoussé de plus belle, délimitant une clairière d’une rondeur parfaite, en en rendant l’orée telle une palissade de bois lisse et infranchissable.

L’ange était pris au piège dans une arène avec un adversaire qui était au summum de sa puissance : chaque arbre avait maintenant une branche, une extension qui le reliait à lui, et ainsi le chien tirait ses forces de toute la forêt. Pour finir, il s’éleva progressivement de celle-ci une sorte de litanie, que l’ange n’avait jamais entendue si lugubre et ténébreuse, mais qu’il reconnaissait très bien : la forêt n’était autre que le Réseau, qui lui montrait clairement dans quel camp il était. Ainsi le monstre qu’il avait devant lui bénéficiait d’une connexion presque totale au Réseau, ce qui lui permettait de bénéficier de forces virtuelles quasi intarissables. « Exactement le genre de connexion que j’étais venu chercher ; dommage que ce soit mon adversaire qui en profite dans le but tout à fait mesquin de s’assurer de mon annihilation totale… »

Mais l’ange venait de voir où résidait son salut : cette puissante connexion au Réseau qu’il était venu chercher était dans le camp ennemi, d’accord, mais enfin elle était juste devant lui ; n’était-ce pas ce qu’il voulait ?

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