1 : Retour de flamme

6 minutes de lecture

Bureau de Police

DDPU 95

26, rue Général Leclerc

Saint-Ouen l'Aumône (95)

Fin janvier 2011

Le premier jour

14:15

— Putain, mais je l'ai pas tuée je vous dis ! Je vous jure que c'est vrai, Madame la Commissaire, il faut me croire...

— Alors comment expliques-tu qu'on ait retrouvé l'arme du crime, maculée de tes empreintes, planquée sous ton matelas ?

— J'en sais rien moi...

— Arrête de me prendre pour une blonde, Shakes ! Pièce à conviction n°1, colt 45.

Assise en face de l'homme suspecté de meurtre, Marina Marquance, commissaire de police à la Crim' depuis un peu plus de quatre ans, joignit le geste à la parole et sortit du tiroir le pistolet sous scellés plastiques marqués de ses références. Elle l'agita sous le nez du coupable présumé et poursuivit, virulente.

— C'est quand même pas un flingue de midinette ça ! Me dis pas que c'est pour aller taquiner le moineau le dimanche matin à la chasse... Ben non, toi tu pionces le dimanche matin !

Un bruit sourd retentit lorsqu'elle posa violemment l'objet du délit sur le meuble en acier galvanisé.

— Il est pas à moi, ce gun, je vous jure... Je travaille en douceur, moi ! Vous le savez bien, Madame la Commissaire.

Marina commençait à perdre patience. Elle ouvrit à nouveau son tiroir et s'empara d'un deuxième sachet plastique qu'elle plaça à côté du revolver.

— Pièce à conviction n°2. L'un de tes boutons de manchettes a été retrouvé près du corps de la victime. Il n'y a que toi qui portes ce genre de fringues ringardes parce que tu te prends pour Al Capone. Rien qu'avec ça, Shakes, je peux t'envoyer au trou pour un bon bout de temps. Capice ?

Avec sa coiffure en arrière, luisante, suintant outrageusement le gel Vivelle Dop, son petit costard cintré d'inspiration italienne, sa fine cravate unie et ses pompes bicolores cirées, Shakes avait tout du mac' des années 50.

— Pourquoi j'aurais buté Mathilda, hein ? Pourquoi ? Je la baisais à l'œil !

— Va savoir, la jalousie, l'amour, toutes ces conneries...

— C'était une pute, Mathilda, OK ? J'avais pas de raison d'être jaloux...

— Sauf qu'elle était aussi la maîtresse de Marchand, et que ça, ça te déplaisait au plus haut point.

— N'importe quoi ! J'étais son mec, son régulier...

— Alors on va pouvoir ajouter proxénétisme et meurtre à ton joli palmarès déjà copieusement rempli.

— Vous délirez ou quoi ? Il est où votre collègue Marco ? Il me connaît, lui. Il sait que je suis réglo.

Marina contourna le bureau, saisit l'oreille du délinquant et lui plaqua la tête contre le plan de travail.

— Il est en vacances. Et il n'appréciera que très moyennement d'apprendre qu'on a descendu son indic !

La commissaire avait sifflé entre ses dents. Elle continua sur sa lancée.

— Je te conseille de te mettre à table, Shakes, et vite !

— Mathilda savait qu'il y avait un contrat sur sa tête. Elle a dû le prévenir, votre collègue.

— Qui a commandité l'assassinat de ta poule, hein ? Qui ? Allez Shakes, fais pas chier putain, parle, dis-moi des choses ! Mais grouille-toi, bordel !

— Lâchez-moi, vous me faites mal, merde...

Marina relâcha sa prise.

— Je serais toi, j'hésiterais pas à balancer l'ordure qui a payé pour qu'on fume ma nana. Alors crache le morceau, j'ai assez perdu de temps comme ça avec tes états d'âme.

— C'est un ancien de chez vous. Il est en cure à Fleury...

— Cash ? Joseph Cash ?

— Pourquoi, y'en a beaucoup de votre maison qui font un séjour à l'ombre pour avoir violé et tué la gamine d'un inspecteur de police ?

— Écrase Shakes, écrase ! Ne fais pas le malin avec moi si tu ne veux pas te retrouver en cure toi aussi.

La commissaire était livide. Cette histoire la ramenait cinq ans en arrière, quand la vie de son coéquipier et meilleur ami avait viré au cauchemar. Elle se sentait décontenancée, vidée. Le suspect la dévisagea.

— Ça va pas, Madame la Commissaire ?

La jeune femme ouvrit la porte de son bureau.

— Le Floch, mettez-moi notre client au frais, je vais prendre l'air...

— Le taulier voulait vous voir de suite...

— Faites-le patienter, faut que j'aille m'en griller une.

— Il a sa tête des mauvais jours...

— Moi aussi, Le Floch, j'ai ma tête des mauvais jours !

Marina avait crié. Elle se passa la main dans les cheveux.

— Excusez-moi, Le Floch. Coffrez-moi celui-ci. Je prendrai sa déposition plus tard.

La jeune femme quitta les locaux et se retrouva à l'extérieur, dans une petite cour encadrée de bâtiments administratifs. Le pull à col roulé bleu pétrole assorti à un jean délavé et des bottines de motarde, l’épaisse veste en cuir râpé qu’elle avait jetée sur ses épaules n’empêchaient pas la belle de grelotter. Elle prit une cigarette dans son étui en daim et l'alluma à l'aide d’un zippo à l'effigie de Sting, son idole. Un cadeau de son mari, David, prématurément disparu dans un accident de la circulation, en novembre 2002. Depuis, ses yeux noisette se teintaient en permanence d'une mélancolie palpable. Elle ne l'avait pas remplacé. A quarante ans, la ravissante brune élancée à la beauté naturelle, sans fard, ne cherchait plus à séduire. Elle n'avait désormais plus que deux priorités : Alex, son fils de seize ans, et son boulot de flic. Celui qui lui avait tant coûté à titre personnel.

Marina inhalait de longues volutes mentholées pour se réchauffer. Le tabac se consumait trop vite, écourtant d’autant la pause qu’elle s’était octroyée. Une seconde clope succéda rapidement à la première. Ses pensées se troublèrent en s’attardant un instant sur Marc. Plus qu'un ami, son frère d'armes et son ex. Celui qu'elle n'arrivait pas à libérer de ses démons. La voix de Grégory Le Floch la ramena brutalement à la réalité de son métier. Elle écrasa sa sèche dans le cendrier sur pied mis à disposition et rejoignit son supérieur hiérarchique.

— Entrez Marquance, entrez. Asseyez-vous, je vous en prie.

La commissaire s'exécuta.

— Marina, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Nous venons de recevoir un fax de Fleury. Joseph Cash s'est évadé ce matin.

— Joseph Cash ? Ça veut dire que Shakes avait raison alors...

— Shakes ?

— Vittorio Parisi si vous préférez. Une petite frappe qui rencarde plus ou moins Oettinger sur certaines affaires. Shakes, c'est le surnom dont l'a affublé le milieu le jour où il a été frappé par la foudre, parce que ça l'avait salement secoué.

— Et il aurait raison sur quoi, ce fameux Shakes ?

— Selon lui, le meurtre de Mathilda Triviani aurait été commandité par Cash.

— Fiabilité du tuyau ?

— J'aurais dit 50%, mais avec ce que vous venez de m'apprendre, Monsieur le Divisionnaire, ça remonte sa crédibilité à 85%. Il faut prévenir Marco, enfin je veux dire l'inspecteur Oettinger. Katia Sdresvic, son indic, est en danger.

— Pas question, Marquance. Je sais qu'Oettinger est votre ami, mais je l'ai débarqué parce qu'il devenait dangereux pour l'équipe et pour lui-même.

— Je ne suis pas d'accord, Monsieur. Vous savez très bien que Cash va tout faire pour le pousser à bout et s'en prendre à ses proches. Katia est tout ce qui lui reste !

— Gardez vos commentaires pour vous, Marquance ! Vous savez très bien ce que je pense de sa liaison avec... Cette personne, pour ne pas être désobligeant.

— Alors pourquoi m'avoir convoquée pour me parler de l'évasion de Cash ?

— Parce que je veux que vous teniez Oettinger à l'écart de l'enquête. On n'a pas besoin de ses méthodes à la Clint Eastwood.

— Je ne vous suivrai pas sur ce terrain, Monsieur, et vous le savez.

— C'est un ordre, Marquance ! Vous pouvez disposer...

— Avec tout le respect que je vous dois, Monsieur le Divisionnaire, je vous emmerde. Et c'est pas moi qui viendrais pleurer sur la tombe de Cash si Marco lui collait une balle dans la tête. Justice serait enfin faite.

— Je vous conseille de le coincer avant, Marquance, ça vaudra mieux pour tout le monde.

Marina claqua la porte en s'éclipsant.

***

— Le Floch, ramenez-moi Shakes dans mon bocal. Je vais prendre sa déposition et il sera libre.

— Il n'est pas coupable ?

— Non, avec ce que je viens d'apprendre, c'est une certitude. Et puis, vous essaierez de joindre l'inspecteur Oettinger sur son portable et sur son fixe.

— Mais il est en RTT...

— Je ne vous demande pas votre avis, Le Floch ! Dites-lui que c'est important, que c'est une question de vie ou de mort. Et lorsque vous l'aurez au bout du fil, vous le basculerez sur ma ligne.

— De vie ou de mort ?

— Oui. Joseph Cash s'est évadé de prison ce matin. Et quelque chose me dit qu'il va faire payer sa disgrâce à ceux qui ont condamné sa carrière de flic. Katia et Oettinger sont clairement dans son collimateur. Et je n'aime pas ça, Le Floch, je n'aime pas ça du tout...

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