Calculs qui diffèrent...

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Perdu dans un monde lumineux et chaud, je dérivai. Des îlots de souvenirs émergeaient parfois. Je me revis enfant courir pieds nus sur les pavés humides de pluie, fuyant un marchand à qui j'avais dérobé une poire. Je revis le cadavre sanguinolent de Mistouffe, la flaque rouge s'étalant sous lui, lentement. Je revis les combats, la faim, la peur, le froid, la solitude, la douleur, le désespoir, la rage, tout ce qui faisait mon univers. Et, alors que je me maîtrisai depuis toutes ces années, refoulant mes émotions derrière un mur mental infranchissable, je sentis mes larmes couler.

Puis la chaleur qui m'entourait s'insinua en moi. Elle me réconforta, tarit mes larmes. Je m'abandonnai entièrement à elle.

Lorsque j'ouvris enfin les yeux, je me sentais vidé, mais plus léger. Une douce lumière d'aube filtrait à travers l'oeil-de-boeuf.

- Merdouille, j'ai abusé de quel alcool cette fois ? marmonnai-je en me redressant.

- Hum, cette habitude aussi il va falloir qu'on la corrige, me répondit une voix à côté du lit.

Une voix que je connaissais. Une odeur d'herbe, de soleil, de pluie, rassurante mais totalement incongrue dans mon grenier. Remerdouille, tout me revint d'un coup : la menace de Rastar, l'épée dans la roche, le vieux fou puis le vieux fou devenu jeune et lampe humaine... Ah, oui, un mage, c'est vrai.

Déjà, je me trouvai toujours dans mon grenier. Il ne m'avait pas livré aux autorités. Du coin de l'oeil, je l'aperçu, assit sur une chaise, me regardant de ces yeux dorés.

- Tu m'as fait quoi ?

Je n'osai pas me tourner vers lui. Pourquoi j'avais la trouille comme ça ? Contre un mage, je n'avais de toute façon aucune chance, alors foutu pour foutu ! Mais voilà, mon instinct refusait d'admettre cet état de fait. Non, pour lui, même à l'agonie, il fallait qu'il me pousse à survivre.

- Pas grand-chose, je me suis juste permis de regarder ton passé.

Regarder mon passé ? Hé, c'est une propriété privée !

Furieux, je tournai la tête vers lui et le toisai avec férocité.

Il m'adressa un sourire. Le même qu'hier (ou est-ce avant hier ? ventredieu, cela fait combien de temps que je pionce ?). Une vague d'inquiétude me saisit.

- On est quel jour ?

Son sourire s'élargit. Hé, ho, remballe ton charisme mon vieux, je suis pas une femme !

Je bondis du lit, m'emparai de l'épée, toujours adossée au mur, et allait passer par l'oeil-de-boeuf quand sa voix m'arrêta:

- Lundi, le dix-sept.

Le soulagement déferla en moi. Ouf, je n'avais pas loupé le rendez-vous avec Rastar !

Je me retournai vers le mage, indécis. Il ne me semblait pas hostile, mais ne paraissait pas non plus vouloir s'en aller. Et le savoir dans ma piaule, ça me gênait. Ici, c'était mon endroit. L'irritation me gagna.

- Putain, t'attends quoi de moi, sérieux ?

- Que tu deviennes roi.

Son regard me fixait sans ciller. Il décrottait pas, hein ! Plus buté et fou que lui, jamais connu !

- Pourquoi ?

- L'épée t'a choisi.

Il n'en démordait vraiment pas. En plus, il radotait ! Vieux un jour, vieux toujours, pensai-je avec un sourire moqueur.

- Bon, que les choses soient claires: si c'est une blague, elle est naze, si t'es sérieux, va te faire soigner.

Je me détournai, prêt à prendre la tangente avec l'épée. Plus vite je la vendrai, plus vite j'aurai mon argent.

Mais mon corps se raidit soudain. Purée, il allait me faire le coup combien de fois ? Et impossible de lutter !

Mes jambes bougèrent toutes seules et je fis volte-face. Le mage était maintenant debout et m'observait gravement.

- Je suis le gardien de l'épée et l'épée choisit le roi, clama-t-il d'une voix digne d'un sage énonçant une prophétie.

Dans ma tête, le calcul fut simple : gardien de l'épée + épée choisit roi = gardien serviteur du roi.

- Donc tu es mon larbin maintenant, c'est ça ?

Ses sourcils se haussèrent et une expression surprise remplaça son masque solennel.

Merde, sa tête était vraiment trop hilarante!

Je sentis un fou rire remonter le long de ma gorge. Je me mordis les lèvres, refusant le laisser s'échapper.

- Non, ton conseiller, finit-il par répondre.

Ah, apparemment, on a pas la même façon de calculer, lui et moi.

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