1 : Le protecteur de la ville 1

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Coldauteuil. Ainsi se nommait la cité dans laquelle le sauvetage de Rodyle les avait menés. Tathlyn, en bon hôte, leur présenta la ville en de grandes lignes. La chambre d'entrée des Territoires se connectait à d'autres via deux goulots sur sa face nord. Dans chacun, une ville siégeait, ainsi Coldauteuil gardait irrémédiablement le passage de la chambre du sud à la chambre du sud-ouest. Deux familles se partageaient la protection de cette ville-passage, les Wyrvn et les Sangrouge.

– Avec tous les tunnels parallèles au Corridor, assura nonchalamment le jeune vampire, il est inutile de dépenser trop d'effectifs à surveiller l'entrée même des Territoires. Nous nous contentons d'occuper les deux seules trouées partant de Chambre Sud vers le nord.

Il leur fit grimper deux étages d'un vieil escalier en pierre. Ici les murs se confondaient avec la paroi du gouffre. La rambarde taillée dans la roche témoignait d'un long usage en entraînant une quasi-disparition des ornements ciselés. Des marches en bois, plus récentes, venaient certainement combler les creux formés par des milliers de pieds, comme cela se voyait dans les châteaux moyenâgeux.

La chambre se situait sous les combles et comprenait deux lits à deux places.

– Nous logeons ici nos invités, expliqua-t-il. Elle occupe le quart sud-ouest de la maison, en regardant par la fenêtre, vous avez une belle vue sur la partie sud de Coldauteuil et Chambre Sud. Notre chambre à ma sœur et moi est à côté et en face, nous avons celle de mes parents. Bref, ceci est l'endroit le plus sûr de la demeure pour vous protéger  !

Les deux gardes du corps firent leur tour, l'un reniflant les odeurs suspectes – intrus, traces de poisons cachés – et l'autre vérifia la vue.

– Nous disposons d'un accès aux bains publics, mais, heureusement pour vous, nous avons de quoi faire un brin de toilette en attendant que vos poursuivants se lassent.

Luna ne savait pas s'il s'amusait particulièrement de la situation où s'il était d'un tempérament enjoué.

Rodyle et Arthur commandèrent aussitôt le nécessaire de toilette. Le premier pour se laver de la sensation d'humiliation de sa captivité et le second pour ôter de sa peau le sang séché et la puanteur de pourriture de son manteau.

La faim travaillait davantage l'adolescente qui s'enquit de ce qu'ils pouvaient manger.

– Moi aussi  ! s'exclama Rodyle, et est-ce que vous avez du chocolat  ? Ou du jus de fruit  ?

– J'ignore ce qu'est le chocolat et je te trouve trop jeune pour boire du jus de fruit.

Les deux métis lui renvoyèrent un regard ahuri, sensation partagée par l'humain qui ne commenta pas, trop conscient de tout ce qu'il ignorait. Seul Orchio conservait la clarté d'esprit pour éclaircir le quiproquo.

– Leur métissage elfique doit les aider à supporter le sucre.

Luna soupira, tandis que son frère se frappait le front. Ils partagèrent une pensée commune  :

«  Je suis vraiment fatigué pour oublier que c'est comme l'alcool pour les vampires.  »

Informé de cette réalité, qui le saisissait, Tathlyn expliqua qu'il doutait pouvoir piocher dans les réserves de son père facilement.

– Depuis que j'en ai piqué un peu, l'intendante se méfie de moi, précisa-t-il comme s'il trouvait cette réaction excessive.

Il partit, ensuite, quérir les différentes demandes et prévenir son père.

L'intendante évoquée par le jeune maître de maison s'occupa de leur monter un baquet accompagné de deux gros seaux d'eau chaude. En nourriture, ils reçurent du pain noir et compact avec des tranches de viande fumée et de l'eau.

– Rassasiez-vous sans vous goinfrer, les avertit-elle. Nous allons nous rationner pour les événements à venir.

Le rationnement semblait son maître mot, tant dans son corps maigre et ridé que dans ses habits rapiécés. Elle plissa les yeux sur les invités sans émettre le moindre commentaire et repartit.

Un moment d'indécision flotta, tandis que Manaa cherchait du regard un paravent pour se laver en toute pudeur et qu'Orchio flairait les plats, grimaçant face à l'état de la viande.

– Je la préfère crue ou à peine saisie. Tu ne voulais pas te laver  ? demanda-t-il soudain à Manaa.

– Un peu de pudeur, ce serait trop demander  ? déplora-t-il.

– La pudeur n'a pas sa place en mission.

Manaa fit un mouvement de tête en direction de Luna qui mordait dans une miche. Elle se tourna vers eux et haussa un sourcil.

– Mon père se balade régulièrement nu dans la maison et on a déjà fréquenté des plages nudistes. Si ça vous dérange, je regarderai ailleurs.

Malgré son assurance, Manaa tira un drap des lits pour le nouer entre le cadre de la fenêtre et un meuble.

– Peut-être pour un autre jour, l'entendirent-ils marmonner.

Quand le tour de Luna vint, il tint à garder l'installation en place. L'eau chaude réchauffa l'adolescente au-delà de sa propriété propre. Elle signifiait également une pointe de modernité et un confort tout autant qu'un confort. Luna profita de cette relative intimité pour vérifier le corps meurtri de son petit frère. L'aisance avec laquelle il se régénérait ne suffisait pas à effacer les bleus et les morsures. Il protesta quand elle le nettoya en prétendant que le savon le piquait.

De l'autre côté du drap, les deux adultes papotaient de tout et de rien. Ils partirent de la nourriture, pour arriver à des loisirs, en passant par l'entretien des armes à feu de l'humain.

– Ça pue, râlait Orchio en se référant à l'odeur de poudre tout autant qu'à l'huile de nettoyage.

– On s'y habitue, rit Arthur.

Querralène les rejoignit alors que Luna finissait de se rhabiller. Mettant de côté les habits volés, elle se retrouvait de nouveau en débardeur et boxer et Rodyle était toujours en pyjama.

– Je commençais à me demander où Tathlyn vous avait amené, dit la vampiresse. Les Aspirants campent devant l'entrée de la maison, ils oublient de surveiller le souterrain vers les bains publics. Quel désappointement, je pensais qu'il fallait un minimum d'intelligence stratégique pour intégrer le corps des Esprits. Oh, ils sont étranges vos vêtements.

Elle s'adressait tout autant aux métis qu'aux membres de l'Inexistante. Si la tenue du lycanthrope était relativement passe-partout même aux standards vampiriques, celle de l'humain, libérée du manteau dérobé, présentait une coupe et un tissu totalement inexistant dans les Territoires.

– Il y a l'air d'avoir de l'agitation en ville, intervint Orchio sans s'en soucier, tu peux nous l'expliquer  ?

– La rébellion met en place des barricades pour prendre le contrôle de la ville. Forcément, certains protestent. Ne vous inquiétez pas, ils suivent un plan élaboré depuis un moment. Les choses se sont précipitées avec l'arrestation du fils d'Elliot. C'est votre frère, n'est-ce pas  ?

La mention de Sephenn réveilla Luna de son assoupissement.

– Tu sais où il est  ? demanda Rodyle avec empressement.

– Il est censé être au Champ de Hanneau. Mais, si Elliot est arrivé, il a dû le libérer.

– Alors, on doit aller les rejoindre, s'enthousiasma le garçon.

Luna se montrait plus partagée, d'un côté, elle s'inquiétait pour sa mère et voulait retourner auprès d'elle au plus vite. D'un autre, l'idée d'être avec son père lui plaisait, d'autant plus qu'il risquait de retourner en prison dès son retour en Junsîl.

Querralène coupa court à cette possibilité.

– C'est impossible.

– Pourquoi  ?

– À cause des barricades, nul n'entrera ni ne sortira. Vous n'êtes pas vampires du tout, vous deux  ? demanda-t-elle subitement aux adultes.

– Pas du tout, confirma Orchio, raison pour laquelle nous sommes tous le quatre en danger dans cette ville. Tu parlais d'un souterrain non surveillé par les Aspirants  ?

– Vous ne pourrez tout de même pas sortir de la ville, contra Querralène.

– Ça, c'est notre problème, montre-le nous.

La jeune vampiresse tourna ses grands yeux vers Luna, elle exprimait une certaine tristesse.

– Vous voulez vraiment partir  ?

Luna lui retourna un sourire pincé.

– C'est plus sûr pour nous, oui.

– Je veux retrouver papa, insista Rodyle entre ses dents.

– Moi aussi, tu sais. Mais, fatigués comme nous sommes, nous risquons d'être un poids pour lui. On ferait mieux de rentrer.

– Si vous le souhaitez, se résigna Querralène. Suivez-moi.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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