18 - Un allié de circonstance 1

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Luna ferma les yeux et invoqua l’image de son père pour s’apaiser. Elle essaya de se représenter ce qu’il ferait dans cette situation ; l’apparence féline et maîtrisée du sorma se déploya dans son imagerie mentale et elle le plaça dans la maison à sa place, avant de le mettre en acte.

Une ombre se glisse sur son visage pâle. Il s’approche de la fenêtre, l’ouvre, s’accroupit et fuse dans les airs, pour atterrir sur le toit. Nulle agitation dans la maison fait montre que ses habitants l’aient découvert.

Bien sûr ! S’ils parvenaient à s’infiltrer, elle n’aurait qu’à filer dans la pièce où Rodyle était retenu pour le libérer avant qu’ils ne le blessent !

Le son des pas du lycanthrope s’approcha, Luna rouvrit les yeux et se tourna vers lui.

– Profitons qu’ils soient occupés par les nouveaux arrivants pour nous infiltrer, et libérer Rodyle avant qu’ils ne s’en servent comme otage, proposa-t-elle avec conviction.

– Trop tard pour ça fillette. L’Aspirant représente les forces de l’ordres en l’absence des Esprits Rouges ou Bleus. Or, ces derniers ont été rappelés d’urgence auprès des maîtres, pour la chasse aux évadés.

– Raison de plus pour agir de suite, répliqua Luna, vivement.

– Je n’ai pas dit le contraire. Je m’assure seulement que tu renonces à ton espoir de sauver ton frère, sans qu’ils ne subisse de heurt.

Rodyle avait été réveillé par le raclement d’une chaise. Son gardien s’était levé, pour ouvrir la porte sur un homme aux épaules larges et au faciès plissé d’un rictus de joie malveillante.

– D’accord ! le coupa-t-elle. Allons-y vite, celui que tu appelles Aspirant vient d’apparaître devant Rodyle.

– Laisse-moi le temps de m’arranger avec l’humain.

– Appelle-moi encore « humain » et je te donne du toutou, commenta nonchalamment Manaa, en jaugeant la meilleure position pour son arme.

Orchio lâcha un grognement proche du ricanement, avant de s’accroupir devant lui et établir rapidement un plan d’action.

Un coup de pied brutal balança Rodyle contre le mur, propageant dans son corps une violente douleur, sous un éclat de rire goguenard.

Luna bondit sur ses pieds, comme un ressort, et se propulsa jusqu’à la porte de derrière, à grandes enjambées. Le lycan pouvait prendre le temps qu’il voulait, elle-même n’en avait plus à perdre. Elle dévala les escaliers en sautant plusieurs marches à la fois, puis se précipita vers la porte arrière. Elle se rappela qu'Orchio l'avait close alors qu'elle maniait en vain la clenche. Elle brisa la serrure et bondit à l'extérieur.

– Fillette, un instant.

Orchio apparut devant elle et lui prit les bras.

– Je comprends ton angoisse, mais la dernière des choses est d'attaquer les vampires de front. Détache-toi des émotions de ton frère, pour être plus efficace.

– Pendant que nous perdons du temps…

– Quelle est ta priorité, sauver ton frère ou abréger ses souffrances ?

– Quoi ?

La question l'ébranla un peu.

– Les deux sont équivalents.

– Absolument pas, si tu te précipites sans réfléchir, avec le seul objectif d'alléger les souffrances de ton frère, tu cours le risque de provoquer sa mort. En revanche, si tu prends le temps d'élaborer une stratégie et de l'appliquer, malgré ses douleurs, tu peux espérer le sauver. Tu comprends ?

Oui. En fait, elle comprenait d'autant mieux que c'était un discours que son père avait déjà tenu par le passé, durant d'autres discussions. Il avait été si aisé de l'oublier devant l'urgence et l'angoisse.

Rodyle, tiens bon le temps que j'arrive.

– Prends ton temps, j'ai pas mal, fanfaronna le garçon en réponse.

Un nouveau coup, le choc fut amorti par le blindage que Rodyle s'était constitué par somarythmie.

– J'ai retrouvé mon calme, annonça Luna. Alors que fait-on ?

– On va passer par l'arrière, en faisant un détour, reste en contact avec Manaa et au moment opportun, il nous créera une diversion. Il fera aussi office de guet.

– Ça me va.

Le détour impliqua de franchir les jardins de deux autres propriétés, avant de traverser l'allée et de répéter l'opération en sens inverse, pour arriver dans la propriété de l'hôtel. Luna avait puisé de nouveau dans l'idée quelle se faisait de son père pour en calquer son attitude. Elle avait partagé ses liens télépathiques entre Manaa et Rodyle. Le premier patientait à sa fenêtre, tandis que le second subissait les insultes et les coups en serrant des dents. Il fallait admirer la résistance mentale du garçon qui, plutôt que d'être terrifié, se laissait envahir par une froide rage et guettait l'occasion de mordre son maltraiteur.

Une main s'abaissa vers la tête du prisonnier ligoté, ses muscles tendus attendaient le moment propice pour se détendre. Au moment donné, il bondit, les crocs à l'air, pour les enfoncer dans le poignet à découvert ; dans la zone de chair sensible juste avant le bout de sa manche. Sa mâchoire, préalablement renforcée, pinça férocement l'articulation, tandis que ses canines y firent jaillir le délicieux sang.

Un hurlement de douleur répondit à l'assaut, accompagné d'un violent choc, pour le faire lâcher. La pluie d'injure ne fit que ricaner Rodyle, qui se pourléchait les babines.

– Tu croyais quand même pas que j'allais me laisser faire ? Lâche.

Le coup de pied suivant transperça son blindage et lui tira un glapissement de souffrances, alors qu'il sentit nettement un os se rompre. Les larmes perlèrent à ses yeux, malgré sa forte volonté, et il concentra son énergie à remettre en place sa carapace. Une explosion de tonnerre et les bris d'éclat d'une fenêtre empêchèrent la brute de porter d'autres frappes.

Luna courut aussi silencieusement que possible dans les couloirs, elle se fiait à son audition sur-développée pour repérer les arrivées de vampires. Le lycanthrope était parti de son côté pour attirer l'attention et provoquer le chaos. Quant à elle, elle devait passer inaperçue pour atteindre Rodyle le plus rapidement possible.

L'hôtel particulier était davantage occupé que la maison aux colonnades, et elle dénombra un peu plus d'une vingtaine d'individus, bien qu'elle ne pusse tout entendre. Elle estima que son frère était à l'étage le plus élevé et chercha un escalier plus petit que le central, et moins ouvert. En se déplaçant au gré des sons qu'elle percevait, elle se prit un couloir plus modeste et trouva une porte ouverte sur une série de marche ; que quelqu'un dévalait !

La grosse brute quitta la pièce, talonné de son acolyte. Le gardien de Rodyle, demeuré à ses côtés, paraissait perturbé par l'explosion de la fenêtre.

Avertie du danger que représentait l'Aspirant, Luna se planqua derrière le battant de la porte, prête à attaquer s'il la repérait. Le premier arrivé au bas de l'escalier s'immobilisa soudainement et renifla.

– Cette odeur ?…

La porte s'écrasa sur lui dans un bruit sourd, pour se rouvrir sur Luna, la paume gauche tendue vers les deux vampires. Elle libéra un éclat vif de lumière qui les éblouit et brandit son épée, en visant le cou découvert du premier.

Libéré de l'attention, Rodyle modula sa somarythmie pour envelopper ses poignets liés. Il concentra toute sa volonté pour déformer suffisamment ses os, tout en durcissant sa peau. Le résultait formait un bracelet bardé de lames d'os tranchantes, qui eut tôt fait de rompre les fibres de ses cordes. Ses mains déliées, il se replia doucement pour en faire de même de ses chevilles.

L'Aspirant se reprit avant d'être touché et détourna la pointe de la lame de son bras. Ses sens en alertes, il ne négligeait plus sa somarythmie et ne craignait plus le tranchant de l'épée. Son visage buriné exprima du dégoût face à la métis.

– Descend le bâtard, ordonna-t-il à son subalterne.

– Ne vous avisez pas de blesser davantage Rodyle, siffla Luna, les dents serrées.

Elle bondit sur le côté pour éviter la lame à un tranchant, promptement dégainée par son adversaire. Elle avait joué trop rapidement et son frère allait servir d'otage, quelle idiote !

« Navrée Rodyle, je dois me concentrer sur lui, si je veux survivre moi-même. »

De fait, l'Aspirant était un bien meilleur combattant que les individus qu'elle avait affronté dans la forêt. Ses gestes étaient précis et rapides et Luna ne dut qu'à son bon entrainement de parvenir à parer ou esquiver ses attaques. Il lui fallait riposter rapidement avant de rater l'un ou l'autre.

Concentrée, elle ne porta guère d'attention au coup de feu qui retentit de nouveau, en revanche elle ne manqua pas de repérer l'indécision qu'il fit naître dans le regard de son adversaire. Elle mit à profit cet instant pour recouvrir la lame de son épée d'un fluide, dégageant une lumière argenté. Bien que peu talentueuse en somarythmie, Luna se débrouillait un peu mieux en selenotropie, art hérité du côté de sa grand-mère paternelle. Et plus particulièrement, elle se trouvait plutôt douée pour jongler entre ses différents talents.

Tout aussi bon guerrier que soit l'Aspirant, il se trouverait un moment où il ne parviendrait à maintenir son blindage face à la lame enchantée ; la moindre entaille libérerait le passage pour le feu glacé, paralysant les muscles et consumant son énergie vitale.

Quoique brutal et méprisant, le vampire analysa la menace et se montra plus prudent. Rassurée de cet état des faits, Luna plaça ses premières frappes et manqua de peu sa peau, en déchirant le tissu écarlate sur son bras. Lui, fit mouche en lui écrasant la semelle de sa botte sur l'os du bassin. Pliée en deux sous le choc, elle ne put que se laisser choir, afin que la lame, qui devait la transpercer, ne fit que la griffer.

L'omoplate brulante, Luna se repoussa de toute son énergie en arrière pour cogner sur le mur. Elle retint le cri qui lui vint aux lèvres lorsque sa plaie entra en contact avec la toile d'un rideau.

Un rideau !

Luna tira sur la toile pour libérer la vue.

– Pauvre petite souillure, ricana l'Aspirant. Apporter de la lumière ne rendra pas ta situation plus… brillante !

« Ris donc tout ton saoul », pensa Luna pendant qu'il s'esclaffait sur de sa victoire. Elle recouvrit sa tête du rideau, au moment où un nouveau coup de feu fit voler en éclat la fenêtre, dont les débris vinrent s'étaler en partie sur le tissu.

Le vampire fut projeté en arrière sur quelques bons mètres. Luna n'attendit pas qu'il se relève pour se précipiter vers lui, l'épée en avant. Il commençait à se relever, un peu titubant ; la double protection de sa somarythmie et son plastron avait arrêté la balle, après avoir seulement percé l'épiderme de sa peau, lui sauvant la vie. Qu'importe, Luna taillada ses cuisses sans pitié.

Une telle blessure ne permit pas au vampire de se relever et la paralysie provoquée par la lumière diurne compliquait sa régénération. Confiante en son incapacité à combattre pour un moment, Luna le laissa en plan pour retrouver son frère. Elle entendit ses pas légers dans les escaliers et sourit de le savoir sauf. Le garçon lui sauta dans les bras avec soulagement.

– Luna, c'est qui le tireur ? s'exclama-t-il, moins affecté qu'il aurait pu l'être.

Malgré son insouciance apparente, un peu de sang séchait au coin de sa bouche et des bleus marquaient ses bras.

– Le nouvel inspecteur de l'Inexistante. Comment vont tes blessures ?

Avant de se rappeler l'acolyte, elle releva la tête et n'entendit aucun son. La douleur dans son dos lui rappela à sa propre plaie, qu'elle referma tant bien que mal par soin lunaire. La selenotropie était plus efficace de nuit.

– Ça va, j'ai une côté cassée, mais j'ai commencé à la ressouder. Je finirais quand j'aurais le temps. Tu veux dire que le nouvel inspecteur est venu ici ?

– Oui, regarde dans ma tête. Qu'est-il advenu des hommes en haut ?

– Ton inspecteur les a descendu. Il est précis dis-donc !

Rodyle jeta un coup d'œil dans le couloir et renifla avec mépris en voyant l'Aspirant replié sur lui-même, toute son énergie consacrée au soin de ses plaies. Informé de la situation par les souvenirs de Luna, Rodyle ne posa pas d'avantage de questions et se lança dans le couloir avec assurance.

« Ce n'est pas beau d'être revanchard », commenta Luna avec une pointe d'humour quand son frère envisagea de provoquer le blessé, et peut-être de le frapper en passant. Le garçon haussa les épaule et se contenta de le dépasser avec hautaineté. Sa grande sœur, elle, se montra vigilante vis-a-vis de l'Aspirant, au cas où il se prendrait dans l'envie de faire plus que des insultes.

– Alerte, les bâtards s'échappent !

Luna fit un son de gorge d'agacement.

– J'aurais du le bâillonner. On se grouille.

Revenant vers la partie centrale, ils tombèrent sur des employés de maison éberlués, partagés entre ceux qui s'enfuyaient à leur vue et les autres qui firent mine de les attraper. Cependant, ceux-là étaient trop lents pour les métis, qui bondirent dans les escaliers.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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