8 - Le message 1

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Elias faisait les cent pas devant le bureau de maître Enslow. Si sa femme ne l'y avait pas forcé, il ne serait même pas rentré chez lui pour se laver et se nourrir correctement. Le jour avait cédé la place à la nuit depuis un long moment et toujours aucune nouvelle du messager parti sur le territoire De La Lune.

Le transfert d'Elliot dans une prison de la Ragguî était pour le lendemain et il ignorait encore ce qui était arrivé à son aîné. Elias et Alicia s'étaient mis d'accord pour ne pas l'en informer, tant qu'ils n'auraient pas de certitudes.

Si Sephenn était mort… nul ne pourrait plus rien. Mais s'il était encore en vie, seul Elliot pouvait le sauver.

Un magistrat sorma passa devant en lui jetant un regard méprisant. L'elfe ne releva pas.

– Maître Bore  !

La voix tonitruante, qui venait de résonner dans le couloir, le fit sursauter. Son propriétaire était un nain de grande taille – pour son espèce – qui avançait à vive allure vers le magistrat elfe. Sa barbe blanche tressautait à chaque pas et son visage rougissait sous l'effort. Killkur Propognh n'en avait peut-être pas toujours l'air, mais il était un ancien procureur avisé et respecté, qui officiait aujourd'hui comme Grand Conseiller de la justice.

Vêtu d'un ensemble rouge et or, et arborant une petite hache de guerre d'apparat au côté, le nain en imposait de prestance. Il arriva à hauteur d'Elias et leva la tête pour le regarder dans les yeux. Malgré sa grande taille, il n'arrivait qu'aux épaules de l'elfe qui, lui, était dans la moyenne basse de son espèce.

– Je suis surpris de vous trouver ici à cette heure de la nuit, s'exclama Propognh, et reprit avant de laisser le temps à Elias de répondre. Ce qui arrange mes affaires, d'ailleurs. J'ai appris pour votre beau-frère, je compte sur vous pour garder à l'esprit que la justice est aveugle et qu'il vous faudra rester impartial.

– Vous me taquinez, maître, répondit Elias dans ce qu'il espérait être une voix neutre. Je connais mon art et j'ai confiance en l'innocence de mon beau-frère, autant qu'en la compétence de mes collègues.

– Il était de mon devoir de vous le rappeler, assura le Conseiller en secouant la main. Je voulais également vous entretenir au sujet du triple meurtre… Que vous arrive-t-il maître Bore  ?

L'ancien procureur avait remarqué les traits tirés et l'angoisse qui habitait Elias. Le magistrat hésita à se confier à son supérieur, puis s'avisa que cela concernait l'affaire dans laquelle était plongé Elliot.

– Mon neveu est dans le territoire De La Lune, résuma-t-il. J'attends le retour d'un contact pour savoir comment agir au mieux.

– Barbenflue  ! Qu'y fait-il  ?

– Hé bien, il s'avère qu'il s'agit du fils d'Elliot Bore, l'un de ces métis elfe-vampire qui ont tant fait parler il y a quelques temps. Le véritable coupable est venu le narguer et mon neveu a commis l'imprudence, dans sa fureur, de le poursuivre jusque dans le territoire De La Lune.

Propognh se caressa la barbe pensif.

– Comment pouvez-vous affirmer que le vampire qui l'y a amené est le véritable coupable dans l'affaire qui concerne votre beau-frère  ? questionna-t-il.

– Avant de quitter Junsîl, mon neveu nous a contacté mentalement, le vampire se serait présenté ainsi. Je le crois sans preuve, car c'est l'option la plus plausible dans cette histoire.

– Ce sera à démontrer, fit l'ancien procureur. Voyons pour votre neveu, rappelez-moi de quel nation il relève  ?

Le nain semblait préoccupé par la question, il avait cette qualité d'exercer le métier de magistrat par conviction et non par seule ambition.

– D'aucune, répondit Elias en se retenant de soupirer, puisqu'il est né en Junsîl de parents exilés. Je n'ai trouvé aucun cas similaire dans nos archives qui nous permettrait de trancher. À vrai dire, je ne saurais même pas affirmer ce qui empêche légalement les quatre enfants de ma sœur de venir en Ragguî, car l'exil ne concerne que leurs parents et ils n'ont aucun lien de sang avec les Junsîliens.

– Légalement, c'est exact, convint le Grand Conseiller. Il n'en reste pas moins qu'ils ne sont pas nés en Ragguî et donc, rien ne justifie qu'ils soient considérés et traités comme des ragguîens. Les sormas se chargeront bien de nous le rappeler si nous tentons de récupérer votre neveu. Nous n'avons pas le temps de tergiverser s'il est déjà entre leurs mains.

– C'est bien ce qui m'inquiète, dit Elias. Je pensais que nous pourrions le considérer comme un Junsîlien, qui aurait passé un portail non surveillé, et se serait retrouvé inconsciemment sur le territoire sorma.

Le Grand Conseiller tira pensivement sur sa barbe, incertain.

– Il poursuivait un vampire, sorma, je suppose, il n'est donc pas arrivé innocemment sur leur territoire.

– Sa conduite était irréfléchie, certes, mais nous ne pouvons affirmer qu'il connaissait les emplacements et les frontières des territoires arranëens, argua Elias. Il ignorait qu'il mettait les pieds chez les De La Lune.

– Hmm.

Propognh se tritura encore la barbe, les yeux fermés tandis qu'ils envisageait l'argument.

– Tentons cette approche, déclara-t-il enfin. Je vais avertir les Vigiles de l'existence de ce portail et de l'intrusion d'un Junsîlien dans le territoire De La Lune. Tenez-moi au courant, quand vous aurez les nouvelles de votre contact.

Sans plus attendre, le nain bondit pour longer le couloir d'un pas vifs, le regard grave. Elias était rassuré par le soutien du Grand Conseiller, s'il pouvait au moins sauver Sephenn…

Enfin, la porte du bureau d'Enslow s'ouvrit, laissant passer une naine au regard furibond suivie de son avocat, un humain à la peau bronzée et au nez arrondit qui lui donnait un profil d'oiseau de proie. Curieusement les humains étaient considérés, à tort ou à raison, comme d'excellents avocats, peut-être à cause de leur bagout.

Elias s'approcha de l'entrée. Janus Enslow rangeait ses dossiers d'un geste énervé. Il leva la tête quand il l'entendit entrer.

– Elias, tu tombe bien, enfin à pic conviendrait mieux, dit-il en l'invitant à fermer la porte. Mme Soufflevent pouvez-vous nous laisser seuls  ?

La greffière, une elfe nocturne à la peau pâle et aux yeux verts sombres, laissa en plan les notes qu'elle organisait pour sortir à sa demande.

– Alors  ?

Elias sentait ses entrailles se nouer en attendant la réponse de son collègue.

– Il est en vie, c'est déjà ça.

– Où est-il  ?

– Dans le champ d'Hanneau, répondit Enslow, l'arène principale du territoire sorma. Il participera probablement aux jeux de demain. Tu te doutes que le maître, lui-même, y assistera. Si ton neveu sait se battre et a un bon instinct de survie, il pourra tenir quelques temps.

– Sephenn sait se battre et je pense qu'il saura résister, commenta Elias. La question est  :combien de nuits.

– Espérons au moins une, dit Enslow. Je ne sais pas comment tu prévois de le sauver, en tout cas tu n'arrivera à rien avant après-demain. Et je ne veux pas t'inquiéter d'avantage, mais ils organisent deux nuits de jeux d'affilées pour l'occasion. Je pense qu'ils veulent le voir se vider de son sang dans l'arène, plutôt que le laisser croupir dans un cachot.

Elias blêmit, cette possibilité impliquait d'agir très vite. Jamais une intervention officielle ne parviendrait à le sortir de là avant, les sormas feront en sorte de traîner les discussions pour leur rendre le cadavre exsangue. Au mieux. Elliot demeurait le plus à même de sauver son fils à temps.

– Avant que tu ne partes il faut que je te parle d'une chose étrange. Ah, d'ailleurs, j'ai un message pour toi, mais je vais d'abord t'expliquer la situation.

– Je t'écoute.

– Tu es sans doute au courant que les relations entre les clans vampires et la Ragguî sont de plus en plus tendues, commença Enslow. Les maîtres se renferment dans leur maison et les informations officielles sont minces, quant aux autres, elles filtrent de moins en moins. Les territoires des nations avoisinantes font état d'attaques de vampires isolées, sans que les maîtres ne fassent mine de l'empêcher. Comme s'ils s'en moquaient.

Enslow avait baissé la voix et son ton manifestait le caractère confidentiel et grave de la nouvelle.

– Ce ne serait qu'un exemple, je n'en sais pas beaucoup plus et pour le moment cela reste encore très localisé. Néanmoins, c'est préoccupant. En tout cas, il semblerait que l'origine de cette situation soit la guerre qui a secoué les clans vampires, il y a une douzaine d'années.

– Nous ignorons toujours qui en tirait les ficelles  ? demanda Elias.

Enslow fit la moue.

– Mystère, répondit le procureur. S'il appartenait à une nation d'Arranë, nous en saurions eut-être un peu plus, là il paraît être tombé du ciel. Et, quant à savoir ce qu'il avait contre les vampires, et pourquoi il a soudainement disparu, c'est encore une autre question sans réponse. Quoiqu'il en soit, cette guerre est à l'origine de troubles internes, apparemment les décisions des maîtres n'ont pas toutes été acceptées sereinement. Bref, ton neveu n'a pas choisi la meilleure période pour apparaître chez les De La Lune. Mon contact, qui est un sorma vivant en Ragguî, a eu bien du mal à se renseigner sur lui sans attirer l'attention et il m'a bien fait comprendre qu'il n'y retournerait pas.

Elias se frotta les tempes, embrouillé par toutes ces informations. Cela s'annonçait très mal.

– Autre chose de curieux, reprit Enslow, tandis que mon contact se renseignait, un Esprit Rouge lui a donné un message pour toi.

– Un Esprit Rouge  ? Pour moi  ? s'étonna Elias.

– Il lui a vivement conseillé de ne pas tarder à partir. Le voilà, je ne l'ai pas lu.

Elias prit le message cacheté et détailla d'abord le sceau sur la cire. Il s'agissait d'une fleur à la longue tige épineuse. Le blason De La Lune. Dans le clan De La Lune, deux personnes seulement pouvaient se servir de ce sceau, le Maître De La Lune, lui-même, ou un porteur du nom De La Lune, or actuellement sire Dylan, le père d'Elliot, était le seul porteur du nom apte à s'en servir. Deux personnes qui paraissaient aussi improbable l'une que l'autre.

Enslow, qui en était arrivé aux mêmes conclusions, regardait attentivement Elias. L'elfe décacheta le message et déplia le papier pour le lire, peu rassuré.

« Le fils d'Elliot est prisonnier de notre clan, il sera dans les jeux du champ d'Hanneau les nuits de Lunis et d'Alchris. Il n'est pas destiné à y survivre. Prévenez Elliot. »

Le texte, écrit d'un trait minutieux et rigide, n'était pas signé. Elias leva les yeux sur son collègue.

– Cela confirme ce que ton contact t'a dit. Les nuits de Lunis et d'Alchris correspondent à demain et après-demain, c'est bien ça  ?

Enslow opina.

– Le vampire qui a écrit ce message confirme que Sephenn sera mis à mort la deuxième nuit et il me demande de prévenir Elliot.

– Ton beau-frère  ? Cela ressemble à un piège.

– C'est vrai, mais en même temps je n'en suis pas sûr. Regarde, le sceau est clairement celui des De La Lune, or le message n'est pas rédigé en termes officiels, ni signé. Tu sais à quel point les vampires sont tatillons à ce sujet. C'est bien une personne qui me demande de prévenir Elliot. Et puis, honnêtement le clan De La Lune n'a pas besoin d'un piège aussi grossier pour l'attirer, et ils lui auraient laissé davantage de temps avant de condamner Sephenn. Je ne sais pas ce que cherche sire Dylan – je ne vois pas qui d'autre aurait pu l'écrire – en m'envoyant ce message mais ça ne ressemble pas à un piège.

(suite du chapitre dans la partie 2)

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