Gabby t'es Pd ?

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  • Pd ?
  • Non… on dit homosexuel. Gay, si tu préf…
  • Je préfère hétérosexuel, Gabriel !

Voilà les mots qui t’ont brisé. Tu t’en souviens bien, hein ? Tu avais essayé d’imaginer cette scène des semaines auparavant. Tu savais bien que ton père ne réagirait pas bien. Mais pourtant, ça t’a quand même fait mal. Tu te rappelles son regard ? Celui qui parlait mieux que ses paroles. Oui, ce regard… il t’a crié dessus ensuite. Il t’a raconté qu’il n’imaginait pas ton avenir ainsi. Et ta mère est arrivée. Elle a pleuré, tu t’en souviens aussi, et ça t’as fait encore plus mal. Elle a dit :

  • Je m’en doutais un peu ces derniers temps que tu passais avec Alphonse… j’espérais me tromper. Mais… enfin, si tu es heureux… Oh, je suis désolée chéri, c’est trop dur à accepter ! Je peux pas !

Ta propre mère, oui. Celle qui t’a toujours dit « tu peux tout me dire, tu sais, je t’aimerai toujours, et je serai toujours contente si tu l’es ». Pendant quelques jours, ils ne t’ont plus parlé, ils étaient distants avec toi. Ils ne t’adressaient la parole que pour te sortir un « bonjour » froid ou un « ferme à clé quand tu sors » sans intonation. Tu commençais à regretter. Tu voyais Alphonse moins souvent, tu passais ton temps à trouver comment leur faire plaisir. Et puis un soir, tes parents sont partis pour une semaine, du jour au lendemain. Ils t’avaient dit qu’ils avaient besoin de se retrouver seuls, tous les deux. Alors tu en as profité pour passer la semaine avec Alphonse. Il est venu s’installer chez toi, provisoirement. Vous avez passé une semaine formidable et tu étais plein d’espoir. Tu n’avais plus peur, tu te fichais de la réaction de tes parents… tu étais heureux.

Mais ils sont rentrés plus tôt que prévu, un jour avant. Ils t’ont surpris avec lui et ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En vous découvrant, le cœur de ta mère, déjà fragile, n’a pas supporté. Elle a fait une crise cardiaque.

Ton père a changé depuis ce jour. Il ne t’a jamais pardonné. Tu t’en es voulu à mort. Ton père a commencé à boire. Beaucoup. Beaucoup trop. Il s’énervait contre toi, dès qu’il te voyait. Un soir, bourré, il t’a même sorti :

  • Espèce de PD ! Gros dégueulasse, t’as vu c’que t’as fait ? t’es fier de toi ? T’as vu qu’à cause de ta sexualité et ce p’tit con tu as déchiré ta famille ! Tu pouvais pas juste être un gosse normal ? Aimer les filles ? Les nichons, les culs bombés, les belles blondes ? T’aurais pu avoir des gosses, tu sais ? T’aurais pu rendre fiers tes parents ! T’aurais pu nous préserver, mais au lieu de ça, t’as tué ta propre mère ! Et regarde ce que tu as fait de moi ! Un alcolo ! T’es content de toi ?

Il avait levé la main sur toi et tu n’as pas pu t’enfuir. Car tu t’en voulais. Tu as encaissé les coups en silence, pour ne pas l’énerver encore plus. Tu as souffert, ce soir-là. Tu ne reconnaissais plus ton père.

Depuis, tu cherchais tous les moyens pour ne pas le voir. Tu faisais les courses, tu sortais… mais une fois, il t’a vu au supermarché. Il t’a vu au rayon maquillage.

Désormais, il faisait les courses. Et il ne te laissait plus sortir. Tu maigrissais à vue d’œil, tu ne parlais plus beaucoup, tu venais de rompre avec Alphonse à cause de ton père, tu t’étais fait renvoyer de ton lycée à cause de tes trop nombreuses absences, tu ne prenais plus de douches… Ton père te fouettait sans que tu te défendes, tu as pourtant pensé à prévenir quelqu’un. Mais encore une fois, tu as pensé à ton père d’abord et la culpabilité a pris le dessus. Il n’avait pas besoin de ce problème en plus. La perte de ta mère était déjà assez dure, il ne l’avait pas encaissé.

Les jours passaient au ralenti. Tu ne sortais presque jamais de ton lit, et quand tu le faisais, c’était pour te faire battre ou faire le ménage. Tu n’avais plus de vie, tu t’ennuyais, tu souffrais, tu étais triste, tu étais en colère, tu avais peur. La vie était nulle. Tu n’avais plus rien à faire ici. Et puis, peut-être que si tu partais, ton père irait mieux, après, sachant que le tueur de sa femme était mort.

Alors tu as pris ton envol. Dans l’après-midi, suspendu à une poutre de ta chambre. Tu es parti, sans un mot, sans un geste. Tu pensais que ta mort n’allait affecter personne, ou, au mieux, soulager ton père. Mais tu avais complètement tort.

Gabriel, après ton décès, ton père s’est effondré. Quand il t’a vu, il a hurlé. Il s’est écroulé au sol en pleurant. Il t’a décroché en douceur pour te déposer sur ton lit. Il s’en est voulu. Il ne faisait que répéter :

  • Pardonne-moi, Gabby. Pardonne-moi mon fils ! Je t’ai… poussé à bout ! Poussé à commettre… ça !

Il a pleuré, la tête sur ton torse maigre et blessé. Il a lavé tes blessures, ton visage, il a pris soin de toi bien trop tard.

À ton enterrement, il y avait beaucoup de monde. Alphonse est venu, ta famille, des élèves de ton lycée, tes profs, le caissier qui t’aimait bien, tes amies, et même de nombreux inconnus qui avaient vécu ou vivaient le même genre de situation que toi. Ton père a avoué ce qu’il t’avait fait. Il s’est excusé mais cela n’a servi à rien. C’était trop tard. Il a été jugé puis emmené en prison pour vingt ans.

On a fait construire un mémorial dans le parc où tu aimais bien traîner avec Alphonse. Tu es devenu un symbole dans ton village. On t’apportait régulièrement des fleurs, des bougies, des photos… Les couples homosexuels gravaient leurs initiales sur le mémorial. Alphonse venait te rendre visite très régulièrement. Il te parlait. Il te donnait des nouvelles du village, de ton père, des autres… Par chance, les parents d’Alphonse avaient accepté bien vite sa sexualité. Et ta mort les avait chamboulés.

Tu as quitté ce monde bien trop tôt, Gabriel. Jamais tu n’aurais dû vivre ça.

A vous, qui connaissez quelqu’un comme Gabriel, ne le laissez pas finir comme lui, s’il vous plaît.

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