19

6 minutes de lecture

L’église était dans la pénombre hormis le chœur et l’autel, éclairés par des spots. Un groupe s’y trouvait. Sylvie avança. Elle entendit une voix impérieuse aboyer des ordres.

— Mais creusez Cécile !

— Je creuse professeur, je creuse !

— Mieux que ça !

— Vous perdez votre temps ! dit une voix que Sylvie reconnut comme celle du père Pain.

— C’est une honte ! fit une voix de femme d’un certain âge.

En arrivant à la hauteur du père, Sylvie demanda :

— Père Pain ? Que se passe-t-il ?

— C’est une prise d’otage ma fille.Hélas... Dans quel monde vivons-nous.

— Toi la pouffe, assis avec les autres !

— Mais enfin monsieur ! Je suis une écolo-touriste Suisse !

— Ta gueule la bitnik ! glapit un semi-chauve grassouillet, très impoli lui brandissant un pistolet au visage. Je suis d’une humeur exécrable… Ça fait trop longtemps que j’attends ce moment !

— Mais enfin… commença Sylvie.

— Ce sont des voleurs, expliqua le père Pain.

— Des voleurs ? Ils volent quoi dans une église ?

— Elle va se taire la pimbêche avec son accent ridicule ?! beugla le professeur Syzygy. Creusez Cécile !

— Je creuse professeur mais c’est dur… Ces dalles ne bougent pas !

— Ce n’est pas un travail pour une jeune femme ! s’indigna Louise.

— Jeune, jeune… Elle n’est pas si jeune que ça, d’abord, corrigea le professeur.

— Quel goujat ! dit Louise, scandalisée.

Cécile s’appuya sur sa barre et s’épongea le front.

— Professeur… commença-t-elle, visiblement piquée.

— Mais quoi ? On n’y arrivera jamais… Donnez-moi cette barre… Je vais tout péter !

Le professeur se mit à donner de grands coups sur les dalles du sol. Effrayé, Pif vint se blottir dans les jambes de Sylvie.

— Professeur ! Vous êtes fou, dit Cécile. Vous allez vous faire péter le caisson ! Ce n’est plus de votre âge !

— Je m’en fous !

— Professeur, soyez raisonnable !

— Merde !

— Il est complètement barge, murmura Sylvie.

— Un fou. Je l’avais repéré en été… Il avait fait un repérage minutieux en se croyant discret. Il avait fait une marque sur une dalle que j’ai soigneusement effacée. Maintenant, il creuse au mauvais endroit…

Les coups cessèrent. Malgré le vacarme, les mots du père n’étaient pas passé inaperçu.

— Qu’est-ce que vous dites ? Mais c’est… Ce n’est pas la bonne dalle ?

— Je ne dirai pas un mot ! dit bravement le prêtre.

— Mais je vais le faire parler moi, le pervers !

— Professeur ! s’interposa Cécile. On avait dit pas de violence. On devait procéder en douceur et nous voilà avec une prise d’otage sur les bras.

— Laissez-moi faire. Je gère !

— Qu’allez-vous faire d’eux ? s’inquiéta Cécile.

— La crypte est là pour ça !

Cécile en resta bouche-bée d’effroi.

— Vous êtes avec moi ou contre moi, mon amie. Faites votre choix ! lança le professeur d’un ton glacial.

— Mais enfin…

— La fortune et la gloire !

— Et votre conscience ? glissa le curé.

— Hein ? Pff ! Dis-moi où c’était ? La marque !

— Je ne dirai rien ! Pas un mot ! fit bravement le père.

Lentement, le professeur leva la main, s’apprêtant à frapper l’homme saint sans vergogne. Mais le tonnerre s’abattit sur l’église. C’était une véritable tornade qui venait de s’engouffrer dans le fracas des battants sauvagement ouverts. Une ombre gigantesque s’allongea dans l’entrée, toute l’assistance resta pétrifiée de stupeur.

Était-ce lui ? Cela pouvait-il être lui ? Le… enfin vous voyez de qui je veux parler. Le père Pain se signa trois fois, signe d’une grande émotion.

— Bordel, c’est un pays de fous, murmura Cécile.

— Sainte mère de Dieu, se signa Louise.

— On est foutus, dit Cécile, tremblante, craignant l’irruption de la police.

— Merde alors ! Jamais tranquille, grogna le professeur, empoignant son pistolet.

L’ombre inquiétante se précipita, bondissante, faisant des enjambées inhumaines et soudain, un hurlement :

— Asile ! Asile ! Je demande asile !

— Doc, c’est vous ? balbutia le père Pain.

— Tu croyais que c’était qui ? La population veut me lyncher ! Asile ! Asile !

— Vous n’êtes pas catholique ! protesta le père.

— Je m’en fous. Je suis trop jeune pour mourir !

— Doc ? Mais enfin… commença Sylvie.

— Vous êtes vraiment docteur ? demanda Cécile, soudain inexplicablement émoustillée par cet homme sauvage, diplômé, burné et surtout "soignant".

— Ouais… Enfin… pour les minutes qui me restent à… commença Doc qui s’interrompit dans la contemplation de la belle Cécile, toute sourire.

Oui, Doc faisait un certain effet aux femmes, surtout les quarantenaires.

— C’est fini oui, ce cirque ! hurla le professeur. Assis avec les autres ! C’est une prise d’otage, bordel !

— Hein ? s’étonna Doc.

— Assis ! Cécile, allez fermer les portes et barricadez-les. On commence à être trop nombreux ici ! Ce n'est pas une église mais un hall de gare !

— Mais professeur…

— Cécile, bougez-vous le…

— Oui, oui… Voilà… Vous êtes impossible vous savez !

— Je sais… Je sais.

Le professeur se passa la main sur le front, contemplant les dalles du sol. Il se tourna vers le père Pain.

— Dites-moi où se trouve la marque que j’avais faite !

— Rien ! Je ne dirai rien ! Vous n’obtiendrez rien de moi ! s’énerva le père.

— Tu cherches l’entrée de la crypte ? glissa Doc, avec son fameux sourire en coin.

Le professeur sursauta et se tourna vers lui.

— Mais qui tu es, toi ?

— Celui qui sait tout ! Le Doc !

— Tu sais tout ? Prétentieux !

— Moi je lis les livres au lieu de les brûler !

— Il me rejoue la scène d’Indiana Jones, fit le professeur, esquissant un sourire, amusé de l’impertinence gouailleuse du Doc.

— Il y a vraiment une crypte ici ? demanda Cécile, revenue de l’entrée, toute chamboulée.

— Bah ouais… Les templiers… commença Doc avec perfidie, s’amusant beaucoup.

— Mein Got ! s’étrangla le professeur.

— Il y a une crypte ? dit Cécile.

— Je sais où il faut soulever une dalle… Mais faut qu’on discute un brin… Pourparler ! Pourparler !

— Cet homme me plaît ! dit le professeur. Je sens qu’on va s’entendre !

— C’est le diable ! dit le père Pain, dégoûté.

— Mais enfin Doc, vous n’allez pas aider ces voleurs ? s’indigna Sylvie.

— Je sauve ma peau. Chacun sa merde ! Je ne veux pas finir buté dans cette église.

— Venez par ici, mon ami, fit le professeur, joignant le geste à la parole. Discutons !

Les deux hommes s’éloignèrent du groupe et entamèrent une âpre discussion avec force gestes des mains. La situation sembla un instant se tendre, le professeur braquant son pistolet sur la tempe du Doc, mais bientôt les deux hommes riaient comme larrons en foire, se donnant l’accolade.

— File-moi ta barre, je vais te montrer ma poule, dit le Doc, s’emparant du levier.

Le professeur marqua une hésitation et recula d’un pas.

— T’as pas confiance en moi, prof ?

— Je n’ai confiance en personne !

— Professeur, on peut lui faire confiance, je le sens, intervint Cécile.

— Si on ne peut pas faire confiance à un Doc, alors à qui ? Je vous le demande ! dit Doc.

— C’est vrai ça, admit Cécile.

— Cécile, taisez-vous ! Vous me fatiguez !

— J’ouvre et vous verrez bien si c’est du flanc !

— Laissez-le faire, professeur. Plus vite on a fini, plus vite on est parti.

Le professeur médita, marmonna, marcha de long en large. C’était la peur de réussir, le mal Français fatidique. Il touchait au but mais hésitait à emporter la décision.

Soudain, il se tourna vers Doc, menaçant.

— Pourquoi la population veut te lyncher ?

— Des broutilles… Tu connais la vindicte populaire… Une plaie, des médisances, des ragots, des calomnies...

— Non, raconte !

— Qu’est-ce qu’on vous reproche, Doc ? demanda la curieuse Cécile.

— Mais rien !

— Je n’ai plus confiance ! fit dramatiquement le professeur, soudain sur la défensive.

— Mais bordel, tu le veux le magot des templiers ? Tu le veux ? s’énerva Doc, frappant du levier sur le sol.

Tout le monde se figea au son que fit le coup. Doc frappa alors les quatre coups du destin qui résonnèrent d’une manière non équivoque. Manifestement, il y avait un vide sous la dalle que venait de frapper le médecin des corps et des âmes.

Le professeur se précipita.

— Ah, tu as entendu l’appel du destin ? demanda Doc, narquois.

— Recommence !

De nouveau un coup sonore.

— C’est là ! Ça t’attends depuis des siècles ! À portée de main !

Faisant fi de toute prudence, le professeur remit son pistolet à Doc, s’empara du levier et s’affaira comme un possédé sur la dalle. Doc en profita pour s’approcher de Cécile.

— Tu fais quoi avec ce con, ma beauté ?

— Heu… gloussa la belle toute rougissante.

— Nan parce que c’est Orangina le mec, il faut lui secouer la pulpe du fond.

Cécile et Doc partirent dans un fou rire qui consterna le père et surtout Sylvie qui sentait monter une colère incompréhensible.

Le professeur poussa un grognement et une dalle épaisse, pesant le poids de la faute de l’humanité se souleva lentement grâce à la force démultipliée par le bras de levier. Donnez-moi un levier et je soulèverai…

Y avait-il une crypte ? Un trésor fabuleux ? La mort au bout du chemin ?

Annotations

Vous aimez lire docno ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0