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Tandis que le père Pain et Sylvie se hâtaient, d’une manière toute relative, le Doc étant un impie pour l’un et rien en réalité pour la belle qu’un type croisé par hasard. L’ecclésiastique ménageait son souffle, l’écolo-militante cinéaste avertie, tentait de limiter le bouger par la fluidité de sa foulée, que devenait le vrai héros de cette histoire en réalité, Pif ?

Le chien avait regardé dubitatif cette agitation injustifiée et fatigante à souhait et avait décidé de s’en tenir à sa position première, en station face au vitrail de la bénédiction Rosarienne (symbolique templière que personne n’avait relevé, sauf peut-être...), non loin du reliquaire de Gideon le Cagneux, éclairé par une lampe à huile en cuivre ressemblant comme deux gouttes d’eau à la lampe du génie de Saladin, reliquaire enfermé dans une fiole en cristal de Bohème ciselée, contenant une dentelette et un fragment de clavicule du quasi-saint, d’une valeur inestimable pour un canin, sinon en symbolique pure à la rigueur.

Pif, qui avait une envie folle de croquer cet os appétissant, se pourlécha les babines, bailla et se coucha la tête posée sur les pattes avant. Bien vite il ferma les yeux et ronfla, car la frustration n’avait plus de prise sur lui, ayant vécu à la rue pendant des mois, il savait se passer de tout et se réfugiait dans le sommeil à défaut d’autre chose. La nature est bien faite et permet d’endurer une vie pourrie pendant très longtemps.

Il rêva. Car les animaux, bien que n’ayant pas d’âme, sont capables de rêver (sic). De quoi rêva le bon Pif ?

De ce putain de trésor des templiers, bordel, qui est là, presque sous le chœur et qui ne demande qu’à être déterré… On se pèle en hiver sans chauffage à cause du prix exorbitant du courant et du gaz et on pourrait vivre comme des nababs avec des putes de luxe qui vous trouvent beau comme un soleil et vous asphyxie de bisous… Heu pardon… Je m’égare… Le froid probablement… La misère Française est une source inépuisable de frustration.

Reprenons… Le chien rêva d’une gamelle de croquettes et d’une place au chaud pour digérer. Mais un homme, lui, rêvait du trésor, un homme sombre, un homme inquiétant comme tous ceux qui pensent qu’ils ne sont pas à la place qu’ils méritent d’occuper et se consument de regrets.

Cet homme c’était le fameux le professeur Syzygy, homme machiavélique et ambitieux, petit, bedonnant, dégarni sur le dessus du crâne, petites lunettes cul de bouteille des types qui ont passé trop de temps à lire des fadaises, blafard à force de rester enfermé au lieu de sortir courir la gueuse. Le genre qui peut s’intéresser à un débris de parchemin disant : « le thésaurus des preux Chevaliers Templiers, nichoit à l’emplacement qu’une croix illumine au solstice d’été par le vitrail du sieur Gideon le Burné en l’église de la place de la Concbes. »

Qui d’autre pourrait prêter la moindre valeur à un truc pareil ? Qui ? Un pauvre homme prêt à saisir sa chance, en réalité prêt à tous les sacrifices, plutôt que de continuer son existence inepte ?

Le hasard (ce qu’il appelait pompeusement ses recherches) l’avait amené de bibliothèques poussiéreuses en caves humides et en greniers infestés d’araignées, à la recherche « du » texte manquant, dans sa quête de gloire et fortune. De livres pourris en manuscrits moisis tombant en poussière, la goutte au nez, accablé d’allergie aux acariens, il était tombé sur ce message laconique dans les chroniques du sieur Gaspard le Puant, tué en s’empiffrant de dates pourries tandis qu’il faisait le siège de Saint-Jean d’Acre.

Depuis, il en avait perdu le repos, ne pensait qu’à ça jour et nuit… Mais comment fouiller et déterrer le magot au vu et au sus de tous dans un lieu public ? Dans cette putain d’église avec tout le remue-ménage qui s’y faisait et ces bigotes toujours à épier ? Comment ?

C’est ainsi qu’un plan avait émergé de son esprit puissant. Il avait recueilli Pif et l’avait dressé patiemment à ouvrir les portes et à venir se poster dans l’église à un endroit précis avec le concours d’un sifflet à ultrasons et l’aide d’un collier électrique : un simple conditionnement Pavlovien, la science à l’aide de l’ambition. Non ce n’est pas de la cruauté envers les animaux ! C’est pour la Science, on vous dit ! C’est une expérience scientifique !

La finalité de tout cela ? Utiliser la superstition sur les esprits simplistes de la région, qualifiés d’« agricoles » par les Parisiens et faire fuir les derniers paumés fréquentant encore l’église, pour laisser le champ libre à une exploration et trouver la crypte.

Car forcément le trésor se trouvait enterré dans une crypte secrète, marque de fabrique des Templiers qui ne brillaient guère par l’imagination mais par l’or accumulé on ne sait d’où.

— Mais le curé, le père Pain ? avait demandé l’assistante du professeur Syzygy, la dévouée Cécile.

— Le cureton… Tous des dépravés, la conscience noire de crimes imaginaires ou réels… Ce sera le premier à s’épouvanter.

— Vous croyez ?

— Je le subodore ! prophétisa Syzygy.

Cécile, fit la moue. C’était une femme dans la quarantaine, svelte, blonde, jolie, sapiosexuelle inconditionnelle, cultivée mais manquant d’assurance et se sous-estimant beaucoup et surtout grande rêveuse.

— Mais enfin professeur, comment voulez-vous que nous fassions des « travaux » dans cette église ?

— Il suffit d’une pioche pour soulever quelques dalles du sol ! Vous n’aurez aucun mal…

— Moi ?

— Cela ne peut être moi, ma chère.

— Mais…

— Vous savez bien que j’ai horreur de me salir les mains. Je suis un intellectuel ! Rappelez-vous que vous empochez vingt pour cent du magot quand même !

— Certes… Cependant…

— J’ai fait les repérages, j’ai scrupuleusement noté l’emplacement de la croix au sol et marqué la dalle avec une entaille le vingt et un Juin… et croyez-moi j’avais mieux à faire que poireauter dans cette église miteuse ! Je hais la province !

Cette conversation ténébreuse se tenait dans le vieux break Citroën du professeur, garé dans une rue adjacente avec vue sur l’entrée du bâtiment. Depuis son renvoi, il y avait maintenant presque un an, de l’école huppée dans laquelle il enseignait aux cancres de la haute bourgeoisie, une histoire déplorable, une cabale montée de toute pièce, il n’avait certes pas les moyens de s’acheter la voiture électrique qui va bien. Le must-have. Cependant si le plan marchait…

— Cécile, êtes-vous toujours avec moi ?

— Je le suis professeur, même si je pense que vous auriez dû chercher un nouveau poste plutôt que de vous lancer dans cette aventure...

— L’enseignement ? C’est fini ! J’y gâche mon talent !

— Mais si nous ne trouvons rien ici ?

— Le trésor est là, je ne sens ! La roue tourne.

— Je pourrai reprendre mon travail d’assistante médicale… si seulement…

— Quoi ?

— Avez-vous des sentiments pour moi, Jean ?

— Mmmm… Nous n’avons pas le temps pour la bagatelle, chère amie !

À ce moment, Louise la fripée, arriva à petits pas et entra dans l’église.

— Bordel, encore la vieille, grommela le professeur.

— Le chien ne suffira pas, je le crains.

— Il suffira !

— Vous prenez ces gens pour des demeurés ?

— Ils le sont ! Ils ont voté deux fois pour M le maudit !

— Mais enfin…

— On peut faire gober n’importe quoi à ce peuple dégénéré… Des fins de races.

— Vous êtes agaçants par moments, savez-vous ?

— Parce que je n’ai pas la langue de bois ?

— Parce que vous n’êtes qu’un réactionnaire aigri !

— Moi ?

— Vous !

— Cécile, vous me décevez beaucoup !

— Pff !

Oui, la vie est dure pour les grands esprits. La médiocrité ambiante les étouffe et les empêche de s’épanouir. Ainsi va le monde.

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