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Bien décidée à faire triompher le droit et le juste, fervente défenderesse des droits animaux, de la nature et de l’écologie, Sylvie se précipita vers le père Pain.

— Vous n’allez rien faire et laisser ce dingue de Doc maltraiter cette pauvre bête ?

— Que faire ? Cet animal me perturbe tant… J’en perds le sommeil…

— Mais enfin, il va rouler sur ce chien !

— Mais non… Le Doc est incapable de nuire à quoi que ce soit de vivant… enfin volontairement.

— Vous semblez bien sûr de vous !

— Il est ainsi fait. Le mal sort de sa bouche, mais il ne peut s’empêcher de faire le bien. C’est un damné, sa vie est un purgatoire.

Le père Pain semblait alors habité d’une émotion ardente confinant à la folie.

— Éloignez-vous de cet homme… Sinon il vous entraînera dans son désespoir. Il connaît la vérité.

— Mais de quoi parlez-vous ?

— Allez, mon enfant.

Le père Pain semblait chercher quelque chose. Ses yeux ne voyaient plus le monde réel, plongés dans un autre univers, il était absent. Sylvie le considéra comme dément, ainsi que tous les Français et se précipita vers la sortie. Sur le parvis elle s’attendait à constater un drame, un attentat odieux contre l’innocence canine. Elle resta interdite en voyant le Doc faire monter l’animal à l’arrière de sa voiture. Le chien galeux ne protestait nullement et sagement s’allongea sur la banquette.

Sylvie rejoignit Doc.

— Mais enfin, tu vas faire quoi de cette pauvre bête ?

— Je vais le conduire à l’antenne locale de la SPA. Je connais madame Truche, une mémère à chiens. Elle s’en occupera. Le laisser ici avec ces bigots mystiques c’est pas possible.

— Ah, lâcha Sylvie forcée d’admettre que c’était une bonne solution.

Doc fonça à travers le désert champêtre ponctué de champs s’étendant jusqu’à l’horizon, séparés de bosquets sombres, une sonate de Beethoven en fond sonore se faisait entendre. Elle se retourna vers Pif et le trouva parfaitement serein. Elle regarda Doc : il pianotait sur son volant au rythme de la musique. Totalement dépassée, elle sortie sa gourde en feuilles de coco, se servit dans son gobelet pliant en cellulose recyclée et but. Elle se surprit à se sentir parfaitement apaisée, malgré le silence qui régnait. Nul besoin de parler, d’entretenir une conversation sans la moindre gêne.

Le Doc bifurqua et entra dans une forêt profonde. Des nappes de brumes se languissaient sur la chaussée brillante d’humidité. Des arbres dénudés, tordus, moussus, enchevêtrés à perte de vue. Aussitôt une sensation d’oppression envahit la belle brune.

— Cet endroit me fiche des frissons, murmura-t-elle.

— La forêt maudite, fit le Doc laconique.

— Hein ?

— On risque de la voir.

— Qui ?

— La femme spectre qui hante le coin. Pays de merde.

— C’est pas sérieux.

— Bah si.

— T’es un peureux en fait ! Un pétochard !

— Moi peureux ? Un mec de mon calibre ?

— Ouais !

— Tu auras peur ! Tu auras peur… marmonna le Doc, paraphrasant Yoda, d’une voix grave inquiétante.

Mais Sylvie n’avait pas la culture Star Wars. C’était une femme mature pratique, alors que le Doc était resté un ado attardé, toujours regardant l’avenir et jamais à ce qu’il faisait, comme Luc… Skywalker, pas le Saint.

Des formes étranges semblaient danser dans la lueur des phares. Sylvie écarquilla les yeux. Se pourrait-il que… Non, on était dans le monde réel…

Brusquement, la voiture fit une embardée et Sylvie poussa un petit cri.

— T’es dingue ou quoi ?

— Un hérisson ! Pas envie de dégueulasser la voiture !

— On a failli sortir de la route !

— Mais non. Pff !

— Si !

— Non, je te dis. Je suis un driver !

— Prétentieux !

— Moi prétentieux ? Retire ça !

— Non !

Sylvie et Doc se regardèrent. Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire à voir sa tête.

— Regarde la route espèce de malade !

— T’as peur, hein ?

— Oui, de ta façon de conduire, pas d’un fantôme !

— Peureuse !

— T’es un vrai gosse en fait ?

Très satisfait, le Doc souriait. Enfin il entra dans le domaine de la SPA. Sans perdre un instant, il sauta hors de l’auto et en fit descendre Pif. Cela sentait le chien, ou plus précisément les déjections canines.

Se bouchant le nez, Doc alla à l’accueil et s’impatienta de voir l’endroit désert.

— Madame l’autruche ! lança-t-il. Y-a quelqu’un ?

Un bruit de pas sabotés se fit entendre. Une femme ronde, cheveux bouclés, visage mignon apparut, entourée de chiens jappant.

— Doc ? C’est Truche ! Pas Autruche !

— Autruche c’est plus marrant.

— Cela ne fait rire que vous. Qu’est-ce que c’est que… Encore lui ?

— Vous le connaissez ? demanda Sylvie, désignant Pif.

— C’est un récidiviste de l’évasion.

— Il faut le coller au frigo ! fit le Doc, repensant au film « the great escape » de Richard Attenborough de 1963, mais madame Truche, ni Sylvie ne connaissaient ce film et elles le regardèrent avec circonspection.

— Où l’avez-vous retrouvé ?

— Il hante l’église, le père Pain est complètement chamboulé. Il croit que c’est mystique, expliqua Doc.

— Il n’a pas forcément tort, fit madame Truche pensive.

— Mais enfin vous ne croyez tout de même pas à… commença la cartésienne Sylvie.

La mère Truche se tourna vers elle, fronçant les sourcils.

— Vous ignorez tout de la région, vous !

— C’est une Suissesse, faut l’excuser, fit Doc, amusé.

— Ah d’accord, fit Truche, papouillant le pauvre Pif.

— Faites le piquer, il est trop vilain, c’est une offense au bon goût, fit Doc, s’en allant.

— Vous devriez l’adopter Doc, ça vous rendrait peut-être gentil, lança madame Truche.

— Je suis gentil ! Très gentil ! Trop gentil !

— Cet homme est insupportable. C’est vous sa nouvelle poule ?

— Mais… Non ! s’écria Sylvie. Je suis venue faire un reportage sur la chasse à courre de la baronne de la Conches… Je milite pour la suppression de cette « tradition » ignoble et rétrograde

— Ces pourritures de riches ! Ils sont odieux ! Vous avez de la chance d’en être sortie entière.

— Peuh… une bande de snobinards…

— Ils ont le bras long, méfiez-vous.

— Ah… fit Sylvie circonspecte.

— Et vous traînez avec Doc. Plus snob que lui, tu meurs !

— Il a eu la gentillesse de me ramener à la gare et chemin faisant…

— Ouais… Méfiez-vous de cet homme ! Méfiez-vous !

— Mais…

— Il y a quelque chose de pas naturel chez lui… C’est comme s’il voyait des choses invisibles…

— Vraiment ? Mais c’est tout simplement qu’il est attentif et observateur...

— Non ! Vous ne savez pas ce qu’il se passe ici… Les choses ne sont pas aussi simple que ce qu’elles paraissent.

Sylvie songea qu’elle était tombée dans un pays de demeurés superstitieux et préféra ne pas relever. Elle était lasse, avait hâte de se reposer à l’hôtel, dans un bon bain délassant, ou peut être un spa.

Elle rejoignit Doc qui s’impatientait à l’attendre.

— Voilà, voilà, fit-elle un peu gênée. Tu crois qu’ils auront des chambres à l’hôtel ?

— Forcément, c’est la morte saison.

— C’est quoi comme hôtel ?

— Une ancienne abbatiale restaurée avec goût. C’est très… gothique et en même temps hipster.

— En ville ?

— Non, c’est à quelques kilomètres, dans un domaine… Tu vas voir, c’est… Ça vaut le coup d’œil.

Le Doc démarra en trombe et fit voler le gravier. Sylvie eut le temps d’apercevoir madame Truche conduisant Pif vers un box. Elle eut l’impression que l’animal, très triste la regardait avec un air de reproche. Cela l’attrista.

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