Rumeur (3)

6 minutes de lecture

Un homme se tenait debout face à une assemblée. Vyrian sut immédiatement de qui il s’agissait. L’Historian avait les mêmes yeux vert gris que son fils, la même chevelure de jais et le teint pâle. Seules les rides soucieuses qui plissaient son front et sa barbe de plusieurs jours les différenciaient. Autrement, Almarran était une version plus âgée de Nick. L’un des membres du jury, un homme las au crâne dégarni prit la parole.

— Professeur De Lastys, connaissez-vous la raison de votre convocation ?

— Non, en quoi puis-je aider les autorités publiques ?

— Pour tout vous dire, vous nous ennuyez plus que vous ne nous aidez.

— Je vous demande pardon ?

— Ne prenez pas cet air surpris ! D’étranges rumeurs circulent à votre sujet, ou plutôt au sujet de votre fils. Que faisiez-vous pour ne pas vous en être rendu compte ?

— J’étais…

— Peu importe ! Le fait est que vous êtes accusé d’avoir cloné votre fils. Vous comprenez que la situation dans laquelle vous nous mettez est quelque peu inconfortable. Nous tentons de lutter contre l’utilisation abusive des clones et des hybrides et nous apprenons que l’un de nos plus brillants chercheurs a cloné son enfant. Cette rumeur a pris des proportions démesurées. C’est avec regret que je me vois obligé de vous retirer du projet Trimondes.

— Quoi ?

À l’évocation de cette sentence, Vyrian tendit l’oreille, plus concentré que jamais. Il comprit que Nick devait faire de même, lorsqu’il entendit un coup contre la porte. La projection la retraversa et le scientifique le vit se masser la tempe. Il avait dû essayer de se rapprocher de la fissure pour mieux entendre la conversation et s’était cogné. Les joues du jeune homme s’empourprèrent et Vyrian l’entendit murmurer un juron de frustration. Étouffée par les épais battants de bois, la voix du dirigeant des autorités publiques répondit à la maladresse de Nick.

— Entrez !

Le jeune homme se crispa. Vyrian pouvait à peine distinguer le soulèvement de sa cage thoracique. La projection retourna dans la salle de réunion tandis que Nick reprenait ses esprits. Le chercheur remarqua un homme sourire, le regard rivé vers la porte. Sans se l’expliquer, Vyrian eut un mauvais pressentiment à son sujet. Il lut sur le chevalet de bureau que ce dernier appartenait au département du développement. En l’absence de réponse, le dirigeant de l’autorité publique reprit la parole.

— Des experts viendront perquisitionner votre domicile.

— Mais…

— C’est fini, professeur. Nous ne pouvons plus vous garder dans nos rangs. Aussi important que vous puissiez être pour ce projet, vous n’êtes pas irremplaçable.

— La vérité ne vous intéresse donc pas ?

— Elle ne fait aucune différence. Nous tentons de lutter contre l’expérimentation humaine et le peuple apprend que l’un des nôtres a bravé nos interdits. Vous nous discréditez. Peu importe que vous soyez coupable ou non. Que l’on vous protège ou que l’on vous renvoie, le résultat est le même : le peuple se sent trahi. Je suis désolé, mais il n’y a aucune solution. Il faudrait des preuves pour vous innocenter. Cependant, vous êtes l’un de nos meilleurs scientifiques, vous avez accès à tout le matériel nécessaire pour effacer d’éventuels indices. Quant à faire une enquête en interne, comment être sûr que les employés ne soient pas corrompus ? Je suis navré, Almarran. Croyez-moi, cette décision n’a pas été facile à prendre. Nous avons eu de nombreux débats avec les autorités médicale, écologique, d’innovation et de développement. Si nous voulons continuer de défendre nos valeurs, nous devons être irréprochables. Le parti d’Yvias est chaque jour plus puissant. De nouveaux clones et hybrides naissent sans cesse. Que ce soit par désespoir, par folie ou que sais-je, les habitants espèrent parvenir à mieux s’adapter aux conditions climatiques. Aucune donnée n’a jusqu’à présent validé cette hypothèse, mais une chose est sûre : tous les mutants créés appartiennent à Yvias. Nous craignons qu’il ne constitue une armée et ne nous attaque. Nous ne pouvons prendre le risque de lui fournir une excuse.

La réunion prit fin et Almarran quitta la salle en trombe. Les autres membres sortirent à leur tour. Certains visiblement confus, tandis que d'autres poursuivaient le débat à voix basse.

— Si la rumeur est vraie, il y a un espion au sein du projet Trimondes. Comment cette information aurait-elle pu fuiter dans ce cas ?

— L’information vient d’Yvias lui-même.

— Comment a-t-il pu l’apprendre ?

— C’est une vieille connaissance d’Almarran et un scientifique tout aussi réputé. Mais il a démissionné suite à des divergences d’opinion.

— Il s’est fait trahir par son ancien ami ?

— Il est plus probable qu’il l’ait espionné sans qu’Almarran ne le découvre.

— Et qui est cette Ehmra, mentionnée par Fara lorsqu’elle vous a demandé de l’aide ?

— Ehmra est la femme d’Almarran.

— Si je suis bien, les scientifiques Newt, Stein et Willis se sont servis de vous pour contacter Almarran et son équipe ainsi que Dallan et Fara pour mettre au point le projet Trimondes. Suite à ça, de jeunes Historians ont changé de mondes. Qu’est-il arrivé à tous ces autres enfants ? Où se trouvent-ils ? Sont-ils élevés par d’autres passeurs ? Y-a-t-il d’autres membres du clan des Ombres qui s’occupent d’eux ?

— Ils ont été équitablement répartis entre les mondes. Certains Numériciens, comme Fara et Dallan, les ont élevés. D'autres les ont donnés à des personnes plus compétentes.

Vyrian regarda l’homme pour lequel il avait eu un mauvais présentiment durant la réunion. L’Historian sorti en dernier et s’arrêta devant la porte. Le scientifique imaginait la détresse du jeune homme pris au piège, n’ayant d’autre protection que l’épaisseur de la porte de la salle. Le chercheur comprit que l’inconnu avait démasqué Nick. Au bout d’un moment, il tourna les talons. Nick patienta quelques instants avant de sortir de sa cachette. En tournant la tête, il vit une carte de visite dans la pochette du planning des réunions accrochée à la porte. Il s’en empara. Elle ne contenait qu’une adresse. Il n’y avait ni nom, ni moyen de contacter son propriétaire. Nick la retourna et put y lire : « Retrouve-moi. Je répondrai à toutes tes questions. »

Vyrian ne savait qu’en penser. Il n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage, qu'une voix familière interrompit ses pensées.

— On m’a dit que tu voulais me voir.

Surpris, le jeune homme rangea précipitamment la carte dans une de ses poches et se retourna. Son père se tenait devant lui. En les regardant, leur lien de parenté était flagrant. Devant l’air gêné de son fils, Almarran prit les devants.

— Tu as tout entendu ?

Le jeune homme répondit par un silence éloquent. Almarran poussa un profond soupir.

— Écoute…

Nick l’interrompit.

— C’est vrai, ce qu’on raconte ? Est-ce que je ne suis qu’un double ?

Son père chercha les mots justes.

— Quelle différence ? Nous t'avons conçu et élevé avec amour. N'en doute jamais. Quoi qu'il advienne, tu es et tu resteras notre fils.

Almarann vit Nick se crisper. Il chercha à rectifier ses propos, mais rien ne lui vint. Au bout de quelques secondes, le jeune homme reprit la parole.

— Pourquoi ? Qu’est-il arrivé à l’original ?

— C’est confidentiel.

— Ça a toujours été ta réponse favorite lorsque tu ne parviens pas à t'expliquer.

— Ce n’est pas aussi simple.

— Est-ce que mère était au courant ?

— Pas dans un premier temps, puis elle a découvert la vérité.

— Comment peut-on rester avec quelqu’un qui nous a trompés ?

Sur ces mots, Nick se dirigea vers la sortie. Au loin, son père répondit à la question.

— Elle n’est pas restée pour moi, mais pour toi. Tu ne méritais pas de grandir sans mère.

La souffrance de cette famille faisait écho à celle que Vyrian avait quittée quelques heures auparavant dans le Monde Mythique. Almarran laissa son fils s’éloigner et resta seul dans le couloir. Une fois à l’extérieur, Nick sortit la carte de sa poche et la relut avant de se mettre en chemin, l’air déterminé.

Annotations

Vous aimez lire Neru ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0