Le poussin gris s'ébroua, déçu. Encore une fois, son frère remportait la palme du meilleur plongeur ! Au loin, leur mère pépiait derrière le reste de la fratrie, qui s'obstinait à nager dans la mauvaise direction. Sagement resté à l'abri du pont, le petit gris les voyait s'agiter dans le reflet de l'église. Il faisait beau, ah qu'on était bien sous le pont !

La vie s'écoulait tranquillement, au fil de l'eau, rythmée par le soleil et la pluie. Sans jamais trop quitter son petit pont, le petit gris grandissait, s'emplumait, une belle vie de poussin ! Mais toutes les belles choses ont une fin, et lorsqu'un soir un vélo un peu imprudent heurta sa mère, il se retrouva tout seul sous le pont.

N'osant tout d'abord pas quitter son familier abri, désorienté et abandonné, le petit gris se retrouva bientôt poussé par la faim. Timidement, il hasarda une palme hors de son couvert, puis la deuxième, et se retrouva bien vite dans un canal inconnu, beaucoup plus large et rempli de graines aquatiques, un vrai festin ! Sur lequel, n'écoutant que son estomac, il se précipita.

Une ombre lui fit bientôt lever les yeux : un énorme oiseau gris cendre le contemplait d'un air curieux, l'air de lui demander ce qu'il faisait là. Terrorisé d'avoir été surpris en flagrant déli de chapardage sur les terres d'un autre oiseau, épuisé par ses récents malheurs, le petit gris fondit en larme. Le héron, attendri, le pris sous son aile ; mais les hérons sont carnivores et petit gris ne l'était pas, il lui fallait trouver une nouvelle famille pour devenir un oiseau épanoui.

Une fois reposé et conforté, petit gris repartit explorer les canaux de la ville dans l'espoir de trouver ses semblables. Il rencontra plusieurs autres volatiles, un cygne orgueilleux mais bête comme ses pattes, quelques mouettes qui picoraient dans un paquet de chips abandonné, une ouette à l'oeil inquisiteur ; il passa plusieurs nuits sous des ponts étranges, bien plus hauts et bruyants que son pont natal ; il échappa même de justesse à un chat un peu trop gourmand.

L'espoir de retrouver une famille commençait à l'abandonner lorsqu'un beau jour retentirent des pépiements familiers. Il pédala de toutes ses forces jusqu'à la source de bruit et se retrouva encerclé par une portée de poussins tous plus curieux les uns que les autres. Petit gris se trouva ainsi un nouveau pont où grandir tranquillement, triste parfois à la pensée de sa famille, mais heureux d'avoir retrouvé d'autres oiseaux avec qui s'entendre !

Inspiré par les canaux néerlandais, où foisonnent sous les ponts des oiseaux et des oisillons tous plus mignons les uns que les autres =)