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 La vision du petit garçon se troubla alors qu’il se noyait dans les yeux vermillons, s’emparait du poignet immaculé, embrassait la plaie et en lapait goulûment le liquide avec une avidité surprenante. La magie de la créature féérique se déversa dans la gorge de l’enfant, puis dans son estomac en vrombissant tel un torrent avant de se déchaîner dans tout son organisme, de la pointe du cheveu jusqu’au plus petit orteil, dans une formidable explosion d’énergie dont les vibrations ne furent que de bonne augure pour Dragomir. Les joues du petit reprirent quelques couleurs et un éclat rougeoyant naquit furtivement dans les yeux marron, emplis d’une vie nouvelle. Le féétaud arracha son bras des doigts plus vigoureux de son jeune tortionnaire, déçu par la brièveté de sa boisson, et referma la plaie par apposition de son autre main.

 « Tu m’appartiens désormais, et à jamais. Mais tu es encore faible. Dors en paix, je prendrai soin de toi. »

 Une lueur blanche émana de sa main gauche alors qu’elle traversait le champ de vision du petit garçon dont les paupières s’alourdirent brusquement. Il sombra dans un sommeil sans rêves et bienheureux. Passant un bras sous ses épaules et sous ses genoux, Dragomir le souleva de terre et se retourna vers la jument, une lueur amusée dans le regard.

 « Puisque tu désires tant le sauver, je suppute que tu ne refuseras pas de lui venir en aide ? J’ai besoin de quelqu’un de fort qui puisse le transporter. Qu’en dis-tu ? »

 La jument de trait gris pommelé remua les oreilles, descendit du perron et s’accroupit bien volontiers. Une invitation évidente. Dragomir déposa l’endormi sur le dos de Dana, la laissa ensuite se relever sur ses membres et la maintint par l’encolure au niveau de son épaule, en douceur et sans contrainte.

 « Bien. Il est temps de rentrer, à présent. »

 Sur le chemin du retour, Dragomir chercha, en vain, d’autres palpitations de vie. La désolation et le malheur avaient frappé le village, ne laissant plus derrière eux que de vagues souvenirs heureux partis en fumée. La gorge du féétaud se serra : une grande solitude s’abattit sur lui, la même que lorsqu’il se retrouvait à contempler les lucioles de son jardin. Il en aurait suffoqué si un coup de nez sur sa joue ne l’avait pas ramené à la réalité : Dana le fixait de ses yeux doux. La tristesse de Dragomir s’envola aussitôt, et il adressa un regard reconnaissant à la jument : il ne serait plus jamais seul.

 « Pardonne-moi, belle dame, j’étais perdu dans mes pensées. »

 Nouveau coup de nez. Dragomir vérifia que le gamin tenait bon sur le dos de sa compagne : il l’avait allongé, les bras autour du cou de l’animal, la tête à demi enfouie entre ses crins, un air paisible sur le visage. Le balancement si singulier de la croupe de la jument faillit faire tomber son fardeau, aussi l’immortel se sentit-il obligé d’apporter un soutien supplémentaire, sous la forme d’une main fermement posée sur l’épaule frêle.

 « Dis-moi, Dana, lui demanda Dragomir tout à coup, ce petit était ton jeune maître, c’est bien cela ? J’ai oublié de lui demander son nom. »

 Un souffle léger, presque imperceptible.

 « Lucian ? Plutôt musical comme nom, pour un fermier. Que s’est-il passé au village ? Qu’as-tu vu ? »

 Dana agita nerveusement les oreilles et ses pas se tempérèrent lourdement sur le chemin de terre qui les emmenait vers la forêt proche. Sa queue fouetta l’air avec énergie, comme pour chasser des mouches invisibles. Dragomir lui caressa le chanfrein pour la rasséréner, dans une écoute pleine et entière des signaux corporels de l’animal.

 « Des hommes armés, tu dis ? Pas d’armure lourde, ni de bannière ? Des bandits, peut-être. Ils ont emporté tous les autres chevaux, et tu t’es enfuie ? Tu as eu de la chance, belle dame. Nous avons tous les trois eu de la chance. Non, cela ne se peut être une coïncidence. Nous étions destinés à nous rencontrer plutôt, ne crois-tu pas ? »

 Devant l’air plus que dubitatif de la jument, Dragomir ne pût empêcher un sourire en coin d’affleurer à ses lèvres pâles. Les mortels croyaient rarement au destin, et pourtant… tous les événements composant une vie ne se pouvaient être uniquement hasardeux ; Une cause entraînait une conséquence, qui elle-même donnait naissance à de nouvelles causes, et ainsi de suite. Le chemin de tout un chacun sur cette terre se trouvait tracé à l’avance depuis sa naissance. Non… depuis même les tenants de sa conception même. L’existence d’un individu se résumait à une toile à laquelle un artiste ajoutait scrupuleusement chacune des couleurs du dessin final, en suivant les lignes d’un modèle déjà tracé. Destin, hasard, coïncidence… ne relevaient que d’un seul et même concept, bien abstrait au demeurant, et cependant perceptible par les fées, seules nanties de cet art ancien.

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