1

5 minutes de lecture

 Plongé dans les ténèbres absolues, le château retenait son souffle. Un silence religieux régnait dans le patio obscur. Les innombrables fleurs qui l'habitaient s'étaient endormies pour la nuit, leurs couvertures de pétales autour de leur pistil et de leurs étamines. L'éther pur et transparent, malgré l'heure tardive, embaumait de leurs suaves parfums. Et puis, la vie scintilla : une lueur dorée, deux, bientôt des milliers s'allumèrent, comme en réponse à un signal muet. Le ballet des lucioles recommençait cette fois encore, en osmose avec les mille feux sacrés du ciel étoilé. Symphonie des yeux, du cœur et de l'esprit.

 L'ombre d'un homme, seul, se profilait à l'écart des lumières diaphanes. Ce n'était pas un homme ordinaire, en témoignait la cuillère qui tournait sans aide dans sa tasse de thé depuis quelques secondes. Non, il s'agissait d'un être que ces mêmes humains qualifiaient de surnaturel : une fée, ou plutôt un féétaud. Il était penché sur la table, qu'il dominait allègrement de sa haute taille, pour admirer la danse des insectes, fidèle, comme à chaque fois, au rendez-vous nocturne. Tout en finesse, sa silhouette évoquait la grâce et l'élégance la plus pure au monde, rehaussées par les traits délicats de son visage à peine marqué ; une peau de nacre blanc scintillant en harmonie avec la lune qui l'abreuvait de ses rayons d'albâtre, et une bouche sensuelle appelée aux baisers et à l'amour. De longs cheveux fins dévalaient son dos en cascade d'ébène ; quelques filets épars ruisselaient de ses épaules jusqu'à la naissance de son ventre découvert. La chemise à jabot cramoisie qu'il portait seyait à merveille à sa faible corpulence et soulignait le vermillon de ses yeux à demi clos.

 Trois heures passé complies, l’immortel somnolait encore ; le réveil s'était révélé particulièrement difficile, ce soir-là. La fournaise ambiante éprouvait son front et son torse, si bien qu'il dût se résoudre à défaire un à un les boutons d'argent sertis de sa veste noire à queue de pie : du col jusqu'à la taille, puis les boutons de manchette. Mais, sans fatuité aucune, et cédant aux caprices d'un été plein de vie, la créature féérique réprima cette étole par-delà la chaise en bois d'acajou, le vêtement atterrissant sans grâce sur le coussin de velours pourpre riveté d'or, dans le dos de son maître. Ce dernier ne pouvait détacher le regard des efforts effrénés des insectes pour faire la cour à leurs partenaires d’un soir, envoûté par leurs innombrables virevoltes aériennes. De temps à autre, l’essaim vrombissant conquérait les parterres voisins, en quête de meilleurs horizons. Que d’énergie dépensée pour une telle parade, songeait le féétaud de nacre et d’ébène avec un arrière-goût d’amertume. Et quelle terrible vision de les voir s’époumoner ainsi dans cet unique but : la procréation. Cependant, je ne peux m’empêcher de penser à ce spectacle comme à une exquise beauté. La beauté mortelle d’un spectacle funeste.

 Un soupir s’échappa de ses lèvres. Des formes indistinctes s’agitaient devant ses yeux, d’un lointain passé doux-amer. Elles prirent la forme de la délicieuse enfant qu’était Aurore avant que le destin ne la jette sur le trône d’Avalon. L’être magique épousait les moindres mouvements de la demoiselle, alors qu’ils virevoltaient tous deux, sourires complices aux lèvres, au rythme d’une valse endiablée.

 « Demeureras-tu à jamais à mes côtés, mon fidèle ami ? lui souffla douloureusement le vent à ses oreilles.

 — Pour toujours et à jamais », répondit la brise malicieuse.

 Le féétaud se massa les paupières du bout des pouces pour s’empêcher de verser une larme de regret. L’Aurore d’aujourd’hui ne méritait guère cet éloge. Quel sombre gâchis que tout ceci.

 Un rire de clochettes affleura à sa mémoire, aussi piquant que des milliers d’aiguilles. La créature féérique rouvrit les yeux sur une dame juvénile aux jambes interminables, au sourire benêt rempli d’attentes, aux longs cheveux de soie d'une couleur quelconque, et, au demeurant, sans importance. Leur propriétaire, il ne l’avait guère oubliée. Umbrella, la fée à l’ombrelle. Son épouse, ou plutôt ancienne épouse. Elle l’avait aidé, malgré elle, à fomenter son coup d’état contre la reine, mais aussi à creuser sa tombe. L’inconstance féminine, semble-t-il.

 Les lucioles se dispersèrent à nouveau, et les mirages de sa vie d’avant disparurent du même coup. La cuillère s’était mollement arrêtée de tourner, et la gorge du féétaud s’assécha. Ses lèvres se craquelèrent de soif, un élan de fatigue le saisit. L’homme leva les yeux sur l’astre lunaire aussi rond qu’une femme sur le point de donner la vie. L’heure était venue de se revitaliser. Suivant le rituel mensuel, la créature magique plissa et redressa les bords de son jabot, revêtit ensuite sa longue veste à queue de pie, et referma enfin un à un les boutons d’argent de sa chemise avec un soin étudié, ainsi que le devant de son manteau. Puis, il emprunta la galerie qui l’emmènerait au vestibule d’un pas pressé, impatient de quitter cet enfer estival. Il emprunta le chemin de terre au bas des marches en pierre grise du perron, contourna la fontaine centrale et s’engagea par-delà les grilles d’argent qui marquaient l’entrée de son domaine. Il s’arrêta finalement au pied d’un tertre qu’il effleura du bout des doigts ; la réaction ne se fit pas attendre : la terre se troubla et révéla un passage obscur en son centre. Le féétaud activa son glamour, aura surnaturelle qui lui permettait d’arborer l’apparence du partenaire idéal aux yeux des mortels, et franchit la trouée sans la moindre hésitation.

 En un battement de paupières, il se retrouva au centre d’un anneau de champignons dit « cercle de fées ». Deux pas plus loin, la trouée se résorba totalement, du moins en apparence. Les pâles rayons de la lune éclairaient la clairière où l’être surnaturel avait atterri, dans le silence le plus complet. Puis très vite, des hululements de chouettes se firent entendre, puis le bruit feutré d’un plumage à travers le feuillage, ainsi que les sauts précipités des écureuils, là-haut dans les branches, effrayés par son apparition soudaine. Un renard trop curieux aux yeux jaunes lumineux croisa le regard du jeune immortel avant de s’enfuir dans le sous-bois à pas de loup. Le féétaud inspira profondément l’odeur de terre humide, d’humus et d’animaux des bois. Ses muscles se détendirent, un soupir d’aise lui échappa, une larme fugace perla au coin de ses yeux écarlates. Je me sentirais presque comme à la maison, quelle paix.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Vanilumi ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0