Amboise, le 10 décembre 1955

Mon doux ami, mon bel endormi,

Te voici devant moi, dans le plus simple appareil, abandonné au repos de nos effusions clandestines. Le jour t'accueillera lui-même ; je serai déjà loin de Nous. Ne me porte pas le blâme de cette fuite. Ne m'oublie cependant pas avec une autre. Tout était parfait, lumineux et doux. Nous étions intenses, passionnés, alimentant un feu toujours plus ardent à mesure que nous franchissions cette frontière irrésistible. Nous avons incarné la tentation, et, dans le secret de cette nuit, tu fûs ma plus sublime déclaration. Tu hanteras mes pensées dans notre avenir séparé par ce voile implacable et sans pitié. Garde en mémoire nos longues confidences, nos sourires dissimulés, nos conversations publiques à double lecture que nous étions les seuls à comprendre.

La pénombre m'accompagne maintenant dans ce périple mystérieux et énigmatique que représente la Vie, rythmée par toutes ces contraintes volontaires, dans le seul but d'apaiser notre conscience trop formatée à l'uniforme. Je prends finalement conscience que la culpabilité ne me tourmente présentement que très peu. Je suis plutôt gagnée pour l'instant par cette satisfaction égoïste d'avoir cédé à la tentation de tes douces approches. Une brise de liberté nous a enveloppés et permis de nous trouver dans cette parenthèse qui demeurera intacte si nous la laissons ainsi.

Pourquoi rompre la magie ? La réalité est bien trop difficile à supporter parfois. Nous ne pourrions résister à une telle pression sociale, à tous ces jugements de conduite, comme si l'amour au visage flou se pouvait dicter des existences entières !

Pourtant, comme le quotidien s'apaiserait si nous pouvions disposer l'un de l'autre. Notre voyage serait lumière et nos étreintes toujours plus envoûtantes. Je m'en trouverais transformée, comme transcendée par ce sentiment que tu m'inspires chaque jour davantage, dans l'assurance et la confiance. Nous ne pouvons être Un, ni n'avons le droit d'être Nous. Nous nous sommes découverts bien avant de nous attirer ; nous nous sommes reconnus bien avant de nous effleurer. Je crains, si je reste, que nous nous brûlions à nous-mêmes. Et tout serait à jamais évanoui.

Ainsi, je quitte de ce pas le cocon qui nous a fait renaître, dans le seul et unique but de ne pas assister à la fin de ce renouveau que nous aurions préféré indestructible.

Pardonne-moi ces mots que je t'adresse avec peine.

Pardonne-moi mon transport à ton endroit qui, lui, ne s'en trouve que plus absolu.