Adieux

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Mon sourire s’effrite. Ma digue cède. Un cri de douleur s’élève de mes entrailles, me brûle les poumons, écartèle ma gorge et s’arrache de ma bouche qui mord mon poing.

Pourquoi t’a fait ça, Stan ? T’as pas le droit… Non, je suis Rémi. C’est toi qui n’a pas le droit de revenir. De revenir d’où tu essayes de m’enfermer, de t’enfermer, de te trahir ? Qu’est-ce que tu crois ? Que tu peux tout oublier juste comme ça ? Mais regarde-toi, putain ! Tu es Rémi, je suis Rémi. J’ai la gueule de Rémi, personne ne connaît de Stan ici ! Qu’est-ce que ça veut dire, d’après toi ? Mais ta vie alors, Stan, tes 38 ans, papa et maman, max et Nelly, putain, Nelly, tu vas l’oublier aussi ? Après tout ce que tu as vécu avec elle ? Nelly…

Le chagrin me déchire, suinte par tous les pores de ma conscience, coule de mes yeux, de ma bouche, de mon nez. Nelly…

Peut-être qu’elle n’existe pas…

Elle n’existe pas ? Regarde, Stan, regarde tes souvenirs, l’école, la soirée où tu l’as rencontrée chez JP, là où il y avait le grand mec déchiré qui n’arrêtait pas de faire chier tout le monde, quand elle est venue te parler, quand t’es sortie avec elle et que t’y croyais pas, quand t’as fait l’amour avec elle pour la première fois, même que t’arrivais pas à bander au début et que t’as raconté ça à Rémi !

Arrête…

Quand on était bien avec elle et puis quand on s’est séparé, quand t’en as chialé, que t’as essayé avec Audrey, puis Natacha mais que c’était moyen, puis quand on s’est remis ensemble avec Nelly, quand on s’est fiancé, le week-end de Pâques, dans le Relais-Chateaux que t’avais réservé pour lui faire une surprise, quand tu n’arrivais pas à te décider pour la bague de fiançailles et que t’avais été voir Sandra, quand t’a annoncé ça à papa et maman, à Maxime et à ses parents et puis quand tu t’es marié avec elle ! Tu ne vois pas sa robe rouge parce que c’est sa couleur préférée et qu’elle en foutrait partout si elle pouvait ? Tu ne vois pas comme elle était belle, comme tu étais heureux, bordel, comme l’avenir nous appartenait avec Nelly ? L’amour, les voyages, les amis, les soirées, les sorties, les concerts, les câlins, les restos… Et tous les efforts qu’on a faits pour essayer d’avoir un p’tit, hein ?…

Non, arrête, pas ça !

Pas ça ? Tu veux oublier, Stan ? Les fausses couches, les crises de larmes, les urgences quand ça saignait partout et que Nelly se tordait de douleurs ? Les examens, les allers-retours à l’hôpital, l’opération, les piqûres, les spécialistes, les embryons de la FIV et même si les premiers avaient foiré, ça allait peut-être marcher pour le dernier, Stan. Et si ça marchait pas, on aurait trouvé une autre solution, parce qu’on y croyait, putain ! Et si ça ne marchait toujours pas on resterait quand même tous les deux parce que c’est la femme de ta vie ! C’est ça que tu veux oublier ? Tu peux oublier tout ça, Stan ?

– Non, je ne veux pas oublier… Pardon Nelly, pardon Stan…

Alors tu fais quoi avec Clarisse, à lui dire que tu l’aimes, à lui dire que vas la retrouver ?

Mais qu’est-ce que tu veux faire ? Tu veux foutre en l’air cette famille, tu veux l’oublier, c’est ça ? Tu veux te barrer et chercher quoi, des rêves, des souvenirs ? Oublier Rémi, ton meilleur pote et détruire sa famille ? Broyer ses gosses ? C’est ça que tu veux ? Les gosses adorables qu’il a eus avec sa femme, qu’ils ont élevés ensemble, des gosses qui ont besoin de lui, qui ont besoin de leur père. Des gosses qui ont besoin de moi. Parce que je suis Rémi. Parce que c’est la seule chose qui existe vraiment, ici. La seule réalité qui compte, pas simplement des souvenirs… Peut-être que j’ai toujours été Rémi.

Peut-être que tu as toujours été Stan.

J’ai peur.

J’ai mal.

Je veux y croire.

Je ne veux pas oublier, Rémi.

Je ne peux pas oublier, Stan.

Tu oublieras Nelly avec Clarisse, tu oublieras papa et maman avec Raymond et Viviane, Max avec Mag, Rémi avec

Non, je ne les oublierai pas, mais je dois retrouver ma vie, Stan. Je dois m’y accrocher, je dois l’aimer. C’est pour ça que je suis encore vivant. Je dois aimer Clarisse. Je dois aimer Jules et Zoé.

Et si ça ne marche pas, si tu ne fais que leur mentir ? Et si ça marche, si c’est une nouvelle vie qui commence ? Ni celle de Stan, ni tout à fait celle de Rémi. Une autre vie. Ma vie. Notre vie.

Et comment feras-tu pour ne pas m’oublier, pour ne pas t’oublier ?

J’écrirai, Stan. J’écrirai notre histoire. J’écrirai Nelly, j’écrirai papa, maman, Max et tous les autres. J’écrirai tout. Et je leur dirai combien je les aime, combien j’aurais aimé leur dire plus souvent, combien ils me manquent. Je leur dirai que je ne les oublie pas. Je raconterai notre enfance, je raconterai notre famille, je raconterai nos vacances, je raconterai Nelly… Je raconterai tous les souvenirs de Nelly, je lui dirai combien elle m’a rendu heureux, comme elle m’a rendu fier, je lui dirai combien je suis désolé pour toutes les fois où je n’ai pas été là, pas à la hauteur, par égoïsme, par lâcheté, par orgueil, par fierté imbécile, je lui dirai pardon pour toutes nos disputes inutiles, pour tous ces moments que nous aurions pu passer ensemble et que nous avons choisis de passer chacun de notre côté, je lui dirai toute la chance que j’ai eue de la connaître et de vivre ces années avec elle, dans le bonheur et dans les épreuves, je lui dirai que j’aurais voulu que ça ne s’arrête jamais, je lui dirai comme je l’ai aimée et que je continuerai de le faire, je lui dirai comme elle restera le souvenir le plus précieux de ma vie de Stan, et l’un de ceux que je chérirai toujours, même dans ma vie de Rémi.

Et tu penseras à elle quand tu serreras Jules et Zoé dans tes bras ? Tu lui diras que tu aurais tellement aimé qu’elle puisse connaître ce bonheur un jour avec toi ?

Oui, oui, je lui dirai, à chaque fois…

Et Rémi… Tu raconteras Rémi ? Tu lui diras que c’était génial d’avoir un pote comme lui, de vivre nos années d’ados ensemble, de partager toutes nos histoires de cœur ridicules, nos histoires de cul, nos peurs de l’avenir, nos espoirs de la vie, nos délires d’escalade, de ski, de partir en vacances à deux et d’y faire mille conneries, de manquer d’y crever plusieurs fois… Et même si on a pris des chemins différents, qu’on s’est éloigné, tu lui diras qu’on ne s’est jamais vraiment oublié, que toutes ces années, que tous ces souvenirs ne disparaîtront pas quoi qu’il arrive, tu lui diras ? Tu raconteras tout ça, Rémi ?

Oui, je le raconterai, Stan…

Seul sur mon lit. Le silence.

Alors c’est le moment de se dire adieu, de se quitter ?

Non, pas de se dire adieu, Stan. Je viendrai te voir, j’ai besoin de toi. On est meilleurs potes, tu te souviens ? Tu es moi. Je suis toi.

Tu es Rémi. Je suis Rémi. Un autre Rémi…

Au revoir, Stan…

Au revoir, Rémi. Tu vas me manquer, mec.

Toi aussi.

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