Prologue

5 minutes de lecture

Roderick était chevalier depuis de longues années. Il avait servi son roi et effectué toutes sortes de missions. On avait menacé sa vie plus d'une fois et il était souvent passé à deux doigts de la perdre. Pourtant jamais il n'avait été aussi angoissé que cette nuit-là.
Il traversa la cour et pénétra dans le château endormi. Un domestique silencieux au regard alerte le guida jusque dans les appartements du roi. Dehors le grondement du tonnerre fit naître un frisson le long de son échine. Son souverain l'attendait, accompagné de l'enfant. Il s'agissait d'un bambin, d'à peine plus d'un an. Tout le monde au château savait qu'il était le bâtard du roi mais ignorait l'identité de la mère. Leur monarque conservait jalousement son secret et il était évident qu'il aimait son fils adultère autant que son héritier légitime. Roderick s'inclina devant son roi, qui tenait l'enfant dans ses bras.
- Nous sommes prêts à partir votre majesté. Les hommes attendent le signal du départ dans la cour. Cependant le temps est à l'orage. Peut-être devrions nous repousser à demain soir...
- Non, déclara catégoriquement le monarque. Mon fils est en danger entre ces murs. Il doit quitter le château immédiatement.
- Mais l'orage sire...
- L'orage n'est pas un problème, bien au contraire. Voyez-y un signe favorable de la part des dieux. Roderick s'abstint de commentaires mais n'en pensa pas moins. La divinité à l'origine de la foudre n'était pas connu pour sa bienveillance et son amour de l'humanité. Le roi passa une main dans les cheveux de son fils puis le serra contre lui. L'enfant ne disait pas un mot. Ses yeux brillaient d'incompréhension et pourtant il ne protestait pas.
- Sois brave mon fils. Nous nous retrouverons bientôt, chuchota le souverain.
Il confia ensuite le bambin à Roderick et lui fit une dernière recommandation :
- Quoiqu'il arrive durant le voyage, ne vous arrêtez pas. Ne baissez votre garde que lorsqu'il sera à l'abri du danger, dans le manoir.
Le chevalier acquiesça. Dans ses bras l'enfant remua et tendit les mains vers son père avec un gémissement. Le monarque l'embrassa sur le front puis se détourna. C'était le signal du départ. Roderick tourna les talons pour regagner la cour du château. Le petit garçon continua de gémir mais ne pleura pas. Le chevalier rejoignit cinq de ses hommes qui patientaient, juchés sur les destriers les plus véloces du royaume. Son propre cheval, un étalon noir que le roi lui avait confié pour cette mission, frappait le pavé du sabot. Il se mit en selle et installa l'enfant contre lui. Il brandit le poing et leur groupe partit au galop.
Les cinq soldats de confiance du roi se déployèrent et l'entourèrent. L'air lourd était chargé d'orage et des bourrasques de vent sifflaient à leurs oreilles. Ils quittèrent la ville et les hauteurs pour s'engouffrer dans la forêt. Les chevaux progressaient sûrement, habitués au relief accidenté. Sous le couvert des arbres, le premier soldat s'effondra. Roderick eut le temps d'apercevoir une lame plantée dans sa gorge. Il pesta entre ses dents serrées. Les assassins tendaient une embuscade ! Mais comment savaient-ils où leur groupe devait passer ? Seule une poignée de personne connaissait la mission. Qui les avait trahi ? D'autres lames fusèrent autour du chevalier, le coupant dans sa réflexion. Son instinct de combattant lui soufflait de poser pied à terre et de tirer son épée pour affronter l'ennemi.
Seulement il ne pouvait pas s'arrêter et défendre ses hommes. Le roi avait été très clair : la sécurité de son fils passait avant tout. Roderick talonna sa monture qui redoubla d'effort, l'écume aux lèvres. Derrière lui des cris étranglés et les hennissements des chevaux lui indiquèrent que ses compagnons tombaient les uns après les autres. Il se concentra pour guider son cheval à travers les arbres et semer les assassins. Un éclair déchira le ciel et la foudre s’abattit sur un arbre tout proche. Il prit feu et tomba avec un craquement sinistre, juste derrière Roderick. Le vieux chevalier n'en croyait pas ses yeux. Finalement le roi avait raison : les dieux étaient avec eux. Son soulagement fut de courte durée.
Des sifflements familiers dans l'air lui glacèrent le sang. Des flèches ! Les assassins leur tirèrent dessus ! Il se courba au-dessus du fils du roi pour le protéger de son corps et pria. Les projectiles se plantèrent tout autour de lui. Certains l’éraflèrent sans lui causer de mal, comme par miracle. Il se relâchait à peine quand une brusque douleur lui arracha un cri. Sa vision se brouilla alors que du sang chaud coulait le long de son dos. Il raffermit sa prise sur ses rênes et tâcha de ne pas perdre conscience. La pointe de la flèche s'était logée non loin de son cœur, la blessure serait fatale. Il encouragea sa monture avec l'énergie du désespoir. Alors que sa vie s'écoulait de sa blessure, une évidence s'imposa à lui : il ne pouvait pas chevaucher vers le manoir. Quelqu'un avait prévenu la guilde des assassins qu'ils déplaceraient le fils illégitime du roi cette nuit. Ce quelqu'un devait aussi connaître leur destination. Si Roderick menait l'enfant qu'au manoir alors il signerait son arrêt de mort. Il modifia brusquement sa trajectoire et guetta les assassins.
Ils ne refirent pas surface, même après de longues minutes. Le vieux chevalier fronça les sourcils. La guilde des assassins n'abandonnait pas une cible si facilement : elle la traquait sans relâche. Un nouvel éclair illumina les cieux. Roderick se dit qu'une puissance supérieure veillait bel et bien sur lui et son protégé. Il puisa dans ses forces pour chevaucher le plus loin possible et mettre l'enfant en sûreté. Il s'accorda de rares pauses pour manger. Il n'essaya pas de retirer la flèche qui lui transperçait le dos. Il avait perdu beaucoup de sang, c'était un miracle s'il tenait encore debout. Il se priva de sommeil et épuisa son cheval pour qu'il les porte loin du danger. De temps à autre le prince illégitime réclamait son père. Roderick trouva la patience de lui expliquer que le roi ne les rejoindrait pas tout de suite. L'enfant n'insista pas d'avantage.
Ils franchirent la frontière d'Alembras. Roderick tenait en selle grâce à sa volonté. La fièvre le rendait frissonnant. Il ne lui restait plus beaucoup de temps. Même si la mort se profilait il s'inquiétait pour son protégé. Il tomba de cheval alors qu'ils approchaient d'une ferme, sur le territoire d'Alembras. Roderick essaya de se relever mais ses jambes se dérobèrent sous lui et ses bras ne le portaient plus. Un homme se précipita vers lui et s'agenouilla. Le vieux chevalier l'attrapa par le bras et souffla :
- Ayez pitié, sauvez cet enfant.
Les yeux de l'inconnu allèrent du mourant au petit garçon assis sur le cheval qui observait la scène sans en comprendre la gravité.
- Il y a de l'or dans le sac accroché au cheval, ajouta Roderick. Prenez-le et en échange occupez-vous de l'enfant. C'est...très important.
Il expira dès son dernier mot, sa mission accomplie. Alors qu'il s'élevait vers le domaine des morts, il jura voir une grande femme aux yeux glacés vêtue d'une armure et le crâne surmonté de cornes rouge sang. Ses grandes ailes membraneuses noires et rouges se plièrent dans son dos lorsqu'elle s'inclina face à lui.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire MizuiroKaeru ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0