Les Malâches

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Il y eut bien un raccourci pour Nénuphar, de trouver son refuge où la chaumière l'attendait sciemment. Mais les vieux rois, les Malâches, ont qui dirait dévoré l'issue de mains épaisses et grasses. Attendant la nuit pour rendre inaperçu leur déplacement, ils sont disséminés lentement, très lentement, un pas par nuit, pas à pas vers le Ponant; logis par logis, bien en-dehors du Loredon. Une fois par pluie, ils ouvrent un œil espion, avec mission de surveiller les Faons de la Forêt.

*

Dans leurs gros assoupissements les Malâches pensent pesamment, croyant surtout n'avoir été perçus vivants. Les gosses plus espiègles ont fait pourtant de l'attrape-régis une virée pour chaque bizuth. Ça s'aventure un peu plus loin que la lisière, en groupes de trois ou quatre, armé de fronde et de mitraille. Attention sur la route aux Croczéquilles, fait le meneur. Comme on dit dans la bande : gaffe bleu ! De quand ils sortent des fourrés, à gros coups de sniff-sniff. Ça raffole sec des testicules, surtout chez des enfants !

De derrière les haillons s'ordonne l'attaque d'un Malâchon. Le poivre sait bien en faire s'éberluer. Ainsi le meneur, à l'affût du moindre éternuement, a adoubé son bleu d'une pincée dans la paume, à pas verser pendant l'approche ! malgré la récurrente tremblotte chez les jeunes mousses.

Bien à l'arrêt dans ses pensées, parfois en binôme dans le hayon d'un pré, un benjamin-régis s'anime d'un bond; évents d'épices pétaradant. Une ola d'yeux nyctalopes propage sa traînée d'poudre sur la comté. Puis tous y vont du poing sur la calotte. Motus ! rage Papa Bue.

De son côté, un gosse s'esclaffe de son échauffourée, suivant hilare croissants agathes et plis s'enguirlander; tout à l'esquive des pommes d'api et pommes reinettes tirées sur eux comme des fléchettes. La guerre est déclarée ! Mais de derrière les fagots une toux réprobatrice en appelle à l'ordre et la tenue. Vicaire, à la tête carrée, aîné le plus sévère, ordonne à ses adjoints : les Lauzes se mettent-ils soudain à brailler quand les badauds leur chotte à la raie ?

Dans l'régiment ça s'frotte les ecchymoses, ça s'discipline en état apparent de quinconce. Les marmonnements de l'un punissent les marmonnements de l'autre, un conclave de chuut ! précède au cours normal de la Vigie. De retour au semblant de rien, Goya et D'Indigo, les frères baril rondelet bassin des bois, imitent en braves compains le pleur du goéland ; Fandango celui du crapaud-vache ; à ce que seul surgisse à travers les feuilles le sifflement du vent.

Ni vus ni connus ! se disent-ils bien fiers, désopilés d'être aussi bons joueurs en cachotteries. Pour rien gâcher, ça se félicite sur un hectare jusqu'à l'Utland; l'échine d'une claque, à mitonner des écureuils volants pour le casse-croûte. Une fois au calme, les Malâches murmurent de conserve leur ritournelle soporifique, à l'intention du tout-venant : Comme des poètes qu'ils siestent à mes racines, mais que jamais ne sachent d'où viennent leurs rimes !

Sommeil après sommeil, les Malâches de plus en plus s'en sont figés. Leur esprit a migré comme la feuille recroquevillée d'automne, embrigadé sur les rapides aux tramontanes. Sans ravitaillement ni rappel de Pim le Prime, ils ont séché au poids du déguisement, n'accordant plus vraiment d'importance aux agissements des Faons. Seules quelques factions isolées se déplacent encore au signe du solstice, quand de sa tranche dodue un nuage occulte l'astre triste.

En panier de crabes, des gangs faits d'apatrides crapahutent dans les vallées lointaines.

-J'ai les guiboles en pâte à tarte, lance D'indigo, cloques au pivot.

-Se protégeant des mécontents hivers, à l'écharpe colorée d'une ronce, Loyola, à qui manquait l'Oyave au bras : Y en a à gonfler des noisettes !

-Il a l'cerveau qui file à reculons l'poète. On dirait bien mon arrière. Bon tu vas m'la fermer à clé ta boîte à bonbons, et fissa, faudrait pas qu'un Tabouros en vienne aux mains avec nos tronches. Vicaire aimait la comédie, mais de loin.

-C'est qu'elle pique bien l'abeille, osa D'indigo.

-J'sais pas combien t'as la cervelle qui chausses, mais si tu persévères j'vais t'en carrer une bien goulafe, depuis la veille j'ai la torgnole qui commence farouchement à m'chatouiller.

Gribouillant l'humus à pas de décapodes, les plus râleurs fourmillent de commentaires sur les casse-gueules impraticables, se protégeant la tempe de ces pics verts dont le hobby était la frappe soutenue comme à une porte. Celui qui éternue j'lui coupe un gland, jurait Vicaire, à ceux qui supportaient pas trop les becs.

A chaque grosse butte les adieux prennent des allures de grands banquets. Les adieux sont cérémonieux, les excuses fusent; les verres trinquent ; au milieu d'embuscades aux grands pardons, cocasses pour d'aussi laids frondeurs. D'autres avant nous vécurent le sacrifice des grands départs, réjouissons-nous d'être de ceux qui en saisissent le sens, dit fièrement Rinpoché, à des subalternes soudain perplexes. Ici s'achève ce qu'a vu naître notre rencontre du Dehors.

- Quant est qu'on rent' chez nous ? Ca va quand m'aime pas finir ici ? car le Persan doutait encore.

D’une toux Rinpoché coupe la minute en deux. Bientôt, bientôt.... Continuons encore un peu vers l'Ouest. Hmmmfff....

*

Pim regarda souvent par-dessus les fûts de la loriane, à l'ombre de l'Ensemenceur, debout plus grand que les houppiers verdis. De tristesse il fit siffler sa canevoix adoucissante à l'intention de ses Surgeons ; son timbre oxygéneux vénéré des étourneaux. Voyant qu'au Sinople on n'avait plus cure de la Vigie, il mandata les sansonnets de ses cent nids de buses, sur le rempart de ses hauts bras; siégea dans les Marcottes, y généra mille fois son hêtre. Enfin mûrs il courte-échela pour chaque doublon un escadron d'arboricoles, dont les cliques s'assemblèrent grâce à son appel du printemps hier.

Mes amis, que mon âtre vous pleure tous déjà, garda Pim dans ses milliers d'aisselles, longtemps encore après les grandes Murmurations. Sans se douter des arriérés que le Sinople un soir allait payer. Avec un vent favorable, nous nous reverrons à Shandelorine. Sans rien voir revenir.

Mais aujourd'hui les Malâches se sont trop éloignés pour reporter les trouvailles de la Vigie. Un pas par nuit est devenu un fruit par an. Le père depuis longtemps a perdu ses enfants. Mais qu'il y ait quelqu'un d'assez naïf pour douter qu'un jour ils se déplaçaient en ronde, notant les faits et gestes dans leur caboche toute molle, voilà de quoi pas plaire aux moins grands.

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