Chapitre 9

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Les vacances estivales s'étaient terminées mais cette foutue chaleur, elle, semblait vouloir battre un peu plus chaque jour une sorte de record. À croire qu'une puissance supérieure avait envie de cuisiner à la vapeur et que nous, les Japonais, étions les principaux ingrédients...


Je hais l'été.


Aujourd'hui, c'était la reprise des cours et ce fut sans enthousiasme que j'ai renfilé mon uniforme. Ah, si seulement la température pouvait se décider à baisser...

En descendant prendre mon petit déjeuner, je suis tombé sur mes deux parents. Chose plus que rare, comme vous l'aurez compris. Nous avons mangé en silence, puis mon père m'a annoncé qu'il partait en voyage d'affaires pour quelques jours. Visiblement, ma mère était déjà au courant. J'ai juste lancé un « D'accord », sans plus. Pour le peu que j'en avais à faire...

Comme à son habitude, Yuna est venue me chercher pour qu'on aille ensemble au lycée. Pas d'entraînement matinal aujourd'hui, puisqu'il y avait la cérémonie de rentrée. Je baillais déjà en imaginant le proviseur se lancer dans un discours assommant sur le fait d'étudier sérieusement et tout ce qui allait avec... Ce qui m'intéressait vraiment, c'était ce que Yuna cherchait tant à me dire depuis quelques jours, sans y parvenir. Même à la fin des vacances, je n'arrivais pas à lui faire cracher le morceau sans me risquer à la brusquer. J'avais l'impression qu'en attendant de trouver l'instant propice ou le courage nécessaire, elle avait mis ça de côté. Peut-être devrais-je faire de même et attendre...

Après le discours (assommant) du proviseur, les élèves ont rejoint leur salle de classe respective. Les groupes d'amis se retrouvaient et se racontaient leurs souvenirs d'été dans une joie et une bonne humeur aussi bruyante qu'agaçante, comme pour installer une bonne ambiance pour cette reprise des cours. Moi, je m'en fichais pas mal, du moment que la climatisation faisait son boulot.

Avant de commencer le cours, le professeur Abe nous a informé qu'une nouvelle élève rejoignait notre classe aujourd'hui. Quand il a dit ça, je me suis rappelé de ce type que j'avais croisé au début des vacances d'été, quand Yuna assistait à ses cours supplémentaires.

(C'était quoi, son nom ? Mashiro, je crois... Il était avec sa cousine. Elle s'appelait... Elle s'appelait... ?)

Je venais de tilter que je ne connaissais pas le nom de cette fille, lorsqu'elle pénétra dans la classe. À peine avait-elle fait les premiers pas que les murmures et les chuchotements s'élevaient, jusqu'à ce que Abe réclame le silence pour que la nouvelle puisse se présenter convenablement.

Elle disait s'appeler Matoï Yuzu et à part dire d'où elle venait et qu'elle était ravie de nous rencontrer, elle ne donna pas plus d'informations.

Comme la première fois où je l'ai vu, elle adoptait le style typique des gyaru : jupe de son uniforme bien plus courte que la normale et peau bronzée à l'inverse de la pâleurrecherchée par les autres filles, sans parler des quelques bijoux fantaisistes. Si rien que par son look, les filles la prenaient déjà en grippe, les garçons semblaient pour leur part se régaler à la dénuder dans leur tête. Même Abe, en faisant de son mieux pour faire l'adulte respectable, semblait avoir louché sur elle l'espace d'un instant.

Avant qu'il ne l'envoie s'assoir à sa place, il lui fit remarquer que les bijoux n'étaient pas autorisés. Elle râla un peu mais accepta de les enlever, puis elle gagna sa place. En s'y rendant, elle est passé près de mon pupitre. Elle m'a jeté un regard puis m'a lancé un rapide sourire et s'est rapidement éloigné.

Sur le coup, je n'y ai pas prêté plus d'attention.

À la pause de midi, plusieurs garçons (surtout les plus désespérés, à mon avis) lui tournaient déjà autour et étaient prêts à exécuter ses quatre volontés. Les filles trouvaient cela pathétique et une opinion négative de ces garçons germa chez elle, alors que celle sur Matoï ne fit que se confirmer.

Yuna, en me donnant mon bentô, regardait la scène, plus qu'atterrée par l'attitude de nos camarades masculins :

-Je vois pas ce qu'ils lui trouvent..., marmonna-t-elle. Elle n'est pas plus jolie qu'une autre dans la classe.

-Tout ce qui les intéresse, c'est de savoir ce qu'il y a sous sa jupe, lança Sasaki alors qu'elle installait son pupitre à côté du mien pour le déjeuner.

-C'est pas le cas de tous les garçons pour toutes les filles ?

-Si. Mais ils doivent se dire qu'avec elle, ce sera plus facile.

-Ah...

Yûji voulut répliquer mais je lui fis signe de renoncer. Si je me fiais à mes observations de la gente féminine, les contredire sur la personnalité des mâles, en présence de ces derniers, n'amenait à rien de bon. Du tout. Selon moi.

Alors que Yûji et moi étions prêts à manger, nous avons remarqué que les deux filles nous regardaient avec un air... bizarre.

-Quoi ? ai-je demandé, n'aimant pas être fixé comme si j'avais fait quelque chose de mal alors que non.

-Shûhei..., fit Yuna. C'est ton genre de fille ?

-... Je suis sensé rire quand ?

-Oui mais tu la regardes comme... comme...

-Comme quoi, Yuna ? Vas-y, dis ce que tu penses, l'encouragea Sasaki.

« Comme tu me regardes parfois. Comme un obsédé ». J'étais sûr que c'était ce qu'elle voulait dire. Alors oui, j'avais regardé Matoï, comme tout adolescent en pleine puberté l'aurait fait. Mais juste une fois. Et puis, franchement, elle ne m'attirait pas plus que ça.

Heureusement pour moi que Yuna était compréhensive et avait confiance en moi. Si ça avait été une autre, ça aurait peut-être fini dans les cris et la crise de jalousie. Ou dans le silence et l'ignorance, jusqu'à ce que l'un se décide à rompre.

(Comme avec Aïko...)

Le reste de la journée fut on ne peut plus normal. Le président du club de littérature était toujours ravi de me voir. Je ne pouvais pas en dire autant de la vice-présidente qui, à en juger par son regard, aurait sans doute aimer que je disparaisse, mystérieusement ou pas, durant les vacances.

(Navré de vous décevoir, Vice-présidente. La vie est injuste...)

Comment allaient tourner les choses, une fois que notre cher président du club quittera le lycée, son diplôme en poche ? Si la vice-présidente reprenait les rennes, j'étais prêt à parier qu'elle tenterait tout et n'importe quoi pour que je démissionne, avec l'appui de ses partisans. À moins qu'elle ne trouve un prétexte complétement tordu pour me renvoyer. Car oui, même en devenant la nouvelle présidente du club, sans motif valable aux yeux du professeur responsable, impossible de virer un membre comme ça. Et le motif du « J'aime pas sa tête ! » serait irrecevable, Monsieur le Juge !

Et puis, j'aimais bien ce club. Enfin, je l'aimais surtout pour son canapé confortable et sa collection de livres. Ce n'était pas comme si j'étais spécialement attaché à l'endroit ni à ses membres. En dehors de Sachi. Mais bon, elle, je la voyais en-dehors donc je ne perdrai pas grand-chose, à la sortie.

Après avoir passé mon temps à bouquiner, j'ai quitté la salle du club.

J'ai jeté un coup d'œil à ma montre. Yuna et son équipe devait encore s'entraîner à cette heure-ci et j'ai pensé que je pourrais passer. De toute façon, je n'étais pas pressé de rentrer. Dans la cour, avant d'atteindre le gymnase, je suis tombé sur Mashiro et sa coupe iroquoise plus que voyante, qui m'a salué avec un grand sourire proche de la niaiserie.

-Yo, mon pote ! Ça fait un bail ! m'a-t-il lancé comme si on avait élevé les cochons ensembles.

-On se connait à peine. Ne m'appelle pas « mon pote », lui ai-je balancé sans prendre de gants.

-Ouch, tu me fais mal... Mais j'aime bien ta tronche, alors je t'appelle « mon pote ».

-Arrête ça...

-Qu'est-ce que tu viens faire dans le coin ?... Oh ! Je vois ! Toi aussi, tu viens mater les basketteuses après les activités de ton club ? Paraît qu'elles sont super canons...

Je ne l'écoutais déjà plus et me dirigeait sans dire un mot vers le gymnase.

-Quoi ? Tu y vas frontalement !? On peut dire que t'en as dans le pantalon, mon pote !

Dire qu'il m'avait fait une plus ou moins bonne impression, la première fois qu'on s'est rencontré... L'habit ne fait vraiment pas le moine.

Je suis entré dans le gymnase et comme je m'y attendais, les filles étaient en plein match d'entraînement. Les premières années contre les secondes. Ce qui m'a surpris, c'était de voir Matoï jouer dans l'équipe de Yuna. Même sur le parquet, elle cherchait à se démarquer. Déjà qu'elle était assez voyante avec sa peau bronzée, à l'inverse des autres filles, elle ne portait pas un t-shirt plutôt large, qui lui aurait permis une grande liberté de mouvements sans être gênée, mais un t-shirt tout juste à sa taille dont elle avait noué l'avant, laissant apparaître son ventre. On ne voyait que ce bout de peau qui dépassait, malgré le dossard qu'elle portait par-dessus pour qu'on puisse identifier les équipes.

-Hé ! Tu mates ma cousine, là ? demanda Mashiro en me poussant un peu.

-Difficile de pas la voir...

-Ouais mais bon, quand même...

Sa phrase sonnait comme un reproche mais l'intonation n'était pas du tout convaincante. Mais je le soupçonnais d'être plus intéressé à repérer les plus jolies filles du parquet que de défendre l'honneur de sa cousine.

(S'il pose ses yeux sur Yuna, je les lui crève...)

-Wouha..., dit-il en ayant presque la bave à la bouche. Elles sont vraiment pas mal, les basketteuses...

-Tu voulais pas être membre du club de manga ?

-C'est fait, je me suis inscrit. Je commence officiellement à partir de demain. En attendant, je viens admirer la beauté féminine locale.

-Sérieusement ?

-Hé ! Je suis célibataire ! J'ai le droit de regarder un peu, avant de tenter ma chance !

-Parce que tu comptes tenter ta chance ?

-J'suis pas encore décidé avec qui... Ce n'est que mon premier jour dans ce lycée. J'ai donc largement le temps de ferrer ma proie...

(Son terrain de chasse sera donc le lycée entier... Je plains déjà celles qui seront dans sa ligne de mire...)

Nous sommes resté là jusqu'à la fin de l'entraînement. En allant prendre leur douche, la plupart des filles m'ont salué chaleureusement, sous le regard presque impressionné de l'autre idiot qui devait me prendre pour une espèce de Don Juan.

-T'as vraiment l'air d'un idiot, avec cette tête.

Matoï nous avait rejoint. Sa sueur perlant sur sa peau un peu mate avait un effet... hypnotisant ?

(Non ! Non ! Pense à autre chose !)

Son cousin la fusilla du regard et répliqua :

-Je vois pas le mal à montrer à son pote que je suis étonné de son succès.

-N'importe quoi..., marmonnais-je en me grattant la tête, agacé.

Matoï posa son regard sur moi. Comme pendant les vacances d'été, elle me jaugea de la tête au pied puis me sourit.

-Tu m'as vu jouer ? J'étais bonne ?

-Mouais..., lui répondis-je. Tu jouais plutôt bien. Mais j'ai l'impression que c'est la première fois, pour toi.

-Tu veux dire en dehors des cours de sport ? Ouais, c'est vrai... Jouer en club, ça n'a clairement rien à voir. Mais tu n'as pas répondu à ma question. Est-ce que j'étais bonne ?

-Si. Je viens de dire que...

Cela fit alors tilt dans ma tête, avant que je ne lui lance un regard blasé :

-Vraiment ?

-Ça ne coûte rien de demander. J'ai bien vu comment tu me regardais, en classe.

-Les autres garçons aussi te regardaient.

-Vrai. Mais personne n'a osé me faire franchement du rentre dedans. Pour l'instant.

-On dirait que tu n'attends que ça.

-Je suis joueuse. Quant à savoir jusqu'où je vais pour jouer, c'est un mystère...

-Ok, ça suffit, intervint Mashiro. Yuzu, je crois qu'une bonne douche froide s'impose pour... Ouah ! Y en a une qui vient vers nous ! C'est celle qui faisait beaucoup de shoots ! Elle est trop belle ! Mes cheveux sont comment ? Faut que je les recoiffe ? Ah, si j'avais amené un peigne pour... Tant pis ! Bonjour ! Je suis...

-Shûhei !

Yuna l'ignora complètement, accourut vers moi et me sauta dessus, avant que je ne l'esquive en faisant un pas de côté.

-Méchant ! cria-t-elle en gonflant ses joues.

-Je t'ai déjà dit de ne pas me sauter dessus !

-C'est une preuve d'affection de ta petite amie chérie et tout ce que tu trouves à faire, c'est l'éviter comme si c'était une attaque de Pokémon !

-Donc, tes sauts qui peuvent potentiellement me mettre au sol et me faire mal sont une marque d'amour ?

-Oui !

-Ce n'est pas très efficace.

-MÉCHANT !!!

Elle me donna une violente tape sur l'épaule mais je me suis contenté de ricaner. Je commençais à y prendre goût, moi, à l'asticoter.

Sasaki intervint alors pour emmener Yuna prendre sa douche, en disant que je n'allais pas m'enfuir et qu'elle pourrait me bécoter autant qu'elle le voudrait après.

(Vas-y, cris le plus fort, Sasaki ! Tout le gymnase n'a pas entendu !)

Matoï leur emboîta ensuite le pas, en disant à Mashiro qu'elle revenait dans un instant.

C'était peut-être mon imagination, mais j'aurais juré, en entrant dans mon champ de vision, que sa démarche était plus... féline ?

Non, ça devait être mon imagination...

Ah. Et pendant ce temps, Mashiro était figé sur place, pleurant de déception qu'une fille comme Yuna lui mette un tel vent, pour se jeter littéralement dans les bras d'un autre garçon.

(Oui, « mon pote ». La vie est vraiment injuste...)

J'aurais aimé que mes interactions avec lui et sa cousine soient limités mais quelque chose quelque part en avait décidé autrement.

Mashiro, à chaque fois qu'il me croisait, s'adressait à moi avec une familiarité qui m'énervait. Il avait rapidement lâché l'affaire avec Yuna et s'intéressait un peu plus à Sasaki, qui, elle, portait plus d'intérêt à un stylo usé qu'à ce garçon légèrement trop insistant, en plus d'être un coureur de jupons. Oui car pour Mashiro, avoir de l'intérêt pour une seule fille à la fois n'avait rien d'amusant. Du moment qu'une fille était jolie, mignonne ou sexy, elle était une cible potentielle pour monsieur. Pour peu, il n'était pas loin d'avoir les traits d'un prédateur sexuel.

-Non mais ça va pas ! s'insurgea-t-il quand je lui ai fait part du fond de ma pensée. D'accord, je peux être un peu... insistant quand j'aborde les filles mais je ne franchis jamais la limite ! Les filles, je les respecte ! Je ne fais jamais rien qu'elles ne souhaitent pas ! Et si je trouve la bonne, bien entendu, j'arrêterai de suite de m'intéresser aux autres ! En attendant...

...

Au moins, il était conscient qu'il avait ce côté... bizarre quand il abordait les filles. On va dire que c'était un début.

Malgré tout, par je ne sais quelle anomalie cosmique, il s'intégra petit à petit à notre petit groupe. Je n'en étais pas spécialement ravi, tout comme Sasaki, mais Yuna et Sachi le trouvaient drôle, à leur manière, et il s'entendait bien avec Yûji. Si seulement ça s'était arrêté là...

Comme Mashiro – enfin, Jun, comme l'appelait les autres maintenant, était très proche de sa cousine, cette dernière s'est greffée naturellement à la bande. Les filles n'étaient pas ravies au début mais elles s'accommodèrent vite en la connaissant. Matoï – enfin, Yuzu, comme elle voulait qu'on l'appelle, avait certes une apparence non conventionnelle pour une japonaise et une attitude... décomplexée mais au-delà de ça, elle était sympa. Du moins, elle donnait l'air d'être sympa.

Toutefois, elle prenait l'habitude de nous asticoter, moi et Yûji, en nous collant plus que nécessaire ou à jouer de ses charmes, le plus discrètement possible la plupart du temps. Bien que les filles eussent compris qu'elle faisait cela plus par jeu qu'autre chose, elles la réprimandaient plus d'une fois, particulièrement Sasaki quand j'étais la cible de son petit jeu et par solidarité envers sa meilleure amie.

Yuna ne lui disait rien mais, à chaque fois, elle m'agrippait le bras pour signifier que j'étais à elle et personne d'autre. Ce qui faisait un peu rire Yuzu, d'une part, mais de l'autre, l'encourageait à poursuivre son petit manège les fois d'après, toujours sans prendre cela au sérieux. Et aussi pour voir les diverses réactions de Yuna pour protéger sa propriété.

C'était mignon que ma copine veuille qu'on sache que j'étais à elle, mais je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir l'impression d'être un vulgaire morceau de viande qu'on se disputait.

(C'est très... déstabilisant. Et je n'arrive pas à me décider si j'aime ou pas ça.)

Moi qui, au début de l'année, n'avait que deux amis qui composait mon entourage, je me suis retrouvé encerclé par des connaissances supplémentaires et une petite amie.

Si quelqu'un m'avait dit ça auparavant, je l'aurai giflé. Pour lui faire reprendre ses esprits, bien sûr...

Plus d'une fois, Jun m'invita à passer au club de manga, pour le fun qu'il disait. Mais d'une part, je devais quand même aller à mon club et de l'autre, je ne voyais pas l'intérêt d'aller faire un tour dans son club. Pas que je n'aimais pas les mangas ou les dénigraient mais bon...

J'ai profité d'un jour où le président de mon club était absent, à cause d'un rhume ou je ne sais quoi, et que mon absence se ferait à peine remarquer pour voir ce qu'était vraiment ce club de manga.

Quand j'ai franchi la porte après qu'on m'ait invité à rentrer, mes yeux ont été noyé par un océan de clichés : assez grande salle, des tables pour pouvoir dessiner, des étagères contenant moult mangas et diverses figurines, des posters à la pelle... Bon, au moins, les représentations de filles en tenues légères n'étaient pas légions et le malaise de me retrouver dans cette pièce fut moins grand.

Non, ce qui me mettait franchement mal à l'aise, c'était les regards que me lançaient les membres de ce club, allant de la caricature de l'otaku obsédé par son héroïne fétiche au type grassouillet qui n'osait pas me regarder trop longtemps par crainte.

-Hé ! T'es venu, mon pote !

Jun vint me faire une accolade virile pour me saluer, ce qui me déplut au plus au point. Il fit de brèves présentations des membres de son club et je n'ai eu droit qu'à des bonjour polis mais qui montraient clairement une volonté de ne pas sympathiser plus que nécessaire. Sans doute qu'à leurs yeux, j'étais un intrus dans leur petit sanctuaire. Jun demanda au président, le grassouillet, si cela ne le dérangeait pas que je vienne de temps en temps, quand je ne suis pas trop occupé avec mon club. Celui-ci n'osa pas me regarder et approuva, non sans parvenir à dissimuler sa crainte à ma vue. Il croyait quoi ? Que j'allais l'attaquer sans crier gare s'il refusait ?

Il n'empêchait que je n'avais pas envie de rester dans une pièce où quatre-vingt dix pour cent de la population avait peur de moi, mais Jun me fit vite comprendre qu'il était prêt à me pourrir la vie (selon mon interprétation très personnel) si je ne restais pas un peu.

J'ai négocié une heure et après, je me barrais. En plus, je devais retrouver Yuna après son entraînement. Heureusement pour lui, il a accepté.

Il m'a rapidement fait le tour des lieux et j'ai pu observer leur collection de mangas. La plupart était des tomes de séries populaires (je parie qu'ils n'ont pas osé ramener des trucs plus... érotique, au cas où le comité de discipline viendrait y foutre son nez) mais en regardant bien, on pouvait y trouver quelques trucs intéressants comme Yûgai toshi de Tsutsui Tetsuya ou encore l'intégrale de Adolf ni tsugu du célèbre Tezuka Osamu.

(Au moins, on ne peut pas dire qu'ils prennent leur club à la légère, s'ils s'intéressent vraiment à Tezuka...)

J'ai feuilleté quelques mangas mais Jun tenait beaucoup à me montrer d'autres trucs plus... spéciaux. Contre l'attente de tous les membres du club, il alla sortir un vieux carton contenant ce qui semblait être des... story-boards ! Des story-boards, ou nemu comme les aficionados préféraient le dire, de mangas, dessiné par les membres passés. Jun m'expliqua que son rêve était devenir mangaka professionnel, qu'il se débrouillait en dessin, bien qu'il avait encore beaucoup à apprendre mais qu'il n'était pas très doué pour créer des histoires qui intéressent. Alors que je feuilletais quelques-uns de ces nemus (dont la qualité de l'histoire allait de « C'est pas mal » à « C'est pas une histoire mais un bordel sans nom »), il alla fouiller dans son sac pour me sortir les siens.

-Comme tu t'y connais en histoire, tu peux me dire ce que tu en penses ? Pas la peine de prendre des gants. Si je n'ai pas d'avis sincère, je ne progresserai jamais.

Il avait adopté un ton si sérieux quand il m'a demandé ça... Tous les autres nous observaient sans piper mots. Je pris alors les feuilles et commençai à feuilleter. En plus des nemus, il y avait deux ou trois planches crayonnées mais pas encrées. Il avait raison : il était plutôt bon en dessin et il avait une sacrée marge pour progresser. Par contre, pour son histoire...

-C'est du déjà vu sur tous les plans. On a l'impression que tu as juste pris les idées qui marchaient et que tu as essayé de faire un mélange pour espérer obtenir un truc bien. Sauf que non seulement, c'est fade mais en plus, on ne sent pas que tu as mis vraiment du tien dans ton travail. Limite, on pourrait t'accuser de plagier, par moment.

Les membres du club grimacèrent, sans doute en pensant que j'étais dur. Jun, lui, souriait.

-Merci, mon pote ! C'est cool que tu sois sincère ! Enfin bon, je le sentais que quelque chose n'allait pas quand je dessinais, mais impossible de mettre le doigt dessus...

-Mais les membres de ton club n'ont rien dit ?

-Ben... Certains trouvaient qu'un truc n'allaient pas sans pouvoir me dire quoi et d'autres aimaient bien ce qu'ils avaient sur les yeux. Donc forcément...

(Ouais, d'accord... Ils sont plus consommateurs qu'autre chose donc. Difficile de vraiment qualifier ça de « club de manga ».)

-Pourtant, de ce que j'ai vu, les anciens membres produisaient des trucs pas mal.

-Ouais, t'as vu, mon pote ! Paraît que certains ont été publiés et que quelques-uns sont des pros, aujourd'hui ! Mais maintenant, le club sert de repère pour ceux qui veulent juste se détendre en lisant et rien de plus. Franchement, c'est dommage...

Lui aussi n'était pas tendre avec ses mots mais vu comment les autres baissaient la tête de honte, ils semblaient bien conscients de ce qu'ils étaient.

-Mais on veut changer ça, poursuivit Jun avec enthousiasme. On a décidé de faire nos propres mangas et de les présenter pour le prochain festival culturel du lycée. Bon, on se débrouille niveau dessin mais pour le scénario...

-Non.

-J'ai même pas fini !

-Je vois où tu veux aller avec ça et non ! Je ne serais pas le scénariste d'une demi-douzaine de mangas amateurs. Tu imagines le boulot monstre que c'est ?

-D'accord, d'accord ! Et pourquoi pas juste une espèce de coach ? On te donne les grandes lignes de ce qu'on veut raconter et toi, tu nous dis juste ce qu'il faut changer. C'est tout. Alors ?

-Ça reste du travail en plus de ce que je fais déjà. Je...

-S'te plaît, mon pote ! Le club de manga entier te supplie !

Avant que je ne puisse ajouter quoique ce soit, tous se mirent à genoux et plaquèrent leur front sur le sol pour me supplier. Le malaise de la situation avait atteint un niveau astronomique, selon mes standards ! Comment vouliez-vous refuser dans ces conditions !

(L'enfoiré ! Je suis sûr qu'il avait préparé le coup !)

J'ai donc accepté, à contrecœur, de leur donner un coup de main mais seulement quand j'avais un peu de temps libre. Sur ces mots, le président du club, prit d'un court élan de courage, me nomma membre honoraire du club de manga.

Il y a des jours où je me déteste, pour accepter de faire des choses stupides.

J'ai voulu me sauver après ça, mais selon Jun, je lui avais accordé une heure et il restait une bonne quinzaine de minutes. Il m'a alors proposé une partie de cartes pour fêter notre accord.

(Bah, pourquoi pas ?)

Quelle ne fut ma surprise quand il me sortit... un paquet de cartes Yu-Gi-Oh!

(...On y joue encore, à ça ?)

Plus jeune, j'aimais beaucoup ce jeu de cartes, au point où une bonne partie de l'argent que j'avais à l'époque y passait. Je m'étais même construits deux ou trois decks. J'ai arrêté d'y jouer vers la fin de ma première année de collège. La peur du regard des autres tout ça... Ce que je pouvais être débile, parfois.

Pensant qu'il allait m'initier, j'ai dit à Jun que savait y jouer mais que je n'avais pas mes propres cartes sur moi. Intrigué, il m'intima de ramener mes cartes la prochaine fois et que cette fois-ci, il me prêterait un de ses decks. Confiant, j'ai accepté.

Et ce fut une erreur.

Dire qu'il m'avait laminé était en dessous de la vérité. Depuis le temps que j'avais arrêté de jouer, le jeu s'était enrichi de nouvelles extensions et aussi de nouvelles règles...

Après une demi-heure de jeu, le score était de trois victoires et une défaite pour lui. Ma seule victoire était dû au fait que j'avais réussi, par une chance insolente, à contrer l'invocation d'un monstre puissant et ensuite, de diminuer ses points de vie petit à petit avec plusieurs monstres. Je me suis alors juré de laver cet affront avec mes propres cartes, la prochaine fois !

(Mince, je crois que je replonge...)

Je suis allé retrouver Yuna après et lui ai parlé de ce qui s'était passé. Elle a éclaté de rire quand je lui ai parlé de la partie de cartes, en disant qu'elle aurait aimé voir ça. Je n'ai rien dit mais ses rires moqueurs, même si ce n'était pas vraiment méchant, ont allumé un feu en moi. Prendre ma revanche était maintenant impératif.

Il ne se passa pas grand chose de particulier ce mois de septembre, hormis la température qui baissait progressivement, pour mon plus grand bonheur.


Au début de la dernière semaine du mois.

En pleine pause déjeuner, Jun était venu dans ma classe disputer une partie de cartes de Yu-Gi-Oh!. Les autres se foutaient de nous, de jouer à un jeu qu'ils pensaient réservé aux gamins, mais le reste de notre petite bande nous regardaient jouer avec attention tout en mangeant. Jun se défendait bien avec son deck spécialisé dans les invocations Pendule mais contre mon deck Protecteurs du tombeau, il n'allait pas tarder à pleurer.

-Mais non, arrête ! s'écria-t-il. Déjà qu'avec Serviteur des Protecteurs du Tombeau, tu brimes mes attaques !

-Fallait mieux jouer, « mon pote »...

-Ils prennent vraiment ça au sérieux..., commenta Yûji tandis qu'il avalait son œuf dur.

-Allez, Shûhei ! Je suis avec toi ! fit Yuna, tout en essayant de ne pas trop rire.

Un moment de détente plus que normal en cette belle journée.

Puis, sorti de nulle part, on entendit crier dans la cour.

Un nom.

Un nom que j'aurais voulu laisser définitivement derrière moi.

-SHÛRA !! Je sais que tu te planques ici ! Ramène-toi !

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